Fraude dans un compte bancaire à crédit ou à débit : la C.s.C. confirme que le détenteur subit une perte
Le 7 décembre 2020, la Cour suprême du Canada a rejeté sur le banc un appel dans le dossier La compagnie d'assurance générale co-operators c. Sollio Groupe Coopératif (anciennement connue sous le nom de La Coop Fédérée), et al.[1] Dans ce dossier, La Coop Fédérée a déposé une demande en jugement déclaratoire contre ses assureurs après avoir été victime d’un stratagème frauduleux d’harponnage (« spear phishing ») qui s’est soldé par un transfert de fonds frauduleux de près de 5 000 000$USD.
Le litige
En août 2014, La Coop Fédérée a été victime d’un stratagème frauduleux d’harponnage suivant lequel elle a émis un ordre de paiement à son institution financière visant le transfert de 4 946 355,26 $USD de son compte bancaire à un tiers fraudeur. Le compte de La Coop Fédérée était à découvert au moment du transfert. La Coop Fédérée dépose une demande d’indemnisation auprès de ses assureurs La Compagnie d’assurance générale Co-operators (« Co-operators ») et Liberty International Underwriters (« Liberty »).
Suivant le refus de Co-operators de couvrir la perte, La Coop Fédérée dépose un recours en jugement déclaratoire pour déterminer la couverture applicable en vertu de ces polices d’assurance. Liberty dépose aussi un recours contre Co-operators, invoquant que, vu la pluralité de couvertures, cette dernière doit aussi supporter une partie de l’indemnisation des pertes de La Coop Fédérée.
Co-operators, alléguant que les sommes détournées étaient la propriété de l’institution financière, signifie un acte d’intervention à l’institution financière pour la forcer à assumer la perte subie par La Coop Fédérée. En défense, Co-operators soutient également que puisque l’ordre de paiement comporte une fausse signature, La Coop Fédérée n’y avait pas consenti et ne pouvait être liée par celui-ci. Au surplus, Co-operators soumet que le régime juridique applicable aux chèques et prévu à la Loi sur les lettres de change devrait s’appliquer de façon analogue aux transferts de fonds électroniques.
Conclusions de la Cour supérieure du Québec
La Cour supérieure[2] conclut que, puisque le compte de La Coop Fédérée était à découvert, cette dernière était propriétaire des fonds avancés par son institution financière pour effectuer le virement frauduleux. Ainsi, une perte a été subie par La Coop Fédérée. La Cour supérieure rejette par ailleurs l’argument selon lequel la Loi sur les lettres de change s’appliquerait à un transfert électronique de fonds, rappelant que « cette loi ne régit pas les transferts sans circulation de documents papiers ». La Cour supérieure ajoute que le transfert électronique de fonds « constitue plutôt un mandat donné par La Coop Fédérée à [l’institution financière] de payer le bénéficiaire et régi par le Code civil ».
En ce qui concerne la couverture d’assurance, la Cour supérieure conclut que la police émise par Co-operators couvre la perte subie par La Coop Fédérée, mais que la police d’assurance de Liberty n’est pas une assurance spécifique.
Conclusions de la Cour d’appel du Québec
La Cour d’appel[3] rejette partiellement l’appel de Co-operators.
La Cour confirme que la Loi sur les lettres de change ne s’applique pas à un transfert électronique de fonds. La Cour considère que le transfert électronique de fonds n’est pas encadré par un régime légal spécifique et est plutôt assujetti aux pratiques et aux conventions bancaires. Il peut toutefois, comme l’énonçait la Cour supérieure, être considéré comme un mandat au sens du Code civil du Québec, le détenteur du compte fournissant des instructions autorisant l’institution financière à effectuer le transfert de fonds.
La Cour réaffirme le principe bien établi à l’effet que le dépôt dans un compte bancaire constitue un prêt du déposant en faveur de l’institution financière, cette dernière devenant alors débitrice des fonds. Conformément aux principes jurisprudentiels applicables, la Cour poursuit en énonçant que lors d’un découvert de compte, l’institution financière consent une avance de fonds au détenteur du compte. La Cour affirme ainsi que le montant faisant l’objet du découvert et transféré dans le cadre du stratagème frauduleux était dans ce cas la propriété de La Coop Fédérée et non de l’institution financière.
La Cour d’appel renverse toutefois la décision de la Cour Supérieure quant à la qualification de la police de Liberty concluant qu’il s’agit bien d’une assurance spécifique qui doit être considéré comme une assurance de première ligne.
Pourvoi en Cour suprême du Canada
Le pourvoi en Cour suprême visait notamment à déterminer qui, de l’institution financière ou du détenteur d’un compte bancaire (ou ses assureurs), doit assumer les pertes découlant d’un transfert électronique de fonds frauduleux. Co-operators plaidait essentiellement que, comme les fonds transférés provenaient d’un découvert de compte, l’institution financière était propriétaire de ces fonds. Selon la position de l’assureur, ce serait donc l’institution financière qui aurait subi une perte et non son assuré, La Coop Fédérée.
Par des motifs très succincts, la Cour suprême rejette l’appel et confirme les conclusions de la Cour d’appel du Québec. La Cour suprême a néanmoins précisé que, contrairement aux motifs de la Cour d’appel, « le résultat n’aurait pas été différent si le solde du compte de La Coop Fédérée avait été au crédit ». En d’autres mots, lorsque des sommes sont transférées à un fraudeur à partir d’un compte de banque, le détenteur du compte subi une perte que le compte soit créditeur ou débiteur au moment du transfert.
______________________________________
[1] La compagnie d'assurance générale co-operators c. Sollio Groupe Coopératif (anciennement connue sous le nom de La Coop Fédérée), et al., no de dossier 38938.
[2] Coop fédérée c. Compagnie d'assurances générales Co-Operators, 2016 QCCS 6302.
[3] Compagnie d'assurances générales Co-Operators c. Coop fédérée, 2019 QCCA 1678.