Un plan d’arrangement peut-il autoriser un contrôleur nommé pour superviser des procédures d’insolvabilité à exercer des droits au nom des créanciers de la débitrice?
Dans l’affaire d’Aquadis, la Cour d’appel du Québec rend un arrêt sur la possibilité pour un juge supervisant des procédures de restructuration en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (« LACC ») d'approuver un plan d'arrangement accordant au contrôleur le pouvoir d'exercer des droits au nom des créanciers de la débitrice. Notons qu'il s'agit, de l'avis même de la Cour, d’un premier précédent en jurisprudence canadienne sur la question.
Contexte
En juin 2015, Aquadis, un importateur et distributeur de produits de salles de bains, entame des procédures de restructuration en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, continuées quelques mois plus tard sous le régime de la LACC. Elle obtient ainsi la suspension des procédures intentées contre elle en raison de son rôle dans la chaîne d'approvisionnement de robinets affectés de défauts de fabrication. Aquadis est à l'époque visée par de nombreux recours d'assureurs qui, subrogés dans les droits de leurs assurés ayant subis des dommages causés par des robinets défectueux, tentent d'obtenir compensation de sa part.
En novembre 2016, la Cour supérieure du Québec rend une ordonnance autorisant le contrôleur nommé pour superviser la restructuration d'Aquadis, Raymond Chabot Inc. (le « Contrôleur »), à conclure des transactions ou, en cas de défaut, à entreprendre au nom des créanciers d'Aquadis, principalement des assureurs, des procédures judiciaires contre toute personne ayant revendu ou installé les robinets défectueux (« l'Ordonnance de novembre 2016 »). Cette ordonnance ne fait par la suite l’objet d’aucun appel ou demande de rétractation de jugement.
En 2019, le Contrôleur dépose un plan d'arrangement prévoyant notamment le mise en place d'un fonds regroupant les sommes récupérées par l'entremise des procédures qu'il intente. Le plan prévoit également que le Contrôleur pourra poursuivre les détaillants ayant vendu les robinets défectueux au nom des créanciers d'Aquadis. Ces derniers approuvent à l'unanimité le plan d'arrangement proposé et, quelque deux mois plus tard, la Cour supérieure l'approuve, malgré la contestation de détaillants.
Étendue des pouvoirs du Contrôleur
C'est dans ce contexte que des détaillants s'adressent à la Cour d'appel, prétendant que le juge de première instance a erré en approuvant le plan d'arrangement tel que présenté dans la mesure où il permet au Contrôleur d'exercer des droits appartenant aux créanciers. Au soutien de leur appel, les détaillants soumettent plusieurs arguments, lesquels sont ultimement tous écartés par la Cour d’appel.
En premier lieu, les détaillants arguent que le juge de première instance ne pouvait autoriser le Contrôleur à exercer des droits appartenant aux créanciers d’Aquadis en ce qu’il ne s’agit pas d’un pouvoir « à l’égard de la compagnie » au sens de l’article 23 LACC. Le juge Schrager, écrivant pour la Cour, rejette cet argument, étant d’avis que les poursuites envisagées sont conformes à l’esprit de la LACC. Plus particulièrement, la Cour rappelle que, bien que la LACC énumère certains pouvoirs du Contrôleur, l’article 23 édicte que ce dernier se doit « d’accomplir à l’égard de la compagnie tout ce que le tribunal lui ordonne de faire. » Cette disposition est ainsi suffisante pour donner au tribunal la discrétion nécessaire afin d’accorder au Contrôleur de tels pouvoirs. Cette discrétion judiciaire doit toutefois être exercée dans le respect des objectifs de la LACC. Dans le présent dossier, accorder au Contrôleur le droit de poursuivre des tiers au nom des créanciers permet de poursuivre un objectif valable, soit la maximisation du recouvrement pour les créanciers.
La Cour souligne également que les créanciers d’Aquadis ont voté à l’unanimité en faveur du plan d’arrangement présenté, lequel incluait ce pouvoir du Contrôleur d’intenter des poursuites en leur nom. En ce sens, ce pouvoir ne vient que donner effet à la volonté des créanciers de voir le Contrôleur poursuivre des tiers afin d’alimenter un fonds de litige qui leur sera ensuite redistribué. Le respect des décisions prises démocratiquement par les créanciers constitue un autre objectif de la LACC justifiant l’approbation du plan proposé.
Dans le même ordre d’idées, le tribunal indique que le fait d’autoriser le Contrôleur à intenter des poursuites pour mettre en œuvre les droits de certains créanciers n’est pas étranger au droit de l’insolvabilité. En effet, le syndic de faillite peut exercer les droits des créanciers contre d’autres créanciers ou des tierces parties. C’est notamment le cas lors de recours pour traitements préférentiels, lesquels peuvent d’ailleurs être exercés par les contrôleurs depuis les modifications de 2007 à la LACC.
En second lieu, les détaillants allèguent que ce pouvoir est contraire au devoir de neutralité qui s’impose au Contrôleur. La Cour rejette cet argument, rappelant que ce devoir est loin d’être absolu et qu’il lui impose uniquement de demeurer objectif et de prendre des décisions réfléchies visant à poursuivre les objectifs légitimes de la LACC. Plus encore, le statut de parties prenantes des détaillants apparaît peu évident dans la mesure où ils ne sont pas des créanciers parties aux procédures de restructuration d’Aquadis, ayant décidé de ne pas déposer de preuve de réclamation. Ainsi, l’existence d’un quelconque devoir du Contrôleur envers les détaillants est douteux. Finalement, le fait que le Contrôleur et ses avocats aient conclu des contrats prévoyant des honoraires conditionnels aux résultats de ces poursuites ne permet pas non plus de conclure à un quelconque manque d’impartialité de sa part.
Diligence requise pour s'opposer aux pouvoirs ainsi accordés au Contrôleur
Les détaillants avancent également qu’ils peuvent s’opposer au pouvoir accordé au Contrôleur par le plan, et ce, même s’ils n’ont pas porté en appel l’Ordonnance de novembre 2016 lui accordant ce même pouvoir. Ils avancent n’avoir jamais été notifiés de cette dernière, n’étant pas inscrits sur la liste de notification. La Cour rejette cette prétention, mentionnant que cette situation ne peut résulter que de leur omission de demander aux avocats du Contrôleur d’être inscrit sur ladite liste. Par ailleurs, les détaillants possédaient une connaissance suffisante de l’Ordonnance de novembre 2016 avant le dépôt du plan d’arrangement en 2019. En effet, ils ont reçu des lettres de mise en demeure de la part du Contrôleur et ont également contesté devant la Cour supérieure l’approbation de transactions. En somme, leur contestation de celle-ci est tardive, que ce soit eu égard au délai d’appel en vertu de la LACC ou de la faculté qu’accorde l’ordonnance initiale de demander la modification d’une ordonnance rendue par le tribunal.
Finalement, la Cour conclut que l’Ordonnance de novembre 2016 survivrait à un jugement refusant l’homologation du plan d’arrangement. Le Contrôleur disposerait donc toujours du pouvoir de poursuivre des tiers au nom des créanciers, et ce, nonobstant la conclusion du tribunal quant au plan.