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La Cour d'appel du Québec rend un arrêt de principe portant sur le devoir d’information des fabricants de médicaments sur ordonnance

Dans un jugement rendu le 8 mai 2019, la Cour d'appel du Québec[1] a confirmé une décision de la Cour supérieure[2] rejetant un recours collectif dans lequel les demandeurs alléguaient qu'un fabricant n'avait pas fourni suffisamment de renseignements sur les risques associés à un médicament sur ordonnance. C'était la première fois que la Cour d'appel examinait le bien-fondé d'une action collective au mérite concernant l'obligation de mise en garde d'un fabricant de médicaments.

Cette action était fondée sur la responsabilité du fabricant pour un défaut de sécurité, en vertu des articles 1468, 1469 et 1473 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») et sur la responsabilité du fabricant pour un défaut d’indications nécessaires à la protection de l’utilisateur contre un risque en vertu de l'article 53 de la Loi sur la protection du consommateur (« L.p.c. »).

Dans son jugement, la Cour d'appel a établi plusieurs règles importantes d'application générale:

  1. La vente de médicaments sur ordonnance par un pharmacien n'est pas un contrat de consommation et ne relève donc pas de la L.p.c.[3].
  2. La doctrine de l'intermédiaire compétent s'applique à la vente de médicaments sur ordonnance. Le fabricant peut donc remplir son devoir d’information en informant adéquatement les professionnels de la santé[4].
  3. Sans être déterminant en soi, le respect des normes réglementaires tend à indiquer que le fabricant a rempli son obligation d’information[5].

De plus, la Cour a clarifié l'intensité du devoir d’information d'un fabricant de médicaments de divulguer les effets secondaires observés en concomitance avec la prise d'un médicament, lorsqu'il n'y a pas de preuve que le médicament lui-même peut causer ces effets.

Résumé des faits

Le Biaxin est un antibiotique prescrit depuis plus de 20 ans pour traiter certaines infections bactériennes respiratoires (par exemple une pneumonie, une bronchite ou une pharyngite) ou infections cutanées. Cet antibiotique n'est disponible que sur ordonnance d'un médecin. En tout temps, diverses formes d'effets neuropsychiatriques ont été divulguées dans la section « effets secondaires » de la monographie de produit. La monographie a été mise à jour à plusieurs reprises lorsque des effets secondaires possibles ont été signalés pendant la surveillance post-commercialisation du médicament.

Au procès, certains membres du groupe ont témoigné qu'ils avaient souffert de troubles neuropsychiatriques en concomitance avec la prise de Biaxin. Les demandeurs allèguent que ces troubles neuropsychiatriques ont été causés par le médicament. Ils ont fait valoir que ces risques auraient dû être divulgués avec plus d’emphase dans la section « Mises en garde et précautions » des monographies de produit du Biaxin.

Décision de la Cour d'appel

La vente de médicaments sur ordonnance par un pharmacien n’entre pas dans le champ d'application de la L.p.c.

La Cour d'appel conclut que la vente de médicaments sur ordonnance n'entre pas dans le champ d'application de la L.p.c.[6]. En effet, cette loi ne s'applique qu'aux contrats entre un consommateur et un commerçant dans l'exercice de ses activités commerciales[7]. La Cour a noté qu'un pharmacien peut, selon les circonstances, exercer des activités professionnelles ou commerciales[8]. Toutefois, la vente de médicaments sur ordonnance implique nécessairement le jugement professionnel d'un médecin ou d'un pharmacien lorsqu'il conseille le patient sur l'utilisation appropriée du médicament[9]. Dans ce contexte, les professionnels de la santé n'agissent pas comme commerçants au sens de la L.p.c.[10].

De plus, la Cour d'appel a conclu que l'application de la L.p.c. serait incompatible avec les réalités du développement et de la mise en marché d'un médicament[11]. En effet, contrairement aux règles applicables en vertu du C.c.Q., la L.p.c. ne contient pas d'exemption de responsabilité fondée sur l'état des connaissances au moment où le médicament est mis sur le marché. La connaissance des risques d'un médicament s'acquiert par son utilisation à grande échelle suite à sa commercialisation et en fonction de l'évolution des connaissances scientifiques et médicales[12]. La Cour a jugé qu'un moyen d’exonération est nécessaire pour permettre le développement et l'innovation appropriés dans cette industrie.

Par conséquent, la Cour d'appel a conclu que le législateur ne pouvait avoir l'intention d'appliquer le régime de la L.p.c. à cette industrie.

L'obligation d'informer les utilisateurs des risques d'un médicament sur ordonnance

Le fabricant doit informer ses utilisateurs des risques et dangers de son produit et des moyens de les éviter. Afin d'établir la responsabilité du fabricant, le demandeur devra faire la preuve : (1) que le bien comporte un danger; (2) qu’il subit un préjudice; et (3) qu’il existe un lien de causalité entre le préjudice et le danger[13].

Pour démontrer le lien de causalité, le demandeur devra prouver la matérialisation du risque d'un effet secondaire particulier du médicament[14]. Toutefois, même sans la preuve que le médicament peut causer cet effet secondaire, le simple fait qu'un effet secondaire grave soit observé de manière concomitante à la prise d’un médicament peut établir l'existence d'un risque possible que le fabricant doit divulguer[15].

Le fabricant ne sera pas tenu responsable si le lien de causalité entre le risque et le médicament ne pouvait être connu compte tenu de l'état des connaissances au moment où le médicament a été mis sur le marché. Selon la Cour d'appel, ce moyen d’exonération vise à partager les risques liés à l'innovation technologique et médicale entre les fabricants et les utilisateurs.

La règle de l'intermédiaire compétent

En règle générale, pour remplir son devoir d'information, le fabricant doit directement informer les utilisateurs du produit. Toutefois, la Cour reconnaît que la doctrine de l'intermédiaire compétent trouve application en droit civil québécois dans le contexte de la vente de médicaments sur ordonnance. Ainsi, le fabricant remplit son obligation s'il avertit correctement l'intermédiaire compétent, tel que le médecin et le pharmacien impliqués dans la prescription et la distribution du médicament aux utilisateurs[16].

L'impact des obligations réglementaires sur la responsabilité du fabricant

Les fabricants de médicaments sont soumis à plusieurs obligations réglementaires et le développement et l'approbation d'un nouveau médicament sont supervisés par Santé Canada[17]. Ces règles comprennent également l'obligation de mettre à jour continuellement les renseignements divulgués aux professionnels de la santé et aux utilisateurs par l'entremise de la monographie de produit. Elles précisent également le type de renseignements qui doivent être divulgués dans les différentes parties, sections et rubriques de la monographie. Le contenu de la monographie est révisé et doit être approuvé par Santé Canada.

À la lumière de ce contexte, la Cour d'appel a déclaré que, bien qu'elle ne soit pas déterminante, le respect de ces normes réglementaires tend à indiquer que le fabricant a rempli son obligation de fournir des renseignements adéquats. Il s'agit donc d'un facteur important dont il faut tenir compte lorsqu'on évalue la diligence d'un fabricant pharmaceutique à l'égard de son obligation d'information[18].

Conclusion de la Cour d'appel dans cette affaire

Comme le juge de première instance, la Cour d'appel a conclu que la preuve ne démontrait pas que le Biaxin avait la capacité de causer des effets secondaires neuropsychiatriques (causalité générale)[19].

Même s'ils sont statistiquement très rares, les effets neuropsychiatriques rapportés en concomitance avec la prise de Biaxin ont déclenché l'obligation de divulgation du fabricant[20]. Cependant, l'intensité de cette obligation peut être qualifiée d'intermédiaire puisque la preuve ne démontre pas de manière prépondérante que ces rares effets graves sont causés par le Biaxin[21].

La Cour d'appel a conclu que le fabricant s'était acquitté de son obligation de mise en garde en divulguant les effets secondaires neuropsychiatriques possibles dans la section des effets indésirables de la monographie[22]. Considérant l'état des connaissances, il s’agit d’une divulgation suffisante des risques possibles.[23] À leur tour, ces professionnels devaient informer leurs patients en fonction de leur état de santé particulier et sur la base de leur jugement professionnel[24]. Ainsi, la monographie fournissait suffisamment de renseignements aux professionnels de la santé sur les avantages et les risques du Biaxin. Enfin, la fiche d'information qui est généralement fournie avec le Biaxin explique clairement comment accéder à l'information sur les effets secondaires moins fréquents du produit[25].

Commentaires

De nombreuses actions collectives en responsabilité du fabricant ont été intentées au Canada au cours des vingt dernières années contre des fabricants de médicaments d'ordonnance. Bien que de nombreuses actions de ce genre soient actuellement pendantes devant les tribunaux canadiens, il s'agit de la première et de la seule affaire dans laquelle un procès sur des questions communes a eu lieu et qu'un jugement sur le fond a été rendu à la suite du procès. La décision de la Cour d'appel dans l'affaire Biaxin pourrait avoir un impact profond sur les causes futures. L'une des conséquences de la décision de la Cour est que les dommages-intérêts punitifs en vertu de la L.p.c. ne sont pas disponibles dans les causes de responsabilité du fabricant liée aux médicaments sur ordonnance et que le recouvrement collectif ne sera généralement pas approprié.

 

[1] 2019 QCCA 801 (« Cour d’appel »).

[2] 2016 QCCS 5083 (Suzanne Hardy-Lemieux) (« Cour Supérieure »).

[3] Cour d’appel, par. 66.

[4] Cour d’appel, par. 169 et 172.

[5] Cour d’appel, par. 159 et 160.

[6] Cour d’appel, par. 17.

[7] Cour d’appel, par. 57-59.

[8] Cour d’appel, par. 61-64.

[9] Cour d’appel, par. 65.

[10] Cour d’appel, par. 66.

[11] Ce faisant, elle a confirmé la conclusion de la Cour Supérieure à cet effet dans l'arrêt : F. L. c. Astrazeneca Pharmaceuticals, p.l.c., 2010 QCCS 470, par. 83-90.

[12] Cour d’appel, par. 67-70.

[13] Cour d’appel, par. 89.

[14] Cour d’appel, par. 91.

[15] Cour d’appel, par. 119.

[16] Cour d’appel, par. 163-169.

[17] Cour d’appel, par. 138-142.

[18] Cour d’appel, par. 159-160.

[19] Cour d’appel, par. 198.

[20] Cour d’appel, par. 206.

[21] Cour d’appel, par. 215-216.

[22] Cour d’appel, par. 246.

[23] Cour d’appel, par. 247.

[24] Cour d’appel, par. 249.

[25] Cour d’appel, par. 250-251.

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