Les interceptions aléatoires de véhicules routiers peuvent être source de profilage racial, selon la Cour d’appel du Québec
La Cour d’appel du Québec a confirmé une décision historique et importante de la Cour supérieure selon laquelle les interceptions aléatoires de véhicules routiers par des policiers peuvent être source de profilage racial.
L’affaire, PG du Québec c. Luamba, est une reconnaissance judiciaire du fait que le profilage racial n’est pas un événement occasionnel, mais une réalité quotidienne pour les communautés noires, arabes et autochtones. L’affaire met en cause une loi provinciale, précisément l'article 636 du Code de la Sécurité routière (CSR) du Québec qui donne aux policiers le pouvoir d’intercepter des véhicules de façon aléatoire et sans raison particulière. La décision de la Cour d’appel du Québec confirme la décision de la Cour supérieure selon laquelle le fait de conférer un tel pouvoir à la police viole les garanties juridiques et le droit à l’égalité prévus par la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). Bien qu’en principe, les pouvoirs conférés aux policiers aux termes des dispositions de l’article 636 CSR doivent être exercés de manière uniforme, le tribunal de première instance a conclu que les conducteurs Noirs sont ciblés de façon disproportionnée. De l’avis de la Cour d’appel, les conséquences des atteintes à la Charte qui en découlent sont trop graves pour que la loi puisse être maintenue en vertu de la clause justificative prévue à son article premier.
Nouvelles questions constitutionnelles
Le pouvoir de la police d’intercepter des véhicules routiers ayant été validé par la Cour suprême du Canada en 1990 dans l’affaire R. c. Ladouceur, certains peuvent s’interroger quant à l’opportunité de saisir à nouveau les tribunaux de cette question. La Cour d’appel du Québec, à l’instar du juge de première instance a conclu que l’affaire Luamba soulève de nouvelles questions constitutionnelles. Ladouceur avait examiné la question de l’interception routière uniquement sous l’angle des protections contre la détention arbitraire prévues à l’art. 9 de la Charte, alors que M. Luamba a contesté son interception routière non seulement en vertu de l’art. 9, mais également en vertu de l’art. 7, qui garantit les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne conformément aux principes de justice fondamentale, et de l’art. 15(1), qui stipule que toute personne a droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.
De plus, même si la Cour suprême a conclu dans l’affaire Ladouceur que les interceptions routières arbitraires violaient l’art. 9 de la Charte, elle a estimé que cette atteinte était justifiée par l’art. 1 de la Charte. Toutefois, cette affaire a été entendue en 1990, alors que des données qualitatives, quantitatives, statistiques et d’expert concernant le risque de profilage racial n’étaient pas disponibles lorsque l’affaire Ladouceur était devant les tribunaux.
La Cour d’appel constate une absence de preuve au dossier à l’effet que l’article 636 CSR rende les routes plus sûres. En revanche, les effets délétères de l’art. 636 CSR sur les conducteurs noirs sont nombreux et sérieux, notamment problèmes de santé physique et mentale, sentiment d’exclusion, marginalisation et « surjudiciarisation », perte de confiance envers la police et le système de justice, désengagement civique, perpétuation et renforcement de stéréotypes racistes.
Voici quatre points à retenir de l’arrêt de 2024, confirmant la décision de la Cour supérieure du Québec de 2022, Luamba c. PG du Québec.
Profilage racial et Charte : La Cour d’appel confirme la conclusion de la Cour supérieure que le profilage racial, en particulier à l’égard des conducteurs Noirs, à l’occasion d’interception aléatoire de véhicules routiers est l’effet des dispositions de l’article 636 CSR. Le PG du Québec n’ayant pas remis en cause la conclusion du juge de première instance selon laquelle les interceptions aléatoires enfreignaient l’art. 9, de sorte que la Cour d’appel n’a pas eu besoin d’analyser si la loi violait l’art. 7. Toutefois, le plus haut tribunal du Québec conclut que la loi viole également l’art. 15(1).
Violation de droits : La Cour d’appel conclut que la règle autorisant les interceptions aléatoires crée une distinction fondée sur la race et perpétue le désavantage subi par les personnes noires. Ainsi, l’atteinte aux droits prévus à l’art. 9 et le droit à l’égalité prévu à l’art. 15(1) ne saurait être justifiée selon l’art. 1, qui permet de limiter certains droits garantis par la Charte s’il peut s’avérer raisonnable de le faire dans une société libre et démocratique.
Aucune incidence sur la sécurité routière : Bien que l’objectif des interceptions aléatoires soit d’assurer la sécurité routière, la Cour d’appel n’a pas trouvé de preuve concluante que ces interceptions contribuent efficacement à cet objectif. Au lieu de cela, l’effet préjudiciable de l’art. 636 CSR renforce, perpétue et accentue le désavantage historique et systémique qu’il cause aux personnes noires.
Déclaration d’invalidité : La Cour déclare l’article 636 CSR inopérant, mais suspend pour six mois la prise d’effet de cette déclaration pour permettre des ajustements. Cela signifie que même si le pouvoir octroyé aux policiers du Québec d’effectuer des interceptions arbitraires de véhicules routiers est reconnu comme inconstitutionnel, l’article 636 CSR restera en vigueur temporairement.
La décision de la Cour d’appel du Québec constitue une étape vers la résolution du fléau que constitue le profilage racial systémique dans les interceptions routières. Elle souligne qu’il importe de protéger les droits individuels et de veiller à ce que les lois n’aient pas une incidence disproportionnée sur les communautés marginalisées. Cette décision pourrait entraîner des changements importants dans la façon dont la police effectue les interceptions routières au Québec et éventuellement au Canada.
Karine Joizil et Sajeda Hedaraly, du bureau de Montréal de McCarthy Tétrault, ainsi que notre ancienne collègue Bianca Annie Marcelin, représentaient l’une des intervenantes, l’Association Canadienne des Avocats Noirs.