Opportunités en taxes indirectes dans un contexte économique précaire
Depuis plusieurs mois déjà, l’économie mondiale a été, et demeure encore au moment d’écrire ces lignes, grandement perturbée en raison de la propagation à une vitesse fulgurante de la COVID-19. Un très grand nombre d’entreprises œuvrant dans différents secteurs ont dû prendre des mesures drastiques afin de survivre à cette crise.
Plusieurs mesures d’allégement ont été mises en place par les différents paliers de gouvernements canadiens afin de stabiliser l’économie canadienne pendant cette période difficile. L’objectif de la présente publication n’est pas de présenter ces différents programmes dont les détails peuvent être trouvés ici, mais plutôt de faire un survol des mesures d’allègement et des opportunités existantes dans les régimes de la taxe sur les produits et services / taxe de vente harmonisée (« TPS/TVH ») et des taxes de vente provinciales (« TVP ») dans les circonstances actuelles. Étant donné ces allègements potentiels, nous encourageons fortement les inscrits à analyser attentivement leurs processus de traitement des taxes de vente et les implications sur leurs opérations afin de maximiser notamment les flux de trésorerie et les réclamations de crédits/remboursements de taxe sur les intrants (« CTI/RTI »).
Les règles de la taxe de vente du Québec (« TVQ ») étant largement harmonisées avec celles de la TPS/TVH, nous réfèrerons uniquement à la TPS/TVH et aux dispositions applicables de la Loi sur la taxe d’accise (Canada) (« LTA ») dans cette publication, sauf indication contraire.
1. Créances irrécouvrables
Le régime de la TPS/TVH prévoit spécifiquement qu’un fournisseur peut réclamer une déduction dans le calcul de sa taxe nette pour la TPS/TVH facturée et remise, mais non perçue de son client avec lequel il n’a aucun lien de dépendance. C’est le cas lorsque tout ou partie de la contrepartie d’une fourniture et de la TPS/TVH correspondante est devenu une créance irrécouvrable et que cette créance est radiée des livres comptables du fournisseur[1].
Qu’est-ce qu’une créance irrécouvrable? La détermination d’une créance à titre de « créance irrécouvrable » ou « mauvaise créance » est essentiellement une question de faits et repose sur des circonstances propres à chaque cas. La position administrative des autorités fiscales prévoit que les principes comptables applicables et certains facteurs comme le délai écoulé depuis l’échéance de la créance, la situation financière du débiteur et l’historique du compte débiteur devraient être considérés au moment d’effectuer cette qualification[2].
Il s’agit donc d’une mesure d’économie immédiate pour l’inscrit étant donné la déduction qu’il peut prendre dans le calcul de sa taxe nette dans sa déclaration de TPS/TVH dès la radiation de la créance[3]. En ces temps difficiles, nous recommandons fortement à tout inscrit de revoir la gestion de ses comptes clients notamment afin de déterminer si des opportunités de déduction dans le calcul de sa taxe nette existent ou ont été ignorées en lien avec des créances devenues douteuses ou irrécouvrables.
Certaines règles similaires peuvent s’appliquer dans le régime de la TVP de la Colombie-Britannique, du Manitoba et de la Saskatchewan, compte tenu des adaptations nécessaires et des circonstances propres à chaque cas.
Autre alternative? Dans la mesure où toutes les conditions requises pour radier une créance ne sont pas rencontrées, un fournisseur inscrit pourrait également envisager de réduire la contrepartie initialement facturée à son client en lui émettant une note de crédit contenant les renseignements prescrits[4]. Le fournisseur pourrait alors demander une déduction dans le calcul de sa taxe nette pour la période de déclaration au cours de laquelle il émet la note de crédit.
2. Comptes à recevoir et à payer
Il s’agit ici d’une stratégie relativement simple, qui peut permettre d’accélérer la réclamation des CTI et la perception de la TPS/TVH afin d’améliorer la gestion des liquidités.
Comptes à recevoir De façon générale, lorsqu’un inscrit a une période de déclaration mensuelle, la TPS/TVH facturée doit être remise au plus tard à la fin du mois suivant le mois pendant lequel la TPS/TVH a été facturée. Or, en pratique, il arrive fréquemment que les comptes clients ne soient pas encaissés avant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, créant par le fait même un impact négatif sur les liquidités de l’inscrit qui doit remettre la TPS/TVH facturée avant même de l’avoir reçue de son client. La revue du processus de facturation des comptes clients et l’émission des factures au début de chaque mois ou la conclusion de modalités d’échéance de paiement avec les clients pourraient ainsi permettre à l’inscrit de réduire le temps écoulé entre le moment où la TPS/TVH facturée doit être remise et celle où la TPS/TVH facturée est effectivement reçue[5]. Ainsi, de repousser l’émission d’une facture de quelques jours pourrait faire une différence.
Comptes à payer Dans un contexte où la période comptable de l’inscrit est fermée et que sa période de déclaration mensuelle est terminée, l’inscrit devrait tout de même prendre le temps d’analyser les factures reçues à la fin de chaque mois puisqu’il pourrait avoir droit de réclamer des CTI à l’égard des factures datées avant la fin de la période de déclaration, même si elles n’ont pas encore été payées. Effectivement, l’inscrit peut réclamer un CTI pour une période de déclaration au cours de laquelle la TPS/TVH relative à la fourniture est devenue « payable » (en présumant que toutes les autres exigences documentaires sont respectées pour faire une telle réclamation)[6]. Règle générale, la TPS/TVH est réputée payable le jour où une facture a été émise à l’inscrit[7]. Par conséquent, par l’effet de ce mécanisme, les CTI peuvent être réclamés plus rapidement permettant ainsi d’optimiser les liquidités. Encore une fois, des termes de paiement ou d’émission des factures pourraient être négociés avec des fournisseurs et recevoir une facture quelques jours plus tôt pourrait faire une différence.
3. Paiements compensatoires
Dans le cas où, par suite de l’inexécution, de la modification ou de la résiliation d’une convention portant sur la réalisation d’une fourniture taxable par un inscrit au profit d’une personne, un montant est payé à l’inscrit autrement qu’à titre de contrepartie de la fourniture, la TPS/TVH peut-être réputée incluse dans ce montant. Dans cette situation, le fournisseur est réputé avoir perçu la TPS/TVH et la personne en question est réputée l’avoir payée[8]. Ce mécanisme s’applique également dans le cas où une dette ou autre obligation du fournisseur est réduite ou remise sans paiement au titre de la dette ou de l’obligation. Cette règle pourrait s’appliquer par exemple à l’égard des frais d’annulation de contrat, des frais de résiliation de baux ou tout autre frais de dédommagement payable pour violation ou bris de convention.
Il s’agit d’une présomption d’application automatique souvent oubliée ou même méconnue en pratique par plusieurs inscrits. Celle-ci permet à l’acquéreur-payeur de réclamer un CTI correspondant à la portion de la TPS/TVH réputée incluse dans le paiement versé au fournisseur à des fins compensatoires ou d’indemnisation.
Dans le contexte actuel, il serait opportun de revoir les ententes, incluant les transactions et ententes de règlement, et les obligations des parties qui en découlent pour maximiser les réclamations de CTI à l’égard des paiements versés de cette nature ou à l’inverse, pour s’assurer que la compensation à recevoir par le fournisseur soit bonifiée pour prendre en considération la TPS/TVH réputée incluse dans la compensation en question et éviter un manque à gagner significatif pour le fournisseur.
4. Transactions inter-compagnies
Une façon très simple d’améliorer les flux de trésorerie à l’intérieur d’un groupe corporatif est d’effectuer le choix conjoint qui permet à des personnes morales ou sociétés de personnes « étroitement liées » canadiennes de ne pas se facturer la TPS/TVH à l’égard de certaines fournitures taxables effectuées entre elles[9]. Ce choix peut s’appliquer à l’égard de la TPS/TVH et de la TVQ, ou uniquement à l’égard de TPS/TVH ou de la TVQ et est effectif à partir de la date d’entrée en vigueur indiquée au formulaire de choix[10].
Une autre option, encore une fois peu utilisée en pratique, est le choix conjoint visant la compensation de la TPS/TVH due par une personne morale membre d’un groupe de personnes morales étroitement liées par les remboursements ou rabais auxquels une autre personne du groupe aurait droit[11]. Dans la mesure où certaines conditions sont respectées, les remboursements auxquels a droit un membre du groupe peuvent réduire ou compenser certains montants dus par un autre membre du groupe, incluant la TPS/TVH nette et la TPS/TVH due en lien avec l’autocotisation à l’égard de fournitures taxables d’immeubles. Toutefois, ce choix n’est malheureusement pas disponible aux sociétés de personnes et ne permet pas de compenser la TPS/TVH avec la TVQ, et vice versa.
5. Quelques autres opportunités en rafale
Douanes et TPS à l’importation De nombreux changements, incluant l’instauration de mesures protectionnistes et des nouveaux-accords de libre-échange, sont survenus dans les derniers mois en matière de commerce international. Ces changements pourraient offrir des opportunités de remboursements de TPS à l’importation ou de droits de douane dans certaines situations. En vertu de la LTA, il existe notamment différents mécanismes pour réclamer la TPS à l’importation. Les entreprises devraient donc procéder à une revue diligente de l’impact de ces nouvelles règles sur leurs transactions commerciales.
TPS/TVH payée par erreur Dans certaines circonstances, par exemple lorsque le mauvais taux de taxe a été appliqué ou qu’un fournisseur n’est pas enclin à rembourser ou créditer son client pour de la taxe chargée par erreur, il est possible pour celui qui a payé ou versé un tel montant au titre de la TPS/TVH d’en demander le remboursement directement auprès des autorités fiscales. Cette demande doit être présentée dans les deux (2) ans suivant le paiement ou le versement par erreur d’un tel montant.
CTI/RTI non réclamés et restrictions pour les « grandes entreprises » Règle générale, un inscrit dispose d’un délai de quatre (4) ans pour réclamer des CTI relativement à la TPS/TVH payée ou devenue payable à l’égard de biens et services acquis pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de ses activités commerciales. Une revue diligente des différents comptes de l’entreprise pourrait s’avérer intéressante si l’entreprise n’a pas maximisé la réclamation des CTI/RTI pendant les dernières années.
À titre d’exemple, depuis le 1er janvier 2018, les « grandes entreprises » peuvent réclamer des RTI pour une portion de la TVQ payée ou devenue payable à l’égard des biens et services visés par les restrictions au taux suivant : (i) 25 % pour l'année 2018; (ii) 50 % pour l'année 2019; (iii) 75 % pour l'année 2020; et (iv) 100 % pour l'année 2021 et les années suivantes. D’autre part, ces restrictions n’ont jamais été applicables à l’égard de l’électricité, le gaz, les combustibles et la vapeur utilisés dans la production de biens mobiliers destinés à la vente ni relativement aux fournitures de nourriture, boisson et de divertissement dont la déductibilité n’est pas limitée à 50 % en vertu de la Loi sur les impôts. Également, le remboursement de certaines dépenses d’employés et allocations peuvent donner droit à des CTI/RTI pour les inscrits qui encourent ces dépenses.
TVP de la Colombie-Britannique, Manitoba et Saskatchewan La TPS/TVH est une taxe sur la valeur ajoutée applicable, sous réserve de certaines exceptions, à l’égard de toutes les transactions de la chaîne commerciale. Celle-ci est récupérable au moyen du mécanisme de CTI. Par opposition, la TVP est une taxe de vente qui vise uniquement à taxer les ventes au détail effectuées à l’utilisateur final de la chaîne commerciale. Il s’agit d’une taxe non récupérable qui constitue un coût lorsqu’elle s’applique aux entreprises qui doivent la payer dans le cadre de leurs activités commerciales. La TVP prévoit donc une série de mesures d’exemptions particulières à l’égard des fournitures effectuées dans le cours d’activités commerciales.
Les entreprises devraient toujours valider attentivement l’application de la TVP avant de la payer puisque plusieurs exemptions peuvent s’appliquer selon (i) l’utilisation du bien (p.ex. production et fabrication ou achat à des fins de revente), (ii) la nature du bien (médicaments, aliments, etc.) et (iii) l’identité de l’acheteur. En pratique, il arrive fréquemment que la TVP soit facturée par erreur ou payée en trop.
Taxe sur les primes d’assurance et taxes sur le carburant De façon générale, le paiement de ces taxes n’est pas récupérable contrairement à la TPS/TVH. Toutefois, l’utilisation du carburant à certaines fins donne droit à des exemptions ou à des remboursements dans certaines circonstances. Certaines couvertures d’assurances peuvent également ne pas être sujettes aux taxes d’accise canadiennes. Il est important encore une fois de revoir leur assujettissement respectif avant de payer ces taxes.
Des outils sophistiqués d’analyse des données et d’intelligence artificielles ainsi qu’une expertise et les connaissances requises en taxes indirectes, peuvent permettre de déceler les opportunités relevées plus haut de façon systématique et rapide. Devant le manque de temps et de ressources à consacrer à de telles opportunités d’optimisation des flux de trésorerie et de remboursements nets, il peut être intéressant pour des entreprises de faire appel à ces outils, particulièrement dans le contexte économique actuel.
Nous pouvons vous conseiller à l’égard de toute question de taxes indirectes et nous pouvons vous accompagner pour identifier des opportunités et optimiser vos flux de trésorerie en lien avec les taxes indirectes.
[1] Article 231 de la LTA.
[2] Voir notamment le Bulletin d’interprétation TVQ 444-1/R2 – Mauvaises créances de Revenu Québec.
[3] L’inscrit dispose par ailleurs d’un délai de quatre ans suivant la date limite de production de la déclaration visant la période où la créance a été radiée pour réclamer cette déduction.
[4] Article 232 de la LTA.
[5] À noter que la date limite pour remettre tout paiement ou versement de la TPS/TVH et TVQ devenues exigibles après le 26 mars 2020 et avant juillet 2020 a été reportée au 30 juin 2020.
[6] Article 169 de la LTA; Règlement sur les renseignements nécessaires à une demande de crédit de taxe sur les intrants (TPS/TVH).
[7] Articles 152 et 168 de la LTA.
[8] Article 182 LTA.
[9] Ce choix ne s’applique toutefois pas dans certaines situations, incluant à l’égard des ventes taxables d’immeubles effectuées entre les membres du groupe et pourrait, dans certains cas, être inadmissible lorsque certaines personnes morales ou sociétés de personnes non-résidentes sont impliquées dans la structure corporative. Une revue attentive de la structure est donc fortement recommandée avant de produire ce choix.
[10] Depuis le 1er janvier 2015, ce choix doit être produit auprès des autorités fiscales (formulaire RC4616 à l’ARC et/ou FP4616 à Revenu Québec) par l’un des membres déterminés du groupe corporatif admissible au plus tard le premier jour où l’un de ces membres est tenu produire sa déclaration de taxe qui comprend la date d’entrée en vigueur du choix.
[11] Article 228 de la LTA et le Règlement sur la compensation de la taxe (TPS/TVH).