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L’obligation de bonne foi dans le cadre d’une transaction : rappel de la portée pendant la négociation sous lettre d’intention

Le 20 mars 2020 dernier, la Cour Supérieure a rendu sa décision dans l’affaire Wykanta Canada Limited c. Lafrance[1], où la responsabilité de la société vendeuse et de son unique âme dirigeante et administrateur était mises en cause alors que ceux-ci avaient mis fin abruptement aux négociations visant l’acquisition des entreprises du Goupe Dans Un Jardin (« DUJ »). La Cour conclut non seulement à la responsabilité de la société vendeuse, mais également à la responsabilité personnelle de son unique âme dirigeante et administrateur (« Lafrance »), les condamnant solidairement à payer à la demanderesse la somme de 332 364,38$ à titre de dommages-intérêts.

Retour sur les faits

À l’été 2011, Lafrance entreprend des démarches dans le but de trouver un acquéreur de DUJ. Devant cette opportunité d’affaires, Wykanta Canada Ltd. (« Wykanta ») manifeste son intérêt. Lors des rencontres initiales, les représentants financiers de DUJ lui dressent un portrait financier très favorable, et un prix de vente de l’ordre de 9,5 M$ à 10 M$ est discuté.

Le 15 août 2011, une lettre d’intention (« LOI ») est signée entre les parties, afin de conclure à l’acquisition de DUJ par Wykanta (la « Transaction »). Cependant, le processus de vérification diligente s’avère laborieux. En effet, Wykanta est freinée par DUJ et ses représentants, lesquels dévoilent les documents pertinents au compte-goutte et refusent de lui faire part des informations financières à jour. Alors qu’Investissement Québec (« IQ ») manifeste son intérêt pour financer la Transaction, Wykanta se voit dans l’impossibilité de lui fournir divers documents financiers de DUJ puisque Lafrance retient toujours l’information, ce qui empêche IQ de confirmer son prêt.

Le 6 février 2012, Lafrance reproche à Wykanta sa lenteur dans le processus et son impossibilité de trouver un financement irrévocable. Suite à plusieurs reports de la date de clôture, à la découverte d’une dette inter sociétés non divulguée de plus de 3 M$ et d’une poursuite d’importance impliquant DUJ, le prix de vente est finalement diminué à 4.5 M$. Le 30 juillet 2012, les parties finalisent le projet de convention d’achat d’actions en vue d’une clôture au 7 août 2012. Toutefois, le 31 juillet 2012, une rencontre urgente entre les parties révèle un stratagème frauduleux de la part de DUJ, qui falsifie les données relatives à ses inventaires (pour les gonfler d’environ 1.6 M$) afin d’obtenir un crédit d’opération plus élevé de la part de sa banque. Cette découverte pour le moins surprenante est d’ailleurs dévoilée par contrainte, alors que l’inventaire physique était sur le point d’être évalué pour la clôture de la transaction. Wykanta s’oppose à ce processus, et remet alors en doute la véracité de toutes les autres représentations de DUJ, d’autant plus que l’octroi de leur financement est désormais menacé. Malgré les doutes qui subsistent quant à la transparence de DUJ, Wykanta ne retire pas son offre, mais manifeste le désir d’y modifier certaines conditions, dont le prix, en proposant plusieurs possibilités pour donner suite à la Transaction. Lafrance et DUJ refusent et, invoquant l’absence d’une preuve du financement requise par le LOI, mettent un terme définitif aux discussions entourant la Transaction.

Par conséquent, Wykanta réclame des dommages-intérêts à DUJ ainsi qu’à Lafrance, alléguant une violation à leurs obligations de bonne foi et de renseignement, la contravention à une promesse synallagmatique de contrat et la violation à leur obligation de négocier de bonne foi en vue de tenter finaliser la Transaction. Wykanta cherche ainsi à être compensée pour les dépenses encourues inutilement aux fins de la Transaction, et pour la perte de profits futurs qu’elle aurait réalisés si la Transaction avait été finalisée. Wykanta réclame également ces dommages à Lafrance personnellement, celui-ci ayant engagé sa responsabilité extracontractuelle en tant qu’unique âme dirigeante et administrateur de DUJ, étant ainsi derrière toutes les négociations de la Transaction. DUJ et Lafrance prétendent plutôt qu’ils ont agi de bonne foi et, au surplus, que c’est plutôt Wykanta qui a refusé de procéder à l’achat des actions, invoquant ainsi leur propre turpitude.

Décision de la Cour

Devant la preuve prépondérante offerte par Wykanta, la Cour constate toutes les fautes ayant été alléguées et considère que celles-ci donnent ouverture à l’octroi de dommages-intérêts.

La Cour conclut que l’obligation de bonne foi prévue au Code civil du Québec s’applique non seulement à toutes les étapes d’une transaction, mais également à tous les intervenants qui y prennent part. Le juge expose que dans un contexte transactionnel, l’obligation de bonne foi est intimement liée à l’obligation de renseignements, et que les parties doivent s’informer de tous les éléments importants pouvant influencer la décision de contracter et la détermination des modalités contractuelles. En l’espèce, il appert que DUJ et Lafrance ont fait défaut de dévoiler à plusieurs reprises et en temps opportun des informations importantes et pertinentes dans le cadre de la Transaction.

La Cour note également que le processus de vérification diligente était effectué selon l’approche « à l’ancienne », c’est-à-dire que tous les documents étaient fournis au « compte-goutte ». La Cour souligne qu’il est inacceptable de prétendre qu’il incombe aux acheteurs de soulever les « bonnes questions » lors du processus de vérification diligente afin de découvrir les informations pertinentes. Il est d’ailleurs légitime, dans un contexte transactionnel où un climat de confiance s’installe entre les parties, de présumer de la fiabilité et de la véracité des informations qui sont transmises.

Pour ce qui est de la promesse de contrat, la Cour donne raison à Wykanta, et statue que DUJ et Lafrance ont rendu impossible la réalisation des conditions du LOI – ils ont donc contrevenu à la promesse d’achat en mettant fin aussi abruptement aux négociations. Le LOI constituait une promesse de contrat liant les parties en ce que les deux parties se sont engagées à conclure le contrat final par celle-ci. Les déclarations pour le moins surprenantes révélées par DUJ à quelques jours de la conclusion de la Transaction ont eu pour effet certain d’ébranler Wykanta. Malgré les modifications à la Transaction proposées par Wykanta à la suite de ces découvertes, la Cour conclut que le refus de poursuivre les négociations de la part de Lafrance était déraisonnable et abusif.

Par ailleurs, la Cour précise que l’argument de DUJ et de Lafrance selon lequel Wykanta n’a pas produit la preuve d’engagement irrévocable de financement de la part d’IQ ne tient pas la route, étant donné que c’est en raison même des fautes commises par DUJ et Lafrance que cette condition n’a pas pu être remplie. Cette condition est donc déclarée comme réputée satisfaite.

Qu’est-ce qu’il faut retenir ?

Les faits sous-jacents à chaque transaction varient mais cette décision rappelle l’importance de certains principes directeurs qui devraient être considérés lors de la négociation d’une transaction :

  • dans le cadre de négociations entourant une transaction, les parties doivent être prudentes et proactives dans la divulgation des renseignements importants pouvant avoir une incidence sur la détermination des modalités contractuelles, et ce, même si des questions ne sont pas soulevées. L’obligation d’information s’étend autant dans la phase précontractuelle que contractuelle et les informations importantes et pertinentes, même si préjudiciables, pourraient devoir être dévoilées en temps opportun;
  • dans le cas d’un contrat conclu sous condition suspensive, la bonne foi exige de chaque partie, d’une part, de s’abstenir de poser un geste ou d’accomplir un acte pouvant empêcher la réalisation de la condition et, d’autre part, d’adopter une conduite qui favorise la réalisation de celle-ci en agissant positivement et objectivement pour atteindre cette fin. Le tribunal pourra sanctionner la mauvaise foi de la partie ayant empêché directement la réalisation de la condition suspensive en considérant celle-ci réalisée, avec tous les effets juridiques que cela emporte;
  • dans un contexte de négociations longues et coûteuses pour conclure une transaction, des efforts raisonnables doivent être faits par les parties afin de conclure la transaction envisagée. Une rupture tardive des négociations sans juste cause pourrait être considérée comme abusive;
  • l’obligation de négocier de bonne foi s’applique à tous les intervenants de la transaction, incluant les représentants financiers; et
  • la responsabilité extracontractuelle de l’unique âme dirigeante et administrateur d’une société peut être retenue lorsque, sous son unique direction et initiative, il se livre à des pratiques qui vont à l’encontre de la bonne foi dans le cadre du processus de vérification diligente et de la négociation d’une transaction.

Nous pouvons aider

Pour plus d’information, veuillez contacter Patrick Boucher, associé et Co-chef national du groupe marché des capitaux ou Alain Tardif, associé du groupe litige et restructuration d’entreprises.

[1]Wykanta Canada Limited c. Lafrance, 2020 QCCS 1003

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