Sursis (plus que temporaire) – Les entreprises et la menace de tarifs douaniers par la nouvelle administration Trump

Le 20 janvier 2025 fut l’investiture de Donald Trump qui a entamé son second mandat en tant que président des États-Unis. Bien qu’il ait promis d’imposer immédiatement des tarifs douaniers de 25 % sur toutes les importations canadiennes le jour même de son investiture, la menace n’a pas été mise à exécution. Le président Trump a plutôt publié une série d’initiatives par décret (le « décret ») ciblant les présumés obstacles aux relations commerciales des États-Unis avec d’autres pays. Plus tard dans la journée, il a précisé qu’il n’avait pas renoncé à imposer des tarifs douaniers de 25 % sur tous les produits en provenance du Canada et du Mexique, et ce, à compter du 1er février 2025.
Dans cet Avis aux clients, nous donnons un aperçu du décret, de la menace du président Trump d’imposer des tarifs douaniers de 25 % sur les produits canadiens et de la riposte éventuelle du Canada. Nous analyserons ensuite les mesures que les entreprises devraient envisager pour contrer toute entrave aux exportations canadiennes vers les États-Unis et les mesures de rétorsion qui seront prises par le Canada.
Le décret
Intitulé « America First Trade Policy », le décret est un mémorandum qui couvre un grand nombre d’initiatives liées à la politique étrangère et au commerce. D’ailleurs, plusieurs d’entre elles pourraient avoir une incidence importante sur les entreprises canadiennes, notamment :
- une enquête sur les « déficits commerciaux annuels importants et persistants des États-Unis, ainsi que sur leur incidence économique et les risques à la sécurité nationale qui en découlent, en plus des recommandations de mesures appropriées, tels que des tarifs supplémentaires à l’échelle mondiale ou autres politiques, pour combler ces déficits »;
- une enquête sur « la faisabilité d’établir et de recommander les meilleures méthodes de mise sur pied d’une agence du revenu externe pour percevoir des tarifs douaniers, des droits et autres revenus sur le commerce extérieur »;
- un exercice visant à repérer « toute pratique commerciale déloyale de la part d’autres pays » et des recommandations de mesures appropriées pour y remédier;
- des consultations publiques dans le cadre de la révision de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique, prévues pour juillet 2026;
- une évaluation de la « perte de revenus sur tarifs douaniers et les risques liés à l’importation de produits contrefaits et de médicaments de contrebande, comme le fentanyl », qui résulte de l’actuelle dispense de minimis des droits, selon laquelle les importations aux États-Unis d’une valeur inférieure à 800 $ ne sont pas soumises à des droits;
- « un examen complet de la base industrielle et manufacturière des États-Unis, afin de déterminer s’il est nécessaire d’ouvrir des enquêtes pour rajuster les importations qui menacent l’économie et la sécurité nationale des États-Unis »;
- un examen de « l’efficacité des exclusions, des dispenses et des autres mesures de rajustement des importations d’acier et d’aluminium » pour répondre aux menaces à la sécurité nationale;
- un examen du régime de contrôle des exportations américaines en vue de renforcer l’avantage technologique des États-Unis et d’éliminer les lacunes qui « donnent lieu au transfert de produits, de logiciels, de services et de technologies stratégiques vers des pays à nos rivaux stratégiques et à leurs complices »;
- une évaluation des « migrations illégales et des entrées de fentanyl en provenance du Canada, du Mexique [, de la Chine] et de tout autre territoire de compétences concerné » et des recommandations sur les mesures appropriées, notamment des mesures commerciales, pour résoudre ces enjeux.
Le décret exige que des rapports d’enquête et d’évaluation soient transmis au président Trump le 1er avril 2025.
Menace tarifaire persistante et riposte canadienne éventuelle
En signant diverses initiatives par décret dans le bureau ovale le 20 janvier, le président Trump a aussi déclaré : « nous pensons à 25 % pour le Mexique et le Canada parce qu’ils permettent à un grand nombre de personnes – et le Canada en est le premier fautif – d’entrer au pays et de faire entrer du fentanyl ».
En réponse à une question complémentaire concernant la date d’entrée en vigueur de ces mesures, le président Trump a répondu : « Je pense au 1er février ».
Compte tenu de la nature impromptue de ces commentaires et de leur décalage apparent avec les initiatives énoncées dans le décret, il est difficile de savoir dans quelle mesure ce tarif est bien abouti.
En réponse aux commentaires du président Trump, le premier ministre Trudeau a déclaré qu’il appuyait « le principe des tarifs douaniers dollar pour dollar ». Cette réplique fait suite à des rapports indiquant la probabilité d’une riposte canadienne, d’abord sous forme de tarifs douaniers sur 37 G$ de produits américains, puis la possibilité de consultations sur l’imposition d’autres tarifs à hauteur de 110 G$ sur des produits américains, si le président Trump avait cherché à imposer des tarifs douaniers de 25 % sur les produits canadiens dès le premier jour de son entrée en fonction.
Le gouvernement canadien a laissé filtrer peu d’informations sur les produits qui pourraient être visés par ces tarifs douaniers équivalents. Toutefois, de nombreux produits ciblés par la riposte canadienne aux tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium imposés lors du premier mandat du président Trump pourraient en faire partie de nouveau. Comme l’indiquait notre Avis aux clients de l’époque, les mesures de rétorsion du Canada visaient un large éventail de produits, dont le jus d’orange de la Floride et les machines à laver, ainsi que les produits étrangers qui transitaient par les États-Unis à destination du Canada. Le Canada pourrait aussi cibler des produits de régions politiquement sensibles, comme en 2020, soit lorsque le Canada a répliqué à la surtaxe américaine sur certains produits d’aluminium en ciblant des produits d’États comme le Michigan, le Wisconsin et la Pennsylvanie, à l’approche des élections américaines de 2020. Cela dit, les autorités canadiennes évoquent maintenant la possibilité d’imposer des taxes à l’exportation et des restrictions sur les produits exportés par le Canada, produits dont dépendent les États-Unis, y compris les produits énergétiques.
La contre-attaque provinciale
La majorité des provinces ont aussi déjà signalé leur intention de mettre en œuvre des mesures de rétorsion, ou prévoient de le faire. Le 15 janvier 2020, le Conseil de la fédération (constitué des premiers ministres provinciaux et territoriaux du Canada) a publié une déclaration commune avec le gouvernement du Canada. Les premiers ministres s’engagent à poursuivre leurs efforts conjoints de sensibilisation aux répercussions défavorables des tarifs douaniers et d’en empêcher l’application. Ils ont par ailleurs ajouté qu’ils étaient aussi « déterminés à continuer de travailler ensemble sur une vaste gamme de mesures de rétorsion à d’éventuels tarifs américains, dont un soutien aux secteurs, aux entreprises et aux particuliers ». Le gouvernement de l’Alberta a désapprouvé cette déclaration. La première ministre Danielle Smith a déclaré à plusieurs reprises qu’elle s’opposait à l’imposition éventuelle de restrictions à l’exportation ou de tarifs douaniers sur le pétrole et le gaz de sa province.
Le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, s’est quant à lui ouvertement prononcé en faveur de contre-mesures musclées. Il a en effet affirmé que le gouvernement ontarien demanderait à la Régie des alcools de l’Ontario (LCBO) de retirer tous les produits américains de ses tablettes si les États-Unis mettaient ses menaces à exécution. Cette demande pourrait être répliquée dans d’autres provinces et perturber la chaîne d’approvisionnement des fabricants américains de spiritueux qui vendent leurs produits sur le marché canadien. Il reste à savoir si ce refus de distribution ne couvrirait que l’alcool produit aux États-Unis ou s’il inclurait tout alcool produit par une entité détenue et contrôlée par une société mère américaine.
Le premier ministre Ford a déjà indiqué qu’il était prêt à envisager de restreindre les exportations d’électricité de l’Ontario vers les États-Unis. Son homologue du Québec, François Legault a signifié que les tarifs douaniers sur l’électricité et l’aluminium – deux produits québécois largement exportés et dont dépendent des entreprises des États-Unis – porteraient un coup dur à l’économie américaine et qu’il était aussi prêt à appuyer une riposte tarifaire.
Les entreprises et cette incertitude
Dans l’immédiat, la relation commerciale entre le Canada et les États-Unis est teintée d’incertitude. Il peut donc être difficile pour les entreprises de ces pays de déterminer la voie à suivre, tant pour leur approvisionnement que pour la vente de leurs produits. En somme, il serait prudent que les entreprises canadiennes :
- procèdent à un examen de la chaîne d’approvisionnement, afin de mesurer la portée de leurs activités de commerce transfrontalier, plus précisément sur le plan des importations et des exportations directes et indirectes sur le marché nord-américain;
- repèrent les produits grandement menacés de tarifs américains ou ciblés par les mesures de rétorsion canadienne, notamment les produits qui peuvent être facilement obtenus au pays qui imposent les tarifs ou les ripostes tarifaires ou qui en ont déjà fait l’objet par le passé, tel qu’il est indiqué ci-dessus;
- examinent attentivement les facteurs qui déterminent l’imposition de tarifs sur les produits qu’elles importent, dont la classification tarifaire (qui pourrait définir la portée d’un tarif ou d’une mesure de rétorsion sur leurs produits), la valeur du tarif et l’origine des produits importés;
- déterminent s’il est possible d’assembler le produit de grande valeur dans le marché cible, à partir de composantes qui y sont présentes, plutôt que d’expédier le produit final; on réduit ainsi la valeur du produit assujetti aux tarifs douaniers;
- revoient les contrats qu’elles ont conclus avec des partenaires commerciaux transfrontaliers, afin de déterminer le responsable des coûts supplémentaires engendrés par les tarifs douaniers, et les possibilités de résiliation ou de renégociation de ces contrats sur la base des modalités actuelles;
- envisagent d’entamer des négociations proactives avec des partenaires clés, pour clarifier la manière dont les tarifs potentiels seraient pris en compte;
- envisagent tout mécanisme de remise des droits ou de ristourne qui pourrait servir à réduire, voire à dissiper, l’incidence des tarifs ou des mesures de rétorsion. Par exemple, la riposte de 2018 du ministère des Finances du Canada prévoyait une remise des tarifs douaniers qui avaient dû être versés, notamment en raison d’une pénurie du produit au pays;
- collaborent avec des conseillers commerciaux et fiscaux pour définir la structure de leurs chaînes d’approvisionnement pour diminuer l’impact des tarifs douaniers;
- à long terme, diversifient stratégiquement leurs activités commerciales, notamment en tirant parti des accords commerciaux et de commerce et d’investissement que le Canada a conclus avec d’autres pays, comme l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) ou l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne.
Le groupe du droit du commerce et de l’investissement international de McCarthy Tétrault a conseillé, et conseille encore, un grand nombre de clients d’une multitude de secteurs, sur la façon de composer avec l’incertitude imposée par le second mandat du président Trump et ses menaces de tarifs douaniers. Nous demeurerons à l’affût et continuerons à rendre compte des nouveautés dans ce domaine.
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