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​​​​​​​Perspectives fiscales : Résumé de 2021 et aperçu de 2022

2021 a été une année importante pour la fiscalité canadienne.  Le présent article se veut un aperçu des développements législatifs et judiciaires majeurs qui ont touché la fiscalité au Canada en 2021 ainsi que les principales modifications fiscales canadiennes auxquelles on peut s’attendre en 2022.

  L’article est divisé de la façon suivante :


Partie 1 – Aperçu des développements qui ont touché la fiscalité au Canada en 2021

LÉGISLATION EN MATIÈRE DE FISCALITÉ

Le 19 avril 2021, le gouvernement du Canada (le « gouvernement ») a déposé le budget fédéral de 2021 (le « budget de 2021 »)[1].  Le budget de 2021 était le premier budget fédéral du gouvernement en plus de deux ans et sa première annonce majeure des mesures destinées à appuyer la reprise de l’économie canadienne dans la foulée des contrecoups de la pandémie de COVID-19.   Environ huit mois plus tard et après les élections fédérales de l’été 2021, le gouvernement a présenté une mise à jour économique et budgétaire (la « mise à jour budgétaire de 2021 ») le 14 décembre 2021.  Dans la mise à jour budgétaire de 2021, le gouvernement a réaffirmé son engagement envers certaines mesures fiscales prévues dans le budget de 2021 et a annoncé certaines nouvelles mesures fiscales ciblées.  

En 2021, nous avons également assisté à l’adoption :

  • de certaines mesures fiscales qui avaient été précédemment annoncées par le gouvernement dans le budget fédéral de 2019 (le « budget de 2019»);
  • d’une série de modifications de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (la « Loi de l’impôt») et de son règlement d’application concernant une multitude de mesures d’allègement fédérales (prolongées, modifiées et nouvelles) destinées à atténuer les difficultés financières occasionnées par la pandémie de COVID-19.

Dans les sections qui suivent, nous donnons un aperçu de certaines des mesures fiscales les plus marquantes de 2021.

Limites à la déductibilité des intérêts

Le budget de 2021 proposait une nouvelle règle sur le dépouillement des bénéfices visant à contrer l’érosion potentielle de l’assiette fiscale canadienne au moyen de ce que le gouvernement considère comme une déduction inappropriée des frais d’intérêt payables par un contribuable canadien, notamment lorsque i) l’intérêt est payé à une partie liée qui réside dans un territoire à faible taux d’imposition, ii) la dette sous-jacente sert à financer des investissements qui génèrent un revenu non imposable, ou iii) le contribuable canadien se voit imposer un fardeau disproportionné des emprunts d’un groupe multinational contractés auprès de tiers.

La nouvelle règle limitera le montant des frais d’intérêt nets qu’une société, une fiducie, une société de personnes ou une filiale canadienne d’un non-résident peut déduire du calcul de son revenu imposable en fonction d’un  ratio fixe du « BAIIDA fiscal ».  À ces fins, le « BAIIDA fiscal » désigne le revenu imposable avant la prise en compte des frais d’intérêt, des intérêts gagnés et de l’impôt sur le revenu, ainsi que des déductions pour l’amortissement, tel qu’il est calculé en vertu des règles fiscales canadiennes. 

Les membres canadiens d’un groupe auront le droit de transférer la capacité de déductibilité des intérêts non utilisée à d’autres membres canadiens du groupe dont les déductions d’intérêts nets seraient autrement limitées par la règle.  De plus, un membre canadien d’un groupe consolidé peut avoir droit à une limite de déduction des intérêts plus élevée s’il est en mesure de démontrer que le rapport entre les intérêts nets de tiers et le BAIIDA comptable de son groupe consolidé indique qu’une limite de déduction des intérêts supérieure serait appropriée.

Des exemptions à la nouvelle règle sont proposées pour les sociétés privées sous contrôle canadien (les « SPCC ») si le capital imposable utilisé au Canada de la société et de ses sociétés associées est inférieur à 15 millions de dollars, et pour les groupes de sociétés et de fiducies dont le total des frais d’intérêt nets entre leurs membres canadiens ne dépasse pas 250 000 $.  Ajoutons que la nouvelle règle ne devrait pas s’appliquer aux sociétés canadiennes qui ne font pas partie d’une groupe et aux sociétés canadiennes qui sont membres d’un groupe dont aucun des membres n’est un non-résident.

Une fois promulguée, la nouvelle règle s’appliquera pour les années d’imposition qui commencent le 1er janvier 2023 ou après. La règle sera mise en œuvre progressivement selon un ratio fixe de 40 % pour les années d’imposition qui commencent au cours de l’année civile 2023 et de 30 % pour les années d’imposition qui commencent le 1er janvier 2024 ou après, et s’appliquera tant aux nouveaux emprunts qu’aux emprunts existants.

Dans le budget de 2021, le gouvernement a déclaré qu’il prévoyait publier un avant-projet de loi aux fins de commentaires au cours de l’été 2021. Toutefois, au 31 décembre 2021, aucun projet de loi n’avait été publié.  Nous nous attendons maintenant à ce que l’avant-projet soit publié en 2022.

Dispositifs hybrides

En concordance avec les travaux de l’Organisation de coopération et de développement économiques (l’« OCDE ») dans le cadre du projet BEPS, le budget de 2021 proposait l’ajout de nouvelles règles concernant les « dispositifs hybrides ».

Les dispositifs hybrides sont des mécanismes qui exploitent les différences dans le traitement fiscal des entités ou des instruments aux termes des lois fiscales du Canada et d’un ou de plusieurs autres pays pour demander une déduction dans un pays à l’égard d’un paiement transfrontalier dont la réception n’est pas comprise dans le revenu ordinaire du bénéficiaire dans l’autre pays.  Ils comprennent également les arrangements où une déduction est demandée dans deux pays ou plus à l’égard d’une seule dépense économique. 

En vertu des nouvelles règles, un paiement effectué par un résident canadien dans le cadre d’un dispositif hybride ne sera pas déductible aux fins de l’impôt sur le revenu canadien dans la mesure où ce paiement procure une déduction dans un autre pays ou encore s’il n’est pas inclus dans le revenu ordinaire du bénéficiaire.  À l’inverse, lorsqu’un non-résident effectue, dans le cadre d’un dispositif hybride, un paiement qui est déductible dans un autre pays, aucune déduction de ce paiement ne sera permise dans le revenu d’un résident canadien; le paiement reçu par un résident canadien dans le cadre d’un dispositif hybride, quel qu’en soit le montant, sera également inclus dans le revenu et, si le paiement est un dividende d’une société étrangère affiliée, il ne pourra pas être déduit dans le calcul du revenu imposable du résident canadien.

Le budget de 2021 proposait de mettre en œuvre les nouvelles règles sous forme de deux ensembles distincts de mesures législatives. Le premier ensemble devait se limiter à l’asymétrie ayant un effet de déduction et de non-inclusion à l’égard des instruments hybrides, et sa publication était prévue en 2021 pour recueillir les commentaires des parties prenantes pour une application à compter du 1er juillet 2022. Toutefois, au 31 décembre 2021, aucun avant-projet de ce type n’avait été publié.  Nous nous attendons maintenant à ce qu’il soit publié en 2022.   Le deuxième ensemble de mesures législatives traitera des autres formes de dispositifs hybrides, et sa publication est prévue après 2021 pour une application au plus tôt en 2023.

Prix de transfert

Dans le budget de 2021, le gouvernement a annoncé son intention d’amorcer un processus de consultation sur les règles canadiennes relatives aux prix de transfert en vue de protéger l’intégrité du régime fiscal tout en préservant l’attrait du Canada pour les investissements étrangers.  Cette annonce faisait suite à la décision de la Cour suprême du Canada rendue le 18 février 2021 de rejeter la demande d’autorisation du gouvernement d’interjeter appel du jugement de la Cour d’appel fédérale dans Canada c. Cameco Corporation (2020 CAF 112), qui confirmait la décision rendue par la Cour canadienne de l’impôt de ne pas appliquer les règles canadiennes sur les prix de transfert à certains contrats d’achat d’uranium à long terme entre le contribuable constitué en société et sa filiale suisse.  Le gouvernement estime que la décision dans l’affaire Cameco pourrait encourager le déplacement inapproprié des bénéfices des sociétés à l’extérieur du Canada (ce qui réduit l’assiette fiscale canadienne), et a donc déclaré que l’objectif du processus de consultation serait de permettre aux parties prenantes de formuler des commentaires sur les éventuelles mesures prises pour améliorer les règles canadiennes sur les prix de transfert.  Vous trouverez d’autres commentaires de notre cabinet sur la décision dans l’affaire Cameco ici

Au 31 décembre 2021, le processus de consultation publique sur les règles relatives aux prix de transfert du Canada n’avait pas commencé.

Investissement dans l’énergie propre

Réduction de taux pour les fabricants de technologies à zéro émission

Le budget de 2021 proposait de réduire le taux d’imposition fédéral des sociétés applicable sur le revenu admissible provenant de la fabrication et de la transformation de technologies à zéro émission pour les faire passer à : i) 7,5 % (si ce revenu serait autrement imposé au taux général d’imposition des sociétés de 15 %); et ii) 4,5 % (si ce revenu serait autrement imposé au taux d’imposition de 9 % pour les petites entreprises).  Pour avoir droit à un taux réduit, au moins 10 % du revenu brut d’un contribuable provenant de toutes les entreprises actives exploitées au Canada doit être tiré d’activités admissibles de fabrication ou de transformation de technologies à zéro émission.  Les taux réduits s’appliqueront aux années d’imposition commençant après 2021 et seront graduellement éliminés à compter de 2029, en vue d’une élimination complète pour les années d’imposition commençant en 2032.

DPA pour le matériel de production d’énergie propre

Le budget de 2021 proposait de modifier la liste du matériel de production d’énergie propre admissible des catégories 43.1 et 43.2 de la déduction pour amortissement (la « DPA ») en élargissant ces catégories de DPA pour inclure divers équipements de production d’énergie propre et pour retirer certains équipements à base de combustibles fossiles ou de combustibles résiduaires. L’élargissement des catégories 43.1 et 43.2 de la DPA s’appliquera aux biens admissibles qui sont acquis et mis en service à compter du 19 avril 2021.  Le retrait des biens de ces catégories s’appliquera à l’égard des biens qui deviennent prêts à être mis en service après 2024.

Incitatif fiscal pour le captage, l’utilisation et le stockage du carbone

Le budget de 2021 proposait d’instaurer un crédit d’impôt à l’investissement pour promouvoir l’adoption des technologies de capture, d’utilisation et de stockage du carbone.  Le gouvernement a proposé une période de consultation de 90 jours réunissant divers intervenants, à la suite de laquelle un projet de loi pour mettre en œuvre ce crédit d’impôt à l’investissement serait présenté « le plus rapidement possible ».  Au 31 décembre 2021, aucun projet de loi n’avait été dévoilé. 

Taxe sur les services numériques

Le budget de 2021 proposait de mettre en œuvre une taxe sur les services numériques (la « TSN ») à titre de mesure provisoire, jusqu’à l’entrée en vigueur d’une solution multilatérale acceptable.  Le gouvernement cherche à s’assurer que les recettes que tirent les grandes entreprises, étrangères ou domestiques, de la collaboration en ligne avec des utilisateurs au Canada soient assujetties au régime fiscal canadien.  En général, la TSN s’appliquera à un taux de 3 % sur les recettes provenant de certains services numériques qui s’appuient sur la participation, les données et les contributions de contenu des utilisateurs canadiens.  La TSN s’appliquera à une entité qui atteint (ou qui fait partie d’un groupe d’entreprises qui atteint) un revenu global de toutes provenances d’au moins 750 millions d’euros au cours de l’année civile précédente et des recettes en provenance du champ d’application associées aux utilisateurs canadiens de plus de 20 millions de dollars dans l’année civile donnée. 

La proposition relative à la TSN a fait l’objet d’un processus de consultation publique qui s’est déroulé du 19 avril 2021 au 18 juin 2021.  Le 14 décembre 2021, le gouvernement a présenté un avant-projet de loi concernant la TSN.  L’avant-projet de loi prévoit que la TSN sera imposée en date du 1er janvier 2024, mais seulement si l’approche multilatérale du Cadre inclusif de l’OCDE et du G20 n’est pas entrée en vigueur à cette date, et qu’elle s’appliquera rétroactivement aux revenus gagnés en date du 1er janvier 2022.

Règles de divulgation obligatoire

Le budget de 2021 proposait de nouvelles règles de divulgation obligatoire qui i) élargissent les règles relatives aux « opérations à déclarer » de la Loi de l’impôt, ii) créent un nouveau régime de déclaration des opérations d’évitement et autres « opérations d’intérêt » (appelées « opérations à signaler »), et iii) exigent la déclaration des « traitements fiscaux incertains » par les sociétés lorsque certaines conditions sont remplies. Les contribuables (ainsi que les conseillers et les promoteurs) qui ne respectent pas les règles de divulgation proposées peuvent s’exposer à des pénalités importantes et, dans certains cas, à des périodes prolongées de nouvelle cotisation.

Le budget de 2021 prévoyait que les modifications apportées à l’égard de ce qui précède s’appliqueraient aux années d’imposition commençant après 2021; toutefois, dans le cas où les mesures proposées s’appliquent aux opérations, les modifications ne s’appliqueraient qu’aux opérations réalisées le 1er janvier 2022 ou après. Le budget de 2021 indiquait que les pénalités ne s’appliqueraient pas aux opérations effectuées avant la date à laquelle la loi promulguée recevrait la sanction royale.

Les règles de divulgation obligatoire ont fait l’objet d’un processus de consultation publique qui s’est déroulé du 19 avril 2021 au 30 décembre 2021.

Programmes de soutien aux entreprises en réponse à la COVID-19

En 2021, une multitude de modifications ont été apportées à la Loi de l’impôt et à son règlement d’application afin de prolonger et de modifier les mesures d’aide fédérales existantes, comme la Subvention salariale d’urgence du Canada (la « SSUC ») et la Subvention d’urgence du Canada pour le loyer (la « SUCL »), et d’instaurer de nouvelles mesures, comme le Programme d’embauche pour la relance économique du Canada (le « PEREC »), le Programme de relance pour le tourisme et l’accueil, le Programme de relance pour les entreprises les plus durement touchées et le Programme de soutien en cas de confinement local.   Au moment de la rédaction du présent document, ces nouvelles mesures étaient en vigueur jusqu’au 7 mai 2022 et peuvent être prolongées par règlement jusqu’au 2 juillet 2022.  

Notre cabinet a rédigé de nombreux articles sur les diverses mesures de soutien aux entreprises pendant la pandémie.  Notre commentaire prospectif de décembre 2021, de même que les liens vers les commentaires antérieurs, peuvent être consultés ici.

Mise à jour budgétaire de 2021 

La mise à jour budgétaire de 2021 présente l’évaluation que fait le gouvernement de la situation budgétaire du pays, décrit les mesures économiques précédemment adoptées et proposées par le gouvernement pour répondre aux besoins immédiats des particuliers et des entreprises liés à la pandémie de COVID-19 et pour soutenir la reprise économique du Canada dans un tel contexte, et réaffirme l’intention du gouvernement de mettre en œuvre certaines mesures fiscales annoncées dans le budget de 2021, y compris la TSN et les incitatifs fiscaux visant à promouvoir l’investissement dans l’énergie propre.  La mise à jour budgétaire de 2021 n’a annoncé aucune modification des taux d’imposition fédéraux des sociétés ou des particuliers, mais comprenait les nouvelles mesures fiscales suivantes : 

  • un crédit d’impôt remboursable de 25 % pour les petites entreprises qui engagent des dépenses admissibles pour l’amélioration de la qualité de l’air dans des emplacements admissibles entre le 1erseptembre 2021 et le 31 décembre 2022; 
  • un crédit d’impôt remboursable pour le retour des produits issus de la redevance sur les combustibles payée par les entreprises agricoles admissibles en vertu de la taxe fédérale sur le carbone, à compter de l’exercice 2021-2022 de la taxe fédérale sur le carbone.

 Adoption de mesures annoncées antérieurement 

Le 29 juin 2021, une loi fédérale est entrée en vigueur et certaines mesures précédemment annoncées par le gouvernement dans son Énoncé économique de l’automne 2020 et dans son budget de 2019 ont été adoptées. On y retrouve notamment les mesures fiscales suivantes : 

  • des limites au montant des options d’achat d’actions des employés qui peuvent être admissibles à la déduction de 50 % pour les options d’achat d’actions; 
  • l’élargissement des règles sur les opérations de transfert de sociétés étrangères affiliées; 
  • des restrictions sur l’utilisation de la méthode d’« attribution aux détenteurs d’unités demandant le rachat » par les fonds communs de placement;
  • des modifications visant à combler certaines lacunes perçues dans les règles relatives aux mécanismes de prêt de valeurs mobilières;
  • des modifications apportées aux règles sur les prix de transfert au Canada pour préciser que ces règles ont préséance sur l’application d’autres dispositions de la Loi de l’impôt et pour élargir la période de nouvelle cotisation prolongée applicable aux cotisations aux termes de ces règles. 

Pour obtenir des renseignements généraux sur ces nouvelles mesures, les commentaires de notre cabinet sur le budget de 2019 peuvent être consultés ici

DÉCISIONS EN MATIÈRE DE FISCALITÉ

Dans cette section, nous examinons les décisions suivantes rendues par la Cour suprême du Canada (la « CSC »), la Cour d’appel fédérale (la « CAF ») et la Cour canadienne de l’impôt (la « CCI ») :

  • Canada c. Alta Energy Luxembourg S.A.R.L., 2021 CSC 49;
  • Canada c. Canada North Group Inc., 2021 CSC 30;
  • Canada c. Loblaw Financial Holdings Inc., 2021 CSC 51;
  • Bresse Syndics Inc. c. Canada, 2021 CAF 115;
  • Canada v. Deans Knight Income Corporation, 2021 FCA 160 (en anglais seulement);
  • Paletta International Corporation v. Canada, 2021 FCA 182 (en anglais seulement);
  • Glencore Canada Corporation v. The Queen, 2021 TCC 63 (en anglais seulement);
  • CAE Inc. c. La Reine, 2021 CCI 57.

La RGAÉ dans un contexte de chalandage fiscal (Alta Energy, CSC)

Le 26 novembre 2021, la CSC a rendu sa décision dans Canada c. Alta Energy Luxembourg S.A.R.L. (2021 CSC 49), une affaire très suivie mettant en cause le chalandage fiscal et la RGAÉ.  Dans une décision de six contre trois, les juges majoritaires ont confirmé les décisions des tribunaux inférieurs et ils ont conclu que la règle générale anti-évitement (la « RGAÉ ») prévue au paragraphe 245(2) de la Loi de l’impôt ne s’appliquait pas pour refuser au contribuable (« Alta Luxembourg ») l’avantage prévu par la Convention fiscale Canada-Luxembourg (la « Convention »).

En 2011, deux entreprises américaines ont créé une société américaine afin d’acquérir et de mettre en valeur des biens non conventionnels en pétrole et en gaz naturel en Amérique du Nord. Cette société américaine a, à son tour, créé une filiale canadienne en propriété exclusive, Alta Energy Partners Canada Ltd. (« Alta Canada »), pour mener les activités à l’égard d’un bien situé dans le nord-ouest de l’Alberta.  Par suite d’une restructuration en 2012, Alta Luxembourg a été constituée en société et est devenue l’unique actionnaire d’Alta Canada.  Avant cette restructuration, une décision avait été obtenue auprès des autorités fiscales luxembourgeoises selon laquelle la restructuration était conforme à la législation fiscale et aux politiques administratives du Luxembourg.

En 2013, Alta Luxembourg a vendu ses actions d’Alta Canada à un tiers et a donc réalisé un gain en capital de plus de 380 millions de dollars.  Alta Luxembourg a donné la directive de verser le produit de la vente à son seul actionnaire, en échange de l’émission par celui-ci de billets à ordre en faveur d’Alta Luxembourg.   Les billets à ordre ont ensuite été compensés, en partie, par un prêt sans intérêt et un prêt avec participation aux bénéfices.  Ainsi, Alta Luxembourg n’a conservé aucun produit de la vente.   Après la vente, Alta Luxembourg n’a mené aucune autre activité ni fait aucun autre investissement.

Le gain en capital sur la vente de 2013 a été déclaré aux autorités fiscales luxembourgeoises.   Au Canada, Alta Luxembourg a demandé d’être exonérée de l’impôt canadien au motif que le gain n’était pas inclus dans son « revenu imposable gagné au Canada » au sens de l’alinéa 115(1)b) de la Loi de l’impôt puisque les actions étaient des « biens protégés par traité » au sens des paragraphes 13(4) et (5) de la Convention.  Le paragraphe 13(4) de la Convention prévoit que les résidents du Luxembourg sont exonérés de l’impôt canadien lorsqu’ils tirent un gain en capital de l’aliénation d’actions dont la valeur est principalement tirée de biens immobiliers situés au Canada et dans lesquels la société a exercé son activité (c.-à-d. l’« exonération relative aux biens d’entreprise »).

La ministre a refusé l’exonération demandée au motif que l’exonération relative aux biens d’entreprise prévue au paragraphe 13(4) de la Convention ne s’appliquait pas et, à titre subsidiaire, que la RGAÉ prévue à l’article 245 de la Loi de l’impôt devait s’appliquer.

Le contribuable a interjeté appel devant la CCI, qui a accueilli l’appel du contribuable.   Le juge Hogan a conclu que le contribuable avait respecté les exigences relatives aux biens d’entreprise et que la RGAÉ ne s’appliquait pas.    La Couronne a ensuite interjeté appel auprès de la CAF, où la seule question était de savoir si la RGAÉ s’appliquait.     La CAF a confirmé la décision de la CCI, et la Couronne a donc interjeté appel devant la CSC.

En appel devant la CSC, la Couronne a soulevé deux arguments principaux :

  • la CAF n’a pas effectué l’analyse appropriée de la RGAÉ et s’est concentrée à tort sur le texte de la Convention pour déterminer l’objet et l’esprit des dispositions invoquées;
  • le contribuable s’est livré à du « chalandage fiscal » parce qu’il n’avait que des liens économiques ou commerciaux limités avec le Luxembourg et qu’il essayait simplement de se prévaloir de l’avantage prévu par la Convention sans mener réellement des activités au Luxembourg, et que le « chalandage fiscal » constitue un abus de la Loi de l’impôt ou de la Convention.

Alta Luxembourg a soulevé deux arguments principaux en réponse :

  • le texte des dispositions de la Convention est clair et la raison d’être des dispositions pertinentes s’y trouve. Une analyse textuelle, contextuelle et téléologique de ces dispositions n’indique aucunement un objet des dispositions au-delà du libellé clair des dispositions de la Convention;
  • la ministre, en cherchant à faire appliquer la RGAÉ, tentait de restreindre l’accès aux avantages conférés par la Convention aux sociétés ayant des « liens économiques substantiels suffisants » avec leur pays de résidence, restriction qui brille par son absence dans le texte de la Convention.

Dans une décision de six contre trois, la majorité de la CSC s’est rangée du côté d’Alta Luxembourg et a rejeté l’appel.   Les juges majoritaires ont conclu que le soi-disant « chalandage fiscal » n’est pas nécessairement abusif et ont mis en garde les tribunaux contre l’utilisation de la RGAÉ pour imposer des jugements de valeur sur ce qu’ils croient être « bien » ou « mal » en matière de droit et de politique fiscale. Comme l’a déclaré la juge Côté (aux paragraphes 94 et 96) :

Il ressort nettement de la Convention que le Canada et le Luxembourg ont convenu que le pouvoir de lever des impôts serait conféré au Luxembourg, pour autant que les conditions de l’exonération soient remplies.   Rien dans la Convention ne laisse croire qu’une société-relais à but unique, résidente du Luxembourg, ne peut pas se prévaloir des avantages prévus par la Convention ou qu’elle devrait se les voir refuser pour toute autre raison, comme le fait que ses actionnaires ne sont pas eux-mêmes résidents du Luxembourg.  En l’espèce, les dispositions ont été appliquées comme elles le devaient. Il n’y a pas eu d’abus et, par conséquent, la RGAÉ ne peut pas être utilisée pour refuser l’avantage fiscal demandé.

[...]

une dernière remarque sur l’insinuation faite par la ministre selon laquelle les stratégies de chalandage fiscal sont intrinsèquement abusives. Une simple allégation de « chalandage fiscal » ne saurait satisfaire aux exigences de l’analyse fondée sur la RGAÉ. Conformément à la séparation des pouvoirs, il appartient aux pouvoirs exécutif et législatif d’élaborer des politiques fiscales. Les tribunaux n’ont ni la légitimité constitutionnelle ni les ressources nécessaires pour établir de telles politiques (Trustco Canada, par. 41). Il revient aux pouvoirs exécutif et législatif de décider ce qui est bien et ce qui est mal, puis de transformer ces conclusions en lois applicables par les tribunaux. Je le répète, il ne faut pas confondre l’application de la RGAÉ avec « le jugement de valeur quant à ce qui est bien ou mal non plus qu’avec les conjectures sur ce que devrait être une loi fiscale ou sur l’effet qu’elle devrait avoir » (Copthorne, par. 70). Le contribuable « peut opter pour les avenues ou les opérations qui sont propres à réduire son obligation fiscale » (Copthorne, par. 65).[6]

Le commentaire détaillé de notre cabinet sur cette décision peut être consulté ici (en anglais seulement). 

Priorité des créances fiscales en cas de faillite et d’insolvabilité (Canada North Group, CSC)

Dans l’affaire Canada c. Canada North Group Inc. (2021 CSC 30), la CSC a conclu, dans une décision de cinq contre quatre, que les tribunaux qui supervisent la restructuration de la dette d’une société ont le pouvoir d’ordonner des charges super prioritaires afin de faciliter le processus de restructuration.

Dans cette affaire, Canada North Group et six sociétés liées ont intenté une procédure de restructuration sous le régime de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (la « LACC »). Dans la demande initiale qu’elles ont présentée en vertu de la LACC, elles réclamaient une série de mesures de redressement, y compris la création de trois charges : i) une charge visant des frais administratifs constituée en faveur des avocats, du contrôleur et du directeur de la restructuration pour les frais qu’ils avaient engagés; ii) une charge de financement en faveur d’un prêteur temporaire; et iii) une charge constituée en faveur des administrateurs et des dirigeants en vue de les protéger contre les obligations contractées après l’introduction de la restructuration. Le juge chargé d’appliquer la LACC a rendu une ordonnance précisant que ces charges (les « charges super prioritaires ») devaient avoir « priorité sur tou[tes] les autres [...], garanties, [...], charges et sûretés, créances de créanciers garantis, d’origine législative ou autre », et ne devaient pas être « autrement imitées ou compromises de quelque façon que ce soit par [...] les dispositions de toute loi fédérale ou provinciale ».

La Couronne a par la suite déposé une requête en modification, plaidant que les charges super prioritaires ne pouvaient avoir priorité sur la fiducie réputée créée par le paragraphe 227(4.1) de la Loi de l’impôt à l’égard des retenues à la source non versées. La requête en modification a été rejetée, tout comme l’appel de la Couronne à la Cour d’appel. La Couronne a ensuite interjeté appel devant la CSC.

La CSC a exposé quatre séries de motifs : deux pour les juges majoritaires et deux pour les juges dissidents. Trois des cinq juges de la majorité ont établi que les charges super prioritaires l’emportaient sur la fiducie réputée créée par le paragraphe 227(4.1) de la Loi de l’impôt au motif que la fiducie réputée ne crée pas un intérêt à titre de propriétaire sur les biens du débiteur. De plus, une charge super prioritaire ordonnée par un tribunal en vertu de la LACC ne constitue pas une garantie au sens du paragraphe 224(1.3) de la Loi de l’impôt. Par conséquent, il n’y a pas de conflit entre le paragraphe 227(4.1) de la Loi de l’impôt et l’ordonnance du tribunal, ni entre la Loi de l’impôt et l’article 11 de la LACC, qui confère au tribunal de surveillance le pouvoir de « rendre [...] toute ordonnance qu’il estime indiquée ». Ce pouvoir n’est limité que par les restrictions imposées par la LACC elle-même, ainsi que par la condition requérant que l’ordonnance soit indiquée dans les circonstances. Comme il faut souvent obtenir l’aide de nombreux professionnels pour restructurer une compagnie sous le régime de la LACC, il est nécessaire de constituer des charges super prioritaires en faveur de ces professionnels pour que les parties prenantes bénéficient d’une valorisation maximale. Il serait contraire à l’équité et au bon sens qu’un contrôleur et des prêteurs s’exposent à des risques afin de restructurer une compagnie et de l’aider à se développer, puis découvrent par la suite qu’une fiducie réputée prévaut sur l’ensemble des créances.

N’étant associé à aucun bien précis, ce qui conférerait à son titulaire le droit habituel à la jouissance du bien ou lui imposerait les obligations d’un fiduciaire, l’intérêt créé par le paragraphe 227(4.1) ne possède pas les attributs qui permettent à un tribunal de qualifier le bénéficiaire de propriétaire bénéficiaire. En outre, en droit civil québécois, le paragraphe 227(4.1) ne crée pas de fiducie légale, car il ne satisfait pas aux conditions prévues aux articles 1260 et 1261 du Code civil du Québec. On ne retrouve pas l’élément principal d’une fiducie civiliste dans la fiducie réputée créée en application du paragraphe 227(4.1) : aucun bien précis n’est transféré au patrimoine fiduciaire, et il n’existe aucun patrimoine autonome auquel sont transférés des biens précis. Que Sa Majesté soit ou non un « créancier garanti » au sens de la LACC, la possibilité de rendre des ordonnances plus spécifiques n’a pas pour effet de restreindre le vaste pouvoir de surveillance conféré au tribunal par l’article 11.

Deux des juges de la majorité, dans leurs opinions concordantes, ont noté les différences entre la LACC et la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (la « LFI ») en ce qui concerne la fiducie réputée à l’égard des retenues à la source non versées. Dans la LFI, le droit de bénéficiaire de la Couronne prévu au paragraphe 227(4.1) est confirmé et, aux termes de l’article 67 de la LFI, le montant est explicitement exclu des biens d’un failli. En revanche, bien que la LACC protège le droit de la Couronne sur les retenues à la source non versées, elle ne prévoit pas expressément que les biens de la fiducie devraient être écartés.

Interprétation de l’expression « mener une entreprise » sous le régime du RÉATB (Loblaw, CSC)

Dans l’affaire Canada c. Loblaw Financial Holdings Inc. (2021 CSC 51), la CSC s’est penchée sur le sens de l’expression « entreprise exploitée principalement avec » à l’alinéa a) de la définition d’« entreprise de placement » du paragraphe 95(1) de la Loi de l’impôt, et a conclu que le fait de fournir des capitaux et d’exercer une surveillance de l’entreprise n’équivalait pas à mener une entreprise avec une société étrangère affiliée.   En conséquence de cette conclusion, le contribuable a pu se prévaloir d’une exception au régime du revenu étranger accumulé, tiré de biens (« RÉATB ») pour les institutions financières qui remplissent certaines conditions.   La décision comprend un certain nombre de déclarations favorables aux contribuables, notamment les suivantes (aux paragraphes 41 et 60) :

Cette question précise d’interprétation législative nous oblige à faire appel au cadre d’analyse bien établi selon lequel « l’interprétation des lois consiste à dégager l’intention du législateur en examinant les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie et l’objet de cette loi » […]. Là où l’analyse se corse, c’est lorsqu’il s’agit de déterminer le poids relatif à accorder au texte, au contexte et à l’objet.  Lorsque le libellé d’une loi est « précis et non équivoque », le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial […]. En matière fiscale, une méthode « textuelle, contextuelle et téléologique unifiée » continue de s’appliquer […]. Toutefois, dans l’application de cette méthode unifiée, le caractère singulier et précis de nombreuses dispositions fiscales, de même que le principe énoncé dans l’arrêt Duke of Westminster (selon lequel les contribuables sont en droit d’organiser leurs affaires pour réduire au minimum l’impôt à payer) commandent de se concentrer attentivement sur le texte et le contexte de la loi pour cerner l’objectif général du régime […]. Cette méthode est particulièrement pertinente dans le cas qui nous occupe, où la disposition en cause fait partie du régime très détaillé et précis du REATB.  Je tiens à rappeler qu’il ne s’agit pas d’une affaire mettant en cause une règle générale anti-évitement.  La disposition en litige fait partie d’une exception à la définition du terme « entreprise de placement » dans le cadre du régime très complexe et défini du REATB.  Pour que les contribuables sachent à quoi s’en tenir dans un tel régime, il faut donner leur plein effet aux mots précis et non équivoques employés par le Parlement.  

[...]

Quant à l’allégation de la Couronne suivant laquelle l’objectif de l’exigence relative à l’absence de lien de dépendance est de prévenir l’évitement fiscal, il s’agit là aussi d’une tentative d’établir une règle anti-évitement spécifique en l’absence de toute intention législative exprimée en ce sens.   Pour que cet argument soit retenu, il nous faudrait réécrire la loi.  Pour reprendre les propos de la juge en chef McLachlin et du juge Major, « [l]orsque le législateur précise les conditions à remplir pour obtenir un résultat donné, on peut raisonnablement supposer qu’il a voulu que le contribuable s’appuie sur ces dispositions pour obtenir le résultat qu’elles prescrivent ».   [C’est nous qui soulignons.]

Le commentaire détaillé de notre cabinet sur cette décision peut être consulté ici.

Contrôle de fait (Bresse Syndics, CAF)

Dans l’affaire Bresse Syndics Inc. c. Canada (2021 CAF 115), la CAF a confirmé la décision de la CCI dans l’affaire CO2 Solution Technologies Inc. c. La Reine (2019 CCI 286) et a rejeté l’appel du contribuable. 

La question était de savoir si une société publique exerçait un contrôle (de droit ou de fait) sur le contribuable, CO2 Solution Technologies Inc., de sorte que le contribuable n’était pas une société privée sous contrôle canadien (« SPCC ») au sens du paragraphe 125(7) de la Loi de l’impôt et n’avait pas droit aux crédits d’impôt bonifiés pour les activités de recherche scientifique et de développement expérimental (« RS&DE ») offerts uniquement aux SPCC.

En 2004, CO2 Solution Inc. (« CO2 Publique ») est devenue une société publique.  Dans le cadre d’une réorganisation en 2005 : i) CO2 Publique a transféré ses activités de RS&DE au contribuable; ii) CO2 Publique et le contribuable ont conclu une convention de recherche; iii) une fiducie québécoise (la « Fiducie »), dont les fiduciaires devaient être (suivant les modalités de l’acte de fiducie) membres du conseil d’administration de CO2 Publique, est devenue l’unique actionnaire du contribuable.   À la suite de la réorganisation, le contribuable a réclamé les crédits bonifiés pour les activités de RS&DE dans sa déclaration de revenus de 2009.  L’ARC a refusé les crédits au motif que le contribuable était contrôlé directement ou indirectement par CO2 Publique et, par conséquent, n’était pas une SPCC.  La CCI a conclu que CO2 Publique exerçait un contrôle de droit et de fait et a rejeté l’appel du contribuable.   Le contribuable a alors porté l’affaire en appel devant la CAF.

Devant la CAF, le contribuable a soutenu qu’il n’y avait pas de contrôle de droit parce que l’acte de fiducie était un document « externe » à la société, et qu’il n’y avait pas de contrôle de fait parce que l’acte de même que certains autres documents ne constituaient pas des conventions juridiquement contraignantes comme l’exigeait l’arrêt McGillivray Restaurant Ltd. c. Canada (2016 CAF 99). [2]   En maintenant la décision de la CCI, la CAF a déclaré (au paragraphe 26) :

Je conviens avec l’appelante que l’analyse du contrôle de droit doit en principe se limiter aux documents internes de la société visée, ce qui exclut à première vue l’acte de Fiducie. Or, selon Duha Printers, il peut être pertinent d’examiner l’acte constitutif d’une fiducie qui est actionnaire d’une société afin de déterminer si ce document restreint la capacité des fiduciaires d’exercer leurs droits de vote sur les actions détenues par la fiducie (Duha Printers aux par. 48 à 50).

Toutefois, la CAF a conclu qu’il n’était pas nécessaire de déterminer si l’acte de fiducie imposait aux fiduciaires ce type de restriction (de sorte que CO2 Publique aurait exercé un contrôle de droit) puisque : i) il suffisait de conclure que CO2 Publique avait un contrôle de fait; et ii) l’acte conférait à CO2 Publique « un droit et une capacité ayant force exécutoire de procéder à une modification du conseil d’administration [du contribuable] ou de ses pouvoirs, ou d’influencer les actionnaires qui ont ce droit et cette capacité » (c.-à-d. le critère du contrôle de fait énoncé dans l’arrêt McGillivray).  Ayant conclu que l’acte de fiducie permettait à CO2 Publique d’exercer un contrôle de fait, la CAF a déclaré qu’il n’était pas nécessaire d’établir si d’autres documents constituaient également des arrangements juridiquement contraignants permettant à CO2 Publique d’exercer un contrôle sur le contribuable.

Cette décision a été rendue en juin 2021.  Deux mois plus tard, la CAF a rendu sa décision dans l’affaire Deans Knight (analysée ci-dessous), qui portait également sur le concept de contrôle.

Contrôle effectif (Deans Knight, CAF)

Dans l’affaire Canada v. Deans Knight Income Corporation (2021 CAF 160), la CAF a renversé la décision de la CCI concernant l’application de la RGAÉ à un arrangement de monétisation de pertes fiscales. Le 4 octobre 2021, le contribuable a demandé l’autorisation d’interjeter appel devant la CSC.

Le contribuable était une société publique canadienne qui disposait d’environ 90 millions de dollars d’attributs fiscaux constitués de pertes autres qu’en capital et d’autres déductions provenant de l’exploitation d’activités de recherche sur les médicaments et les additifs alimentaires. Par suite de difficultés financières en 2007, le contribuable a étudié les possibilités d’utiliser la valeur de ses attributs fiscaux. Tout d’abord, au début de 2008, conformément à un plan d’arrangement, les actionnaires existants ont échangé leurs actions du contribuable contre des actions d’une nouvelle société publique (« Newco »), de sorte que le contribuable est devenu une filiale à part entière de Newco. Ensuite, le contribuable et Newco ont conclu un accord d’investissement avec Matco Capital Ltd. (« Matco »), une société de capital-risque. Aux termes de l’accord d’investissement, Matco a accepté de verser au contribuable un montant initial de 3 millions de dollars pour des débentures convertibles, au gré de Matco, en des actions avec et sans droit de vote, ce qui lui procurait 79 % des capitaux propres et 35 % des actions avec droit de vote du contribuable. Matco a également accepté de payer 800 000 $ un an plus tard. Matco a versé le paiement supplémentaire conformément à son obligation de faire une offre à Newco pour acheter les actions restantes du contribuable en contrepartie d’un montant de 800 000 $ ou de payer simplement 800 000 $ sans acquérir les actions.

L’accord d’investissement prévoyait que Matco prendrait des dispositions pour réaliser un premier appel public à l’épargne (« PAPE ») ou une opération similaire. L’accord d’investissement comportait un certain nombre de restrictions régissant les parties, notamment l’obligation d’obtenir le consentement de Matco avant que le contribuable ou Newco, qui était l’unique actionnaire, puisse réaliser un certain nombre d’étapes corporatives (paragraphes 98 à 103).

L’actif et le passif du contribuable, y compris le produit de 3 millions de dollars provenant des débentures, ont été distribués à Newco. Ainsi, le contribuable est effectivement devenu une coquille n’ayant aucun actif (autre que les attributs fiscaux) et un seul passif, les obligations envers Matco au titre des débentures convertibles.

Les opérations ont été structurées de manière à ce que Matco détienne moins de 50 % des actions avec droit de vote du contribuable, afin que le paragraphe 111(5) de la Loi de l’impôt n’empêche pas le contribuable d’utiliser les attributs fiscaux. La CAF a noté que l’option accordée à Matco de payer le montant de 800 000 $ sans acquérir d’actions était nécessaire pour lui éviter d’acquérir un contrôle de droit si Matco n’était pas en mesure de prendre des dispositions pour réaliser un PAPE ou une opération similaire. Un PAPE ou une opération similaire était un élément essentiel du plan fiscal pour préserver les attributs fiscaux, puisqu’il n’y aurait alors aucune acquisition d’un contrôle par « une personne ou un groupe de personnes » aux termes de laquelle les actions du contribuable seraient détenues par un grand nombre d’actionnaires.

Au début de 2009, Matco a réalisé un PAPE du contribuable avec Deans Knight Capital Management Ltd. Immédiatement avant la clôture du PAPE, Matco a converti ses débentures en actions du contribuable. Le contribuable a réuni 100 millions de dollars lors du PAPE auprès d’un groupe vaste et varié de nouveaux investisseurs et a changé sa dénomination sociale pour Deans Knight Income Corporation. Après la clôture du PAPE, Matco a fait une offre à Newco en vue d’acheter la totalité des actions du contribuable pour 800 000 $, offre qui a été acceptée. Matco détenait moins de cinq pour cent du total des capitaux propres du contribuable.

Le produit obtenu par le contribuable dans le cadre du PAPE a été investi dans des titres de créance. Le contribuable a déduit la majorité de ses attributs fiscaux de 90 millions de dollars au cours des années d’imposition 2009 à 2012 afin de réduire l’impôt à payer pour les opérations sur titres de créance. Il est à noter que ces années étaient antérieures à l’adoption de l’article 256.1 dans lequel le contrôle est réputé avoir été acquis lorsque la participation de l’investisseur dépasse 75 % et que l’investisseur opte intentionnellement pour une position sans contrôle afin de ne pas restreindre l’utilisation future par la société cible de ses pertes antérieures.

L’ARC a établi une nouvelle cotisation pour le contribuable au motif que : i) il y a eu une acquisition de contrôle par Matco en vertu du paragraphe 256(8) de la Loi de l’impôt, et ii) la RGAÉ s’appliquait aux opérations, car elles ont donné lieu à un abus des dispositions de la Loi de l’impôt qui restreignent l’utilisation des attributs fiscaux à la suite d’une acquisition de contrôle.

La CCI a accueilli l’appel du contribuable, concluant que Matco n’avait pas acquis le droit d’acheter la majorité des actions avec droit de vote aux fins du paragraphe 256(8) et a soutenu également que, bien qu’il y ait eu un avantage fiscal et une opération d’évitement, la RGAÉ ne s’appliquait pas puisqu’il n’y avait pas eu d’abus.

La Couronne a interjeté appel devant la CAF des conclusions de la CCI concernant le critère d’évitement abusif prévu au paragraphe 245(4), au motif que les opérations contournaient l’objet et l’esprit de l’alinéa 111(1)a), du paragraphe 111(5) et du paragraphe 256(8) de la Loi de l’impôt.

Avant de commencer son analyse du critère d’évitement abusif, la CAF a déclaré que, malgré la position de la Couronne, il suffisait de se concentrer uniquement sur le paragraphe 111(5).

Étape 1 – Quels sont l’objet et l’esprit du paragraphe 111(5)?

La CAF était d’accord avec la conclusion de la CCI quant à l’objet et à l’esprit du paragraphe 111(5), essentiellement pour les motifs invoqués (CCI, paragraphes 100 à 134, reproduits à l’annexe B du jugement de la CAF) et résumés comme suit : « l’objet et l’esprit [...] appellent la restriction des manipulations des pertes d’une société par une nouvelle personne ou un nouveau groupe de personnes qui assume le contrôle effectif des actions de la société. » Cependant, la CAF a jugé que l’utilisation du terme « contrôle effectif » par la CCI manquait de clarté. Le fait que les parties, dans leurs observations présentées à la CAF, ont présumé que la CCI utilisait ce terme comme synonyme de contrôle de droit le montre bien.

Par conséquent, la CAF a modifié la terminologie afin d’éviter toute confusion et a reformulé l’objet et l’esprit : [TRADUCTION] « restreindre l’utilisation de pertes déterminées, y compris les pertes autres qu’en capital, si une personne ou un groupe de personnes a acquis un contrôle effectif sur les actions de la société, que ce soit par un contrôle de plein droit ou autrement » (paragraphe 72).

La CAF a rejeté l’argument du contribuable selon lequel l’objet et l’esprit du paragraphe 111(5) sont entièrement exprimés dans son texte. Les règles anti-évitement spécifiques de la Loi de l’impôt (p. ex., l’article 256.1, les dispositions relatives au contrôle de fait, le paragraphe 111(5) et son historique ainsi que les paragraphes 256(5.11) et 256(7)) ne sont pas le reflet d’une politique voulant que la RGAÉ ne s’applique pas. De plus, l’argument est incompatible avec la décision de la CAF dans l’affaire Birchcliff Energy Ltd. c. Canada (2019 CAF 151) selon laquelle la RGAÉ est applicable aux opérations qui contournaient le paragraphe 256(7), une règle anti-évitement spécifique.

En outre, la CAF a noté que l’argument du contribuable ne tenait pas compte de l’aspect téléologique, précisant que l’intention clairement exprimée par le gouvernement et la jurisprudence dégagée par la Loi de l’impôt qui visent généralement à empêcher les échanges de pertes sont des facteurs téléologiques permettant d’éclairer le raisonnement sous-jacent du paragraphe 111(5) (paragraphes 77 à 81).  La CAF a reconnu que l’objet et l’esprit du paragraphe 111(5) qu’elle énonce incluent des formes de contrôle de droit et de fait, mais la RGAÉ ayant pour objet de compléter les dispositions de la Loi de l’impôt, il n’y a donc rien d’incompatible avec cette conclusion, même si ce texte ne concerne que le contrôle de droit (paragraphe 83). Au moment de sa mise en place en 1988, la RGAÉ visait précisément l’érosion des recettes fiscales découlant de l’application inattendue des reports prospectifs de pertes (paragraphes 80 et 85).

La CAF a remis [TRADUCTION] « à plus tard » l’examen de l’argument de la Couronne selon lequel l’objet et l’esprit du paragraphe 111(5) font intervenir des situations où il y a un manque de continuité de l’actionnariat, soit un changement d’actionnaires plutôt qu’un changement de contrôle.

Étape 2 : Une opération donne-t-elle lieu à un abus?

La CAF a jugé que les opérations relatives à l’accord d’investissement constituaient des opérations d’évitement. L’accord d’investissement donnait à Matco un « contrôle effectif » sur le contribuable, y compris l’approbation du PAPE ou d’une opération similaire. Les importantes restrictions imposées aux actions du contribuable et de Newco par l’accord d’investissement (paragraphes 98 à 103) étaient telles qu’il n’y avait aucune possibilité réelle de rejet d’un PAPE ou d’une opération similaire par le contribuable ou par Newco. Dans un tel cas, Newco aurait renoncé à 800 000 $. Comme Matco a fait l’acquisition du « contrôle effectif » du contribuable à la suite d’opérations aux termes desquelles les pertes antérieures du contribuable pouvaient être utilisées, les opérations ont contrecarré l’objet du paragraphe 111(5) et la RGAÉ s’est appliquée pour empêcher le contribuable d’utiliser ses pertes antérieures.

La CAF s’est également penchée sur le commentaire de la CCI selon lequel Matco n’avait pas besoin du contrôle pour mener à bien son plan fiscal, puisqu’il aurait été possible pour Newco de réaliser un PAPE sans l’aide et la participation de Matco (paragraphe 109). La CAF a déclaré qu’il n’était pas pertinent de savoir si une autre opération aurait pu être réalisée. Pour analyser le critère de l’évitement abusif aux termes de la RGAÉ, il faut déterminer si les dispositions pertinentes ont été contrecarrées par les opérations réalisées (paragraphe 110).  À première vue, cette déclaration semble contredire la déclaration antérieure de la CAF dans l’affaire Univar Holdco Canada ULC c. Canada (2017 CAF 207) selon laquelle d’autres opérations auraient permis d’obtenir le même résultat sans entraîner une charge d’impôt constitueraient un élément pertinent pour décider si l’opération d’évitement était abusive (paragraphe 19).

Dispense de l’obligation d’alléguer un « trompe-l’œil » (Paletta, CAF)

Dans l’affaire Paletta International Corporation v. Canada (2021 CAF 182), les contribuables ont cherché à faire annuler une décision de la CCI de 2019 rendue par le juge Hogan et à faire ordonner un nouveau procès.   Selon les contribuables : i) la CCI avait tranché la question principale (à savoir si les dépenses liées à la distribution de films étaient déductibles) en s’appuyant sur une théorie qui n’avait été soulevée par aucune des parties et pour laquelle les contribuables n’avaient pas reçu un avis suffisant, et ii) la CCI avait injustement tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité concernant la distribution de films, et cette conclusion avait injustement influencé sa décision sur la deuxième question (à savoir si les gains réalisés sur la vente de terrains étaient au titre du revenu ou du capital).  Il convient de noter que la CCI elle-même s’est interrogée sur la possibilité d’un manque d’équité procédurale et a fourni des motifs détaillés pour appuyer sa conclusion que ce n’était pas le cas.

La CAF était en désaccord avec les arguments des contribuables et a estimé qu’ils connaissaient le dossier qu’ils avaient à défendre et qu’ils avaient eu l’occasion de présenter une réponse.  En réponse à l’argument des contribuables selon lequel la décision devrait être annulée pour cause d’iniquité procédurale, puisque la question des frais de distribution de films avait été tranchée sur la base de l’application de la notion de trompe-l’œil, qui n’avait été soulevée par aucune des parties, le juge Woods a déclaré (au paragraphe 19) :

[TRADUCTION] L’étiquette de « trompe-l’œil » apposée à l’arrangement par la Cour ne signifie pas que les appelants n’avaient pas été informés de la question dont ils devaient faire valoir le bien-fondé.   La question avait été clairement exposée dans les hypothèses factuelles.  Il n’y avait aucune raison pour que les hypothèses utilisent explicitement le terme « trompe-l’œil » ou indiquent explicitement qu’il y avait eu une supercherie. Mais il est évident, d’après les hypothèses pertinentes, que le ministre a présumé qu’il y avait eu une supercherie à l’égard des options.  La réponse que les appelants devaient faire valoir ressortait clairement des hypothèses plaidées.

Indemnités de rupture des négociations (Glencore, CCI)

Dans l’affaire Glencore Canada Corporation v. The Queen (2021 CCI 63), la CCI a jugé que les indemnités de rupture des négociations reçues dans le contexte de l’échec d’une fusion constituaient un revenu d’entreprise.

En 1996, le prédécesseur du contribuable a présenté une offre de fusion avec Diamond Fields Resources Inc. (« DFR »), société minière canadienne publique qui possédait des concessions minières dans un important gisement de nickel-cuivre-cobalt situé à Voisey’s Bay, au Labrador. La fusion s’inscrivait dans le cadre d’un plan d’arrangement selon lequel les actionnaires de DFR recevraient des actions du contribuable, des espèces et des billets échangeables d’une valeur totale d’environ 4,1 milliards de dollars. DFR a versé une commission d’engagement de 28 206 106 $ à la signature de l’accord de fusion. L’accord de fusion prévoyait également une indemnité de non-réalisation de 73 335 881 $.

Une fois l’accord d’arrangement devenu exécutoire, un concurrent du contribuable qui possédait déjà des actions de DFR a fait une offre pour acheter les actions restantes de DFR moyennant des actions, des espèces et des billets échangeables d’une valeur totale d’environ 4,3 milliards de dollars, offre qui a été acceptée par les actionnaires de DFR en août 1996. En conséquence, DFR a payé au contribuable l’indemnité de non-réalisation (collectivement, avec la commission d’engagement, les « indemnités de rupture des négociations »).

Le contribuable était d’avis que les indemnités de rupture des négociations constituaient des rentrées de capital non imposables. L’ARC était en désaccord, ce qui a donné lieu à l’établissement de nouvelles cotisations qui comprenaient les indemnités de rupture des négociations dans le calcul du revenu, en vertu de l’article 3 ou de l’alinéa 12(1)(x) ou, à titre subsidiaire, les indemnités de rupture des négociations donnaient lieu à un gain en capital en vertu des articles 38 et 39 de la Loi de l’impôt[3].  

La CCI a accepté la position de la Couronne selon laquelle les indemnités de rupture des négociations avaient été correctement traitées comme un revenu. Par conséquent, la CCI n’a pas examiné les arguments relatifs à l’alinéa 12(1)x) ou les gains en capital.

La CCI a conclu que les activités du contribuable ne consistaient pas, de toute évidence, à acquérir et à vendre des sociétés; toutefois, la preuve a clairement établi que son activité comprenait l’acquisition de gisements minéraux. L’acquisition potentielle de DFR était structurée différemment parce qu’il s’agissait d’une société publique. Ainsi, le fait que les actions de DFR devaient être acquises afin d’entrer en possession du gisement de Voisey’s Bay n’avait aucune importance.

La CCI a également conclu que les indemnités de rupture des négociations étaient inextricablement liées aux opérations commerciales ordinaires du contribuable en tant que société minière de ressources nickélifères; l’acquisition potentielle du gisement faisait partie de sa stratégie pour tirer un revenu de son entreprise. Sa stratégie d’acquisition du gisement consistait à maximiser la valeur pour les actionnaires par le maintien et l’accroissement de ses réserves de minerai et par le contrôle de ses coûts de production. Les indemnités de rupture des négociations constituaient un revenu d’entreprise complémentaire obtenu dans le cadre d’activités réalisées en vue de tirer un revenu d’une entreprise. Les indemnités de rupture des négociations étaient nécessaires et faisaient partie intégrante de l’offre concernant DFR, offre dont l’objectif principal était l’acquisition des gisements de nickel.

Prêt remboursable constituant une aide gouvernementale (CAE, CCI)

Dans l’affaire CAE Inc. c. La Reine (2021 CCI 57), la CCI a statué qu’un prêt portant intérêt, non garanti et remboursable consenti au contribuable par le gouvernement constituait une aide gouvernementale.

CAE, un fabricant de systèmes de simulateurs de vol, a engagé plus de 700 millions de dollars de dépenses de RS&DE pour développer de tels systèmes. Le ministère de l’Industrie a versé des « contributions » à CAE de 250 millions de dollars sur cinq ans pour financer la recherche. Après la période de cinq ans, CAE était tenue de « rembourser » au ministère de l’Industrie 135 % des contributions (soit 337,5 millions de dollars) selon des montants prédéterminés échelonnés sur une période de quinze ans.

La CCI a accepté l’argument du contribuable selon lequel la « contribution » constituait un prêt, mais a constaté qu’il n’y avait pas de conditions d’entente commerciale rattachées au prêt. En particulier, le taux d’intérêt effectif du prêt (2,5 %) était inférieur d’environ cinq points de pourcentage au taux du marché, et le prêt ne comportait pas les clauses caractéristiques d’une entente commerciale. La CCI a noté que, du fait de l’utilisation de l’expression « toute autre forme » dans la définition de l’« aide gouvernementale » au paragraphe 127(9), et à la lumière de différentes affaires dont Immunovaccine Technologies Inc. c. Canada (2014 CAF 196), l’expression « aide gouvernementale » a un sens large et englobe les prêts qui sont accordés à des conditions d’entente non commerciale.  Par conséquent, la CCI a conclu que le prêt constituait une « aide gouvernementale » à l’égard de laquelle l’on ne pouvait se prévaloir des avantages liés à la RS&DE, qu’il n’était pas déductible en vertu de l’alinéa 37(1)d) et que, dans la mesure où il n’avait pas été dépensé pour la RS&DE, il pouvait être inclus dans le calcul du revenu en vertu de l’alinéa 12(1)x).

TAXE DE VENTE

En 2021, les nouveautés en matière de législation s’appliquant aux taxes de vente canadienne (soit la taxe sur les produits et services (« TPS »), la taxe de vente harmonisée (« TVH »), la taxe de vente du Québec (« TVQ »), la taxe de vente provinciale (« TVP ») de la Colombie-Britannique et de la Saskatchewan ainsi que la taxe sur les ventes au détail (« TVD ») du Manitoba) ont surtout compris l’adoption de nouvelles mesures fédérales et provinciales annoncées précédemment dans l’Énoncé économique de l’automne 2020 et dans les budgets provinciaux, y compris de nouvelles obligations d’inscription et de perception pour les entreprises non résidentes et les exploitants de plateformes numériques. Un résumé détaillé de ces mesures préparé par notre cabinet l’année dernière se trouve ici, sous la rubrique Taxe de vente – Législation.

Mise en œuvre des mesures relatives à la TPS/TVH annoncées antérieurement

À compter du 1er juillet 2021, les « fournisseurs non résidents » (c.-à-d. les personnes qui ne sont pas inscrites aux termes de la sous-section D de la section V de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise du Canada (la « LTA ») et qui n’exploitent pas une entreprise au Canada) et certains exploitants de plateformes numériques doivent s’inscrire sous le nouveau système simplifié d’inscription aux fins de la TPS/TVH et percevoir la TPS/TVH sur les ventes de biens meubles incorporels et les services rendus à des consommateurs (c.-à-d. les personnes qui ne sont pas inscrites aux termes de la sous-section D de la section V de la partie IX de la LTA) au Canada lorsque le montant de ces ventes dépasse, ou devrait dépasser, 30 000 $ sur une période de 12 mois. 

Ces règles s’appliquent également aux opérateurs de plateformes d’hébergement de courte durée qui facilitent la fourniture d’hébergements de courte durée situés au Canada par des fournisseurs non résidents et des fournisseurs de fournitures liées à un logement au Canada (y compris les frais de réservation et les frais d’administration).

Les fournisseurs non résidents et certains exploitants de plateformes numériques qui facilitent la fourniture de biens admissibles (désignée dans la LTA sous le nom de « fourniture admissible d’un bien meuble corporel ») livrés ou mis à la disposition de consommateurs au Canada (à l’exclusion des fournitures envoyées par courrier ou par messagerie à partir d’une adresse au Canada) sont également soumis à de nouvelles obligations d’inscription et de perception au titre de la TPS/TVH lorsque les recettes provenant de ces ventes dépassent, ou devraient dépasser, 30 000 $ sur une période de 12 mois; toutefois, ces entreprises doivent s’inscrire sous le régime d’inscription normal de la TPS/TVH et non sous le régime d’inscription simplifié décrit ci-dessus.

Les autres mesures relatives à la TPS/TVH annoncées précédemment et adoptées en 2021 comprennent : i) l’adoption de règles visant à élargir l’admissibilité aux crédits de taxe sur les intrants (« CTI ») pour les sociétés de portefeuille aux sociétés de personnes et aux fiducies, et ii) la simplification des règles concernant les exigences en matière de renseignements pour demander des CTI en faisant passer à 100 $ (au lieu de 30 $) les seuils actuels des pièces justificatives nécessaires pour demander des CTI et en permettant aux agents de facturation d’être traités comme des intermédiaires pour l’application des règles en matière d’information visant les CTI.

Harmonisation des règles de la TVQ relatives au commerce électronique

Le 20 mai 2021, le gouvernement du Québec a annoncé dans le Bulletin d’information 2021-3 son intention d’harmoniser les règles relatives au commerce électronique sous le régime de la TVQ en place depuis 2019 avec les modifications apportées à la TPS/TVH qui sont entrées en vigueur le 1er juillet 2021.  Bien que les règles de la TVQ soient maintenant largement harmonisées avec les règles de la TPS/TVH en ce qui a trait au commerce électronique, certaines règles peuvent s’appliquer différemment, particulièrement en ce qui concerne les obligations d’inscription au régime normal ou simplifié de la TPS/TVH et de la TVQ pour les non-résidents qui vendent des produits admissibles à des consommateurs situés au Québec.

Élimination des restrictions relatives aux demandes de remboursement de la taxe sur les intrants et aux CTI pour certains frais spécifiés

À compter du 1er janvier 2021, les restrictions relatives aux demandes de remboursement de la taxe sur les intrants (« RTI ») par les « grandes entreprises » à l’égard de certains frais spécifiés (par exemple, certains frais de repas et de représentation, télécommunications, électricité, etc.) ont été entièrement éliminées, ce qui permet à ces entreprises de demander un RTI complet pour la TVQ payée, ou devenue payable, à l’égard de leur acquisition de biens et de services auxquels les restrictions relatives aux RTI se seraient autrement appliquées.  De plus, à compter du 1er avril 2021, des restrictions similaires sur la récupération de la composante provinciale de la TVH à l’Île-du-Prince-Édouard ont été éliminées, ce qui permet aux « grandes entreprises » auparavant assujetties à ces restrictions de demander la totalité des CTI pour leurs frais concernant des biens et services déterminés.

Adoption des règles de la TVP de la Colombie-Britannique proposées pour les entreprises non résidentes

En plus des règles adoptées au cours des années précédentes concernant les exigences d’inscription et de perception pour certains fournisseurs non résidents aux fins de la TVP de la Colombie-Britannique (« C.-B. »), à compter du 1er avril 2021 : i) les fournisseurs canadiens de biens, et ii) les fournisseurs canadiens et étrangers de logiciels et de services de télécommunication taxables vendus à des consommateurs dans la province sont tenus de s’inscrire à la TVP de la C.-B. et de percevoir et verser la TVP applicable à l’égard des ventes taxables réalisées dans la province si le « seuil spécifié de revenu déterminé C.-B. » dépasse, ou est censé dépasser, 10 000 $ sur une période de 12 mois. Ces règles avaient initialement été annoncées dans le budget de 2020, mais l’adoption a été reportée afin d’offrir un allègement aux entreprises dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Les fournisseurs non résidents devraient revoir leur inscription et leur perception aux fins de la TVP de la C.-B., car les termes « services de télécommunication » et « logiciels » sont définis de manière générale.

Contrairement au gouvernement du Canada et aux autres gouvernements provinciaux, la législation actuelle ne prévoit pas d’obligation d’inscription pour les exploitants de plateformes numériques qui facilitent la vente de biens, de logiciels ou de services de télécommunication par des fournisseurs canadiens et étrangers à des consommateurs situés dans la province. Toutefois, les exploitants de plateformes numériques devraient néanmoins examiner leurs obligations en ce qui a trait à la TVP de la Colombie-Britannique, car ils pourraient être assujettis aux nouvelles règles s’ils effectuent des ventes taxables autrement assujetties à la TVP dans la province (par exemple, en ce qui concerne les frais de service taxables facturés aux fournisseurs situés dans la province).

Nouvelles exigences d’inscription et de perception de la TVP au Manitoba pour les entreprises de commerce électronique

Le Manitoba est la dernière province à avoir annoncé de nouvelles règles d’inscription et de perception pour les exploitants de plateformes numériques et les vendeurs de services de diffusion en continu et d’autres services multimédias, qu’ils aient ou non une présence physique dans la province. Ces règles sont similaires à celles adoptées dans d’autres provinces canadiennes et sont entrées en vigueur le 1er décembre 2021.

Les exploitants de plateformes de vente en ligne qui i) permettent ou facilitent la vente au détail de biens à des consommateurs situés dans la province, et (ii) perçoivent le paiement au nom du vendeur en ligne, sont désormais tenus de s’inscrire en tant que fournisseurs, et de percevoir et de verser la TVD applicable sur les ventes taxables effectuées auprès de consommateurs situés dans la province. Des règles similaires s’appliquent aux exploitants de plateformes d’hébergement en ligne.

Les fournisseurs qui vendent des services de diffusion en continu et d’autres services multimédias à des consommateurs situés dans la province sont également soumis à ces nouvelles règles, et sont tenus de s’inscrire en tant que fournisseurs ainsi que de percevoir et de verser la TVD applicable à l’égard de ces ventes.

Un bulletin administratif récemment publié par le ministre des Finances du Manitoba (le « Bulletin no 064 ») apporte quelques précisions sur la façon dont la TVD s’applique aux services de diffusion en continu et aux ventes effectuées par les exploitants de plateformes de vente en ligne et les exploitants de plateformes d’hébergement en ligne, ainsi que sur les responsabilités qui s’y rattachent.

Maintien du statu quo en Saskatchewan

En 2020, le gouvernement de la Saskatchewan a promulgué de nouvelles règles d’inscription et de perception sur une base rétroactive pour les entreprises de commerce électronique et les exploitants de plateformes numériques (un résumé plus complet peut être consulté ici).   Aucun changement législatif important n’a été annoncé ou adopté en 2021 concernant le commerce électronique en Saskatchewan. 

 

Partie 2 – Perspectives pour 2022

MESURES FISCALES ANNONCÉES PRÉCÉDEMMENT PAR LE GOUVERNEMENT

D’importantes mesures fiscales annoncées par le gouvernement dans le budget de 2021 restaient en suspens à la fin de 2021.  Nous nous attendons à ce que le gouvernement cherche à faire progresser ces mesures fiscales, mais leur adoption avec succès pourrait dépendre, en partie, du temps, de l’attention et de ressources que le ministère des Finances consacrera en 2022 aux programmes de soutien et autres urgences en réponse à la pandémie de COVID-19.  Le contexte fiscal canadien pourrait aussi subir l’influence d’importants changements sur la scène mondiale et des décisions judiciaires majeures, notamment par la Cour suprême du Canada.

Avant-projet de loi sur les règles limitant la déductibilité des intérêts et les dispositifs hybrides

Comme il a été mentionné ci-dessus, dans son budget de 2021, le gouvernement a proposé de nouvelles règles concernant la déductibilité des intérêts et l’ajout de règles concernant les dispositifs hybrides.

Pour ce qui est des règles concernant la déductibilité des intérêts, le gouvernement a déclaré qu’il prévoyait publier un avant-projet de loi aux fins de commentaires au cours de l’été 2021. Toutefois, aucun avant-projet de loi n’avait encore été annoncé au 31 décembre 2021.  Nous pensons que le gouvernement publiera un avant-projet de loi au début de 2022 avant d’amorcer le processus de consultation publique peu après.

Pour ce qui est des règles applicables aux dispositifs hybrides, le gouvernement a déclaré qu’il avait l’intention de mettre en œuvre les règles sous forme de deux ensembles de mesures législatives.  Le premier ensemble de mesures était censé être publié pour recueillir les commentaires des parties prenantes en 2021, mais cela n’avait pas encore été fait au 31 décembre 2021.  Le deuxième ensemble de mesures devait être publié après 2021.  Nous nous attendons à ce que le gouvernement cherche à faire avancer ces mesures de manière significative en 2022. 

Taxe sur les services numériques, règles de divulgation obligatoire et prix de transfert

En 2022, nous pourrions également assister à l’adoption de la TSN et des règles de divulgation obligatoire proposées dans le budget de 2021, ainsi qu’à une consultation sur les règles canadiennes en matière de prix de transfert, dans chaque cas comme il est précisé ci-dessus.

MESURES FISCALES ANNONCÉES PAR LE PARTI LIBÉRAL LORS DES ÉLECTIONS FÉDÉRALES DE 2021

Le 15 août 2021, peu après le début de la quatrième vague de la pandémie de COVID-19 au Canada, le gouvernement a convoqué une élection fédérale générale qui a eu lieu le 20 septembre 2021.  Bien que le premier ministre Justin Trudeau ait remporté un troisième mandat, la situation est demeurée essentiellement inchangée par rapport aux élections fédérales de 2019, et le premier ministre n’a pas obtenu un gouvernement majoritaire.   La plateforme électorale du Parti libéral contenait un certain nombre d’initiatives fiscales clés pour s’assurer que les Canadiens paient « leur juste part », notamment :

  • augmenter de 3 % le taux d’imposition fédéral sur le revenu des banques et des compagnies d’assurance dont les recettes annuelles dépassent un milliard de dollars, et introduire provisoirement un dividende de la relance au Canada que ces banques et compagnies d’assurance verseraient au receveur général du Canada;
  • créer un impôt fédéral minimum de 15 % par année applicable aux particuliers à revenu élevé;
  • instaurer une taxe sur les voitures, bateaux et avions de luxe (comme cela a été présenté dans le budget de 2021);
  • modifier la RGAÉ afin de limiter la capacité des organisations sous réglementation fédérale, y compris les banques et les compagnies d’assurance, d’utiliser des structures à paliers pour détourner des profits du Canada vers des territoires à faible taux d’imposition;
  • travailler avec les partenaires internationaux du Canada pour instaurer un impôt minimum mondial;
  • éliminer les actions accréditives pour les projets de pétrole, de gaz naturel et de charbon afin de contribuer à promouvoir la croissance propre et la transition du Canada vers une économie carboneutre;
  • instaurer une taxe anti-opérations immobilières de vente-achat nationale et une taxe nationale pour les propriétaires non canadiens et non résidents de propriétés résidentielles et de terrains vacants.

Comme le gouvernement libéral de Justin Trudeau n’a pas réussi à obtenir la majorité des sièges à la Chambre des communes, on ne sait pas si et dans quelle mesure les mesures annoncées pendant l’élection fédérale de 2021 seront proposées et adoptées en 2022. Toutefois, on prévoit que le gouvernement ira de l’avant au moins pour certaines de ces mesures.

Nouveautés à l’OCDE

Le 8 octobre 2021, l’OCDE a annoncé que 136 pays, dont le Canada (et tous les pays du G20), s’étaient engagés à apporter des changements fondamentaux au régime international d’imposition des sociétés qui appuient la solution à deux piliers de l’OCDE conçue pour relever les défis fiscaux découlant de la numérisation de l’économie. Ces changements prévoient de nouveaux droits d’imposition qui réaffectent une partie des bénéfices des grandes entreprises multinationales (« EMN ») aux pays où se trouvent les clients des EMN – c’est-à-dire qu’ils traitent de l’attribution des droits d’imposition (« premier pilier ») et instaurent un taux d’imposition effectif minimum mondial de 15 % (« deuxième pilier »).

La mise en œuvre du premier et du deuxième pilier entraînera des changements importants dans le système international d’imposition sur le revenu des sociétés. Tous se sont mis d’accord pour concentrer les efforts afin de finaliser et de mettre en œuvre le premier et le deuxième pilier d’ici 2023.   Il s’agit d’un échéancier ambitieux qui pourrait ne pas permettre de recueillir suffisamment de commentaires de la part des parties prenantes.

MESURES DE SOUTIEN EN RÉPONSE À LA COVID-19

Comme il est indiqué ci-dessus, les mesures de soutien aux entreprises, comme le Programme d’embauche pour la relance économique du Canada (PEREC), le Programme de relance pour le tourisme et l’accueil (PRTA), le Programme de relance pour les entreprises les plus durement touchées et le Programme de soutien en cas de confinement local, seront en vigueur jusqu’au 7 mai 2022 et peuvent être prolongées par règlement jusqu’au 2 juillet 2022.   Si l’on se fie aux années 2020 et 2021, il ne serait pas surprenant de voir d’autres initiatives concernant les programmes de soutien du Canada en réponse à la COVID-19 alors que le pays continue à composer avec les réalités de cette pandémie.

AFFAIRES PORTÉES EN APPEL DEVANT LA COUR SUPRÊME DU CANADA

Malgré l’hésitation générale de la CSC à accorder son autorisation d’interjeter appel des décisions d’ordre fiscal des tribunaux inférieurs, une telle autorisation a été accordée dans l’affaire Collins Family Trust v. Canada (Attorney General) (2020 BCCA 196).  Dans cette affaire, on cherche à déterminer si, compte tenu des jugements antérieurs de la Cour sur la rectification en 2016, l’annulation en equity demeure un recours à la disposition des contribuables pour éviter les conséquences fiscales inattendues découlant d’opérations antérieures. Au 31 décembre 2021, la demande d’autorisation dans l’affaire Deans Knight (analysée ci-dessus) était également en instance. Ces causes pourraient avoir des répercussions importantes.

 

[1]       Le commentaire fiscal détaillé de notre cabinet sur le budget de 2021 peut être consulté ici.

[2]       Le paragraphe 256(5.11) n’a pas été pris en compte puisqu’il est entré en vigueur après l’année en cause.

[3]       L’article 56.4, qui traite des clauses restrictives, ne s’appliquait pas, car il concerne de façon générale les paiements effectués après la fin de l’année 2003.

 

 

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