Le Canada réagit aux tarifs douaniers américains - Ce que les entreprises doivent savoir
Ce billet est le deuxième d’une série d’alertes clients concernant les mesures commerciales prises par les États-Unis et le Canada i ans le second mandat du président Donald Trump. Notre première alerte client de cette série, Un sursis (très temporaire) - ce que les entreprises devraient faire alors que la menace de tarifs douaniers de la nouvelle administration Trump continue de planer, a été publiée le 22 janvier 2025.
MISE À JOUR 3 février à 16 h 45 : Suivant l’appel entre le président Trump et le premier ministre Trudeau, le premier ministre Trudeau a annoncé que les tarifs douaniers et les contre-mesures seront suspendus pendant au moins 30 jours.
Le 1er février 2025, le président Trump a signé un décret (le « décret ») qui, en contravention flagrante avec l’Accord Canada-États-Unis-Mexique signé lors de son premier mandat, applique des tarifs douaniers de 25 % sur tous les produits originaires du Canada et importés aux États-Unis, à l’exception de « l’énergie et des ressources énergétiques », qui seront plutôt assujettis à un tarif de 10 %. Ces tarifs entreront en vigueur à 0h01 le mardi 4 février. Le président Trump a également signé un deuxième décret qui impose des tarifs de 25 % sur tous les produits en provenance du Mexique, y compris sur l’énergie et les ressources énergétiques, cependant, la mise en œuvre de ces tarifs a été retardée d'au moins un mois. Comme indiqué dans notre précédente alerte client, ces mesures font suite à l’annonce par le président Trump, le jour de son investiture, que les tarifs douaniers seraient imposés au Canada et au Mexique le 1er février.
Le gouvernement canadien a proposé des mesures de rétorsion en réponse à ces tarifs qui seront mises en œuvre en deux phases afin de réagir immédiatement et de donner aux entreprises canadiennes le temps d’ajuster leurs chaînes d’approvisionnement pour minimiser l’impact sur les entreprises et les consommateurs canadiens. La première phase (« phase 1 ») visera des produits représentant un volume annuel d’importations en provenance des États-Unis d’environ 30 milliards de dollars, auxquels des tarifs de 25 % seront appliqués à partir du mardi 4 février. Elle sera suivie d’une deuxième phase (« phase 2 ») qui visera les biens représentant un volume annuel d’importations en provenance des États-Unis d’environ 125 milliards de dollars. Outre ces mesures annoncées par le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux du Canada ont également réagi aux tarifs américains, en introduisant dans certains cas leurs propres mesures de rétorsion.
Nous présentons ci-dessous une vue d’ensemble des tarifs douaniers américains ainsi que des réponses fédérales et provinciales du Canada. Nous notons que cette situation est extrêmement fluctuante - les informations présentées ici sont exactes en date du 2 février 2025.
1. Tarifs douaniers américains
a) Décret exécutif
Le décret qualifie d’abord la prétendue « migration illégale » et le flux de drogues illicites, comme le fentanyl, en provenance du Canada (ainsi que du Mexique et de la Chine) comme étant une urgence nationale en vertu de la loi sur les urgences nationales (National Emergencies Act) et de la loi sur les pouvoirs économiques en cas d’urgence internationale (International Emergency Economic Powers Act), disponibles sur le site. Nous notons que, selon cette étude du Congressional Research Service, avant le décret, aucun président n’a utilisé la loi sur les pouvoirs économiques en cas d’urgence internationale pour imposer des tarifs sur des produits importés, et l’utilisation de cette loi de cette manière peut faire l’objet d’une contestation juridique
Le décret impose des tarifs dounaiers de 25 % sur tous les produits originaires du Canada (à l’exception de l’énergie et des ressources énergétiques, comme indiqué ci-dessous), alléguant qu’il s’agit d’une mesure destinée à utiliser l’influence économique des États-Unis pour contraindre le Canada à s’attaquer à la « migration illégale » et à la crise de la drogue. Des tarifs similaires ont été imposés au Mexique, tandis que la Chine n’est soumise qu’à des tarifs supplémentaires de 10 % sur ses marchandises.
Il est proposé qu’un taux tarifaire inférieur de 10 % sera appliqué à l’énergie et aux ressources énergétiques en provenance du Canada. Pour la définition de l’énergie et des ressources énergétiques, le décret exécutif fait référence au décret exécutif précédent signé par le président Trump déclarant l’état d’urgence énergétique nationale. Ce décret définissait l’énergie et les ressources énergétiques comme comprenant le pétrole brut, le gaz naturel, les condensats de location, les liquides de gaz naturel, les produits pétroliers raffinés, l’uranium, le charbon, les biocarburants, la chaleur géothermique, l’hydroélectricité et les minéraux critiques.
Il est important de noter que le décret supprime également l’applicabilité de l’exemption de minimis pour les marchandises importées aux États-Unis en provenance du Canada. Cette exemption permettait aux marchandises d’une valeur inférieure ou égale à 800 dollars d’échapper aux droits et taxes. En outre, ces envois font généralement l’objet d’un examen moins approfondi lorsqu’ils traversent la frontière, ce qui peut poser des problèmes, par exemple, pour tracer et arrêter le flux de substances illicites vers les États-Unis, une question soulevée dans le décret.
Le décret s’appliquera à toutes les « marchandises mises à la consommation ou retirées d’un entrepôt pour être mises à la consommation à partir de 0 h 01, heure de l’Est, le 4 février 2025 », mais prévoit une petite exemption pour toutes les marchandises qui ont été « chargées sur un navire au port de chargement ou en transit sur le dernier mode de transport avant leur entrée aux États-Unis avant 0 h 01, heure de l’Est, le 1er février 2025 ».
Le décret stipule également que si le Canada prend des mesures de rétorsion contre les États-Unis en réponse à ces actions, par exemple en imposant des droits d’importation sur les exportations américaines vers le Canada (ou d’autres mesures similaires), comme c’est souvent le cas en réponse à l’imposition unilatérale de tarifs douaniers par un État, les tarifs américains peuvent être augmentés ou élargis.
b) Justification des tarifs douaniers
Une note d’information de la Maison Blanche justifiant les tarifs douaniers sur le Canada cite le déficit commercial des États-Unis avec le Canada, ainsi que les dépenses des États-Unis pour la défense territoriale via le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord, comme motifs des tarifs, le « fentanyl/frontière » fermant la liste.
La sécurité aux frontières a souvent été citée comme le principal moteur des menaces tarifaires. En réponse à ces prétendues préoccupations, le gouvernement du Canada a annoncé un programme de 1,3 milliard de dollars pour les frontières, qui permettrait d’augmenter le personnel et d’améliorer la technologie afin de renforcer la sécurité aux frontières. Malgré les références répétées au flux de fentanyl provenant de sources canadiennes, les chiffres de l’agence américaine des tarifs et de la protection des frontières montrent qu’elle n’a saisi que 19,5 kilogrammes de fentanyl à la frontière nord l’année dernière, contre 9 570 kilogrammes saisis à la frontière sud-ouest. Le gouvernement fédéral a néanmoins lancé un nouveau processus réglementaire visant à renforcer le contrôle et la surveillance des précurseurs chimiques utilisés pour produire des opioïdes synthétiques tels que le fentanyl.
Il n’est pas certain que les préoccupations concernant le flux présumé de drogues et de migrants du Canada vers les États-Unis constituent la véritable raison de l’imposition de ces tarifs. Dans un message émanant directement du président Trump, dans lequel il affirme également que les États-Unis versent des milliards de dollars pour « subventionner le Canada », il met l’accent sur une hypothétique annexion du Canada en tant que 51e État, plutôt que sur la résolution de la crise du fentanyl, comme moyen de mettre fin les tarifs douaniers. Il a ensuite publié la note d’information susmentionnée, qui justifie les tarifs. Étant donné que la grande majorité du déficit commercial des États-Unis avec le Canada est due à l’importation d’énergie et de ressources énergétiques, et que celles-ci constituent un intrant vital pour l’économie américaine, il est difficile d’envisager une voie claire pour résoudre ce problème, à moins d’un changement d’approche significatif de la part du président Trump
2. La réponse fédérale du Canada
a) Phase 1 et phase 2
En réponse au décret, le Canada a annoncé une mise en œuvre en deux phases des mesures réciproques.
Comme indiqué ci-dessus, la phase 1 applique un tarif douanier de 25 % aux marchandises qui représentent environ 30 milliards de dollars d’importations annuelles en provenance des États-Unis, à compter du 4 février 2025. Cette mesure, telle qu’énoncée dans le décret mettant en œuvre la phase 1 (le « décret »), est mise en œuvre sous forme de surtaxe conformément au paragraphe 53(2) du Tarif des douanes, qui permet au gouvernement d’imposer des surtaxes (entre autres mesures) « afin de faire respecter les droits du Canada dans le cadre d’un accord commercial conclu avec un pays ou de réagir aux actes, politiques ou pratiques du gouvernement d’un pays qui nuisent ou entraînent directement ou indirectement des effets défavorables sur le commerce des marchandises ou des services du Canada ».
Le décret identifie 1256 codes tarifaires sur lesquels la surtaxe sera imposée, et le communiqué de presse annonçant les mesures réciproques du Canada (le « communiqué de presse ») identifie ces lignes tarifaires comme comprenant « le jus d’orange, le beurre de cacahuète, le vin, les spiritueux, la bière, le café, les appareils électroménagers, les vêtements, les chaussures, les motocycles, les cosmétiques et la pâte à papier ». Toutefois, la liste réelle des codes tarifaires indique que la phase 1 a une portée beaucoup plus large, couvrant un grand éventail de produits provenant d’un grand nombre d’industries différentes, y compris la volaille, les produits laitiers, les céréales, les produits du cacao, les produits en plastique, les pierres précieuses et les minéraux, les meubles et les outils . Les détails de tous les codes tarifaires de ces produits (avec leur description) sont disponibles dans le document d’information du ministère des Finances. Le décret précise également que la surtaxe ne s’appliquera pas aux marchandises en transit vers le Canada à la date d’entrée en vigueur du décret (probablement le 4 février bien qu’il soit possible, en vertu du décret, que la mise en œuvre de la phase 1 soit retardée.
En ce qui concerne la phase 2, le communiqué de presse indique qu’elle visera les produits américains qui représentent environ 125 milliards de dollars d’importations annuelles au Canada. La liste complète des produits visés n’a pas encore été publiée, mais le communiqué de presse indique qu’elle comprendra « les véhicules de tourisme et les camions, y compris les véhicules électriques, les produits en acier et en aluminium, certains fruits et légumes, les produits aérospatiaux, le bœuf, le porc, les produits laitiers, les camions et les autobus, les véhicules de plaisance et les bateaux de plaisance ». Une fois la liste complète publiée, le public disposera d’une période de consultation de 21 jours pour faire part de ses commentaires.
b) Disponibilité de l’allégement tarifaire
Le communiqué de presse indique également qu’une procédure de remise sera mise en place pour examiner les demandes d’exonération des tarifs de la phase 1 et de la phase 2 dans des circonstances exceptionnelles. Ces remises pourraient permettre aux importateurs de marchandises soumises aux tarifs de la phase 1 ou de la phase 2 (ou à d’autres tarifs douaniers futurs) d’être exemptés du paiement des tarifs ou d’obtenir le remboursement des tarifs déjà payés. Le ministère des Finances a publié un aperçu de la procédure de demande de remises (l’« Aperçu des remises »). L’aperçu des remises indique que :
« Le gouvernement examinera les demandes de remise dans les cas suivants :
- Traiter les situations dans lesquelles les biens utilisés comme intrants ne peuvent être obtenus sur le territoire national, que ce soit à l’échelle nationale ou régionale, ou raisonnablement à partir de sources non américaines.
- traiter, au cas par cas, d’autres circonstances exceptionnelles qui pourraient avoir de graves répercussions sur l’économie canadienne ».
L’aperçu des remises indique également que les remises ne seront envisagées que si elles sont nécessaires pour « répondre à des circonstances exceptionnelles et impérieuses qui, du point de vue de la politique publique, l’emportent sur la raison principale qui sous-tend l’application des tarifs ».
L’aperçu des remises fournit un modèle qui identifie les questions spécifiques qui doivent être abordées dans toute demande de remise. Ces questions demandent des informations significatives sur l’entreprise, les biens concernés par les surtaxes, s’il existe des alternatives canadiennes à l’approvisionnement de ces biens et comment les biens sont utilisés par l’entreprise.
Nous notons que, d’après notre expérience des programmes de remise précédents, les remises ne sont prévues que dans des circonstances exceptionnelles. L’examen des demandes de remise prend également beaucoup de temps, en partie parce que le ministère des Finances consulte les parties prenantes de l’industrie canadienne pour connaître leur avis sur la remise. Bien que la remise puisse en fin de compte être utile à certaines entreprises canadiennes, elle n’annulera pas les effets des tarifs et ne constituera pas une solution globale. En règle générale, le simple fait qu’une alternative canadienne ou d’un pays tiers puisse être significativement (mais pas prohibitivement) plus chère ne justifie pas l’octroi d’une remise
3. Réponse de la province
Les gouvernements provinciaux ont également pris des mesures en réponse au décret. Le tableau ci-dessous résume les mesures annoncées jusqu’à présent par les provinces.
Réponse de la province
Province | Mesure/action prise au 2 février |
Dans un premier temps, le premier ministre Eby a annoncé des mesures immédiates en réponse aux tarifs douaniers : · demander à la B.C. Liquor Distribution Branch de cesser immédiatement d’acheter de l’alcool américain en provenance des « États rouges » et de retirer les marques les plus vendues des « États rouges » des rayons des magasins publics d’alcool; et · ordonner au gouvernement et aux sociétés d’État de la Colombie-Britannique d’acheter en priorité des biens et des services canadiens. | |
Aucune mesure spécifique n’a encore été annoncée, mais la première ministre Danielle Smith a indiqué sur les réseaux sociaux que la province « fera tout ce qui est en son pouvoir » pour convaincre les États-Unis de renoncer à cette « politique mutuellement destructrice ». | |
Aucune annonce spécifique n’a encore été faite. Le premier ministre Scott Moe a déclaré qu’il était favorable à des mesures de rétorsion ciblées en réponse aux tarifs, mais qu’elles ne devaient pas être considérées comme des solutions à long terme. | |
La Société des alcools et loteries du Manitoba va cesser de vendre des produits importés des États-Unis. D’autres mesures seront prises dans les prochains jours. | |
Le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, a ordonné à la LCBO de retirer les produits américains de ses rayons et de les supprimer de son catalogue, afin que les autres restaurants et détaillants de l’Ontario ne puissent pas commander ou se réapprovisionner en produits américains.
L’Ontario a également annoncé que les entreprises américaines seraient exclues des marchés publics, et le premier ministre Doug Ford a en outre indiqué que le contrat avec Starlink (détenu par Elon Musk, une figure clé de l’administration Trump) serait résilié. | |
Le gouvernement du Québec a annoncé qu’il demanderait à la Société des alcools du Québec (SAQ) de retirer tous les produits américains de ses rayons d’ici mardi. Cette demande s’applique à toutes les boissons alcoolisées vendues en magasin et en ligne. Le gouvernement ordonnera également à la SAQ de cesser d’approvisionner les épiceries, les agences, les bars et les restaurants en boissons alcoolisées américaines. | |
Aucune mesure spécifique n’a encore été annoncée. Le premier ministre Susan Holt a déclaré qu’un plan d’action complet serait bientôt publié. | |
Le premier ministre Dennis King a déclaré qu’il avait rencontré ses ministres et qu’il travaillait à une réponse forte et coordonnée. Il a également été rapporté que la Liquor Control Commission de l’Île-du-Prince-Édouard allait retirer tous les produits américains de ses rayons. | |
Nova Scotia Liquor Corporation recevra l’ordre de retirer tous les alcools américains des rayons des magasins à compter de ce mardi. La Nouvelle-Écosse limitera également les marchés publics pour les entreprises américaines (en annulant des contrats et en en rejetant d’emblée de nouveaux) et doublera les péages pour les conducteurs américains de véhicules utilitaires sur le col de Cobequid.
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Le premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, Andrew Furey, a déclaré dans un communiqué que les produits américains seraient retirés des magasins d’alcool de la province d’ici mardi. |
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Comme indiqué ci-dessus, la situation est extrêmement fluide et nous nous attendons à ce que de nouvelles informations sur les tarifs douaniers et les contre-mesures soient communiquées quotidiennement par le Canada et les États-Unis. Comme nous l’avons indiqué dans notre dernière alerte client, les entreprises canadiennes peuvent prendre certaines mesures pour atténuer les dommages causés par ces tarifs. Le groupe de droit du commerce international et de l’investissement de McCarthy Tétrault a conseillé, et continue de conseiller, un grand nombre de clients dans une variété d’industries sur la façon de naviguer dans l’incertitude causée par les tarifs américains et les contre-mesures canadiennes. Nous continuerons à suivre et à signaler tout nouveau développement dans ce domaine et nous nous attendons à ce que la prochaine alerte client fournisse plus de détails sur la façon dont ces mesures peuvent avoir un impact sur les chaînes d’approvisionnement et sur les stratégies qui pourraient être utilisées pour faire face à ces impacts.