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La compensation et les réclamations qui ne peuvent être éteintes dans le cadre d’un plan d’arrangement en vertu de la Lacc

Dans l’affaire de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagniesLACC ») relative à Groupe S.M., la Cour d’appel du Québec rend une décision concernant l’effet des règles de compensation sur les créances résultant d’une fraude alléguée et l’application de l’arrêt Métaux Kitco de la même cour à ce type de créances. La Cour tranche que la règle interdisant au créancier d’opérer compensation entre, d’une part, une dette due au débiteur née postérieurement aux procédures de restructuration et, d’autre part, une dette due par ce débiteur née antérieurement à ces procédures s’applique même si cette dernière dette ne pourrait être éteinte dans le cadre d’une transaction ou d’un arrangement.

Contexte : créances nées du fait frauduleux des débitrices

La Ville de Montréal (la « Ville ») dit détenir deux créances contre les débitrices, Groupe S.M. et les entités liées à celui-ci (« Groupe S.M. »), qui sont visées depuis le 24 août 2018 par une ordonnance initiale émise en vertu de la LACC.

La première créance résulterait d’une entente de règlement intervenue entre la ministre de la Justice agissant pour le compte de la Ville et Groupe S.M. dans le cadre du Programme de remboursement volontaire (le « PRV »), mis en place en vertu de la Loi visant principalement la récupération de sommes payées injustement à la suite de fraudes ou de manœuvres dolosives dans le cadre de contrats publicsLoi 26 »). La seconde créance se fonderait sur un recours entrepris par la Ville en vertu de la même loi contre quatre sociétés liées à Groupe S.M. leur réclamant 14M$ pour avoir participé à une collusion relativement à l’appel d’offres d’un contrat visant des travaux relatifs à l’implantation de compteurs d’eau.

Par ailleurs, la Ville est débitrice envers Groupe S.M. à la suite de travaux effectués par celui-ci. Elle prétend pouvoir opérer compensation entre, d’une part, les deux créances résultant de faits frauduleux de Groupe S.M. avant le prononcé le 24 août 2018 de l’ordonnance initiale et, d’autre part, la dette qu’elle doit à Groupe S.M. pour les travaux effectués par celui-ci après cette date. Par rapport à la créance liée à son recours contre Groupe S.M., la Ville prétend que, bien que sa créance ne soit pas exigible, elle serait en droit de conserver les montants sur lesquels elle dit pouvoir opérer compensation jusqu’à la liquidation judiciaire de sa réclamation.

L’effet des règles de compensation sur les créances résultant de la fraude

La LACC prévoit, à son article 21, que les règles de compensation s’appliquent aux réclamations produites contre une compagnie débitrice engagée dans une procédure d’arrangement sous cette loi. En outre, le paragraphe 19(1) LACC énumère les réclamations qui peuvent être considérées, et éventuellement compromises, dans le cadre d’un arrangement conclu conformément à cette loi. Sont notamment exclues de ces réclamations, au titre de l’alinéa 19(2)d), celles qui résultent « de l’obtention de biens ou de services par des faux-semblants ou la présentation erronée et frauduleuse des faits ».

La Cour d’appel fait remarquer que le libellé de l’alinéa 19(2)d) LACC est pratiquement identique à celui de l’alinéa 178(1)e) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilitéLFI »), applicable à la faillite d’une personne physique et qui énumère les dettes à l’égard desquelles un failli ne peut être libéré. Elle infère de cette analogie que le fardeau de preuve applicable à l’alinéa 178(1)e) LFI doit être satisfait par le créancier qui invoque l’alinéa 19(2)d) LACC. Ce dernier fardeau exige la preuve, selon la prépondérance des probabilités, que le débiteur a sciemment fait une fausse déclaration au créancier dans le but d’obtenir un bien ou un service.

Constatant que le PRV vise à permettre le recouvrement des sommes payées injustement à la suite de fraudes dans l’adjudication des contrats publics, la Cour souligne qu’il n’en résulte pas pour autant une présomption ni une admission de fraude à l’encontre des entreprises engagées en vertu de ce programme. En effet, l’article 3 de la Loi 26 prévoit notamment que le PRV permet à une entreprise de rembourser des sommes payées dans le cadre de l’attribution d’un contrat public pour lequel il aurait simplement « pu y avoir fraude ou manœuvre dolosive ». L’article 7 du PRV énonce, par ailleurs, que « [l]e fait pour une personne physique ou une entreprise de se prévaloir du Programme ne constitue pas une reconnaissance de responsabilité ni une admission qu’elle a commis une faute ».

S’appuyant sur le libellé de la Loi 26 et du PRV établi conformément à celle-ci, la Cour d’appel considère que le fait de se prévaloir du PRV ne constitue pas une reconnaissance de responsabilité ni une admission de faute. Par conséquent, elle juge que la transaction conclue par Groupe S.M. en vertu de ce programme ne confère pas, en soi, à la Ville une réclamation se rapportant à une dette ou obligation résultant d’une fraude au sens du paragraphe 19(2) LACC. Jugeant que la Ville n’a pas satisfait le fardeau de preuve que requiert l’alinéa 19(2)d), la Cour affirme que la créance résultant de l’entente intervenue en vertu du PRV est une créance ordinaire et qu’elle peut être compromise en vertu du paragraphe 19(1) LACC. En somme, la Cour dispose que la nature frauduleuse d’une dette ne lui confère pas un caractère prioritaire.

En second lieu, la Cour d’appel estime que la compensation ne peut davantage s’opérer quant à la créance relative au contrat des compteurs d’eau, puisque celle-ci n’est ni certaine, ni liquide, ni exigible. Elle note, en outre, qu’un recours alléguant la fraude ne peut suffire pour donner effet au paragraphe 19(2) de la LACC et retarder indéfiniment les procédures d’arrangement engagées au titre de cette loi.

L’application de l’arrêt Métaux Kitco aux réclamations ne pouvant être compromises par un plan d’arrangement

La Cour rappelle que, selon ses enseignements énoncés dans l’arrêt Métaux Kitco, la compensation ne peut s’opérer entre une dette née avant les procédures prises en vertu de la LACC et une autre dette née après celles-ci. Cependant, elle reconnaît qu’elle ne s’est pas penchée, dans cet arrêt, sur l’interaction entre le paragraphe 19(2) et l’article 21 LACC.
Selon la Cour, le fait qu’une réclamation ne puisse être considérée dans le cadre d’un arrangement ne peut faire échec à l’interprétation de l’article 21 qu’elle a retenue dans Métaux Kitco. En effet, cet article doit s’interpréter dans le respect de l’objectif primordial de la LACC, celui de favoriser la restructuration des grandes entreprises en difficulté pour en assurer la survie. De l’avis de la Cour, l’interprétation de l’article 21 que soutient la Ville ferait obstacle au maintien de la période de statu quo pendant laquelle l’entreprise insolvable peut élaborer un plan d’arrangement devant être soumis à ses créanciers sans être entravée par les recours individuels de ceux-ci.

La Cour d’appel conclut que le caractère non compromissoire d’une réclamation ne peut faire obstacle à la suspension des procédures d’exécution durant la restructuration. Les principes énoncés dans l’arrêt Métaux Kitco doivent donc recevoir application nonobstant la présence d’une dette qui résulterait de la fraude.

Information sur le jugement

Consultants SM inc (Arrangement relatif à), 2020 QCCA 438, pourvoi à la CSC

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