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Une transaction clôture, une nouvelle contestation par le Bureau débute : le Bureau de la concurrence conteste une autre fusion conclue

Le 1er décembre 2021, le Bureau de la concurrence du Canada (le « Bureau ») a déposé une demande devant le Tribunal de la concurrence (le « Tribunal ») en vertu des dispositions relatives aux fusions (article 92) de la Loi sur la concurrence, contestant la récente acquisition de Terrapure Environmental Inc. (« Terrapure ») par GFL Environmental Inc. (« GFL »), conclue le 17 août 2021. En vertu de la Loi sur la concurrence, le Bureau peut contester une fusion en tout temps jusqu’à un an après sa réalisation. Cette dernière contestation notable du Bureau s’inscrit dans le cadre d’une récente série de contestations de sa part visant des fusions conclues. 

Bien que traditionnellement, les parties à une fusion avaient tendance à insister sur l’obtention d’une certaine forme d’approbation de la part du Bureau – sous la forme d’un certificat de décision préalable (« CDP ») ou d’une lettre de non-intervention (« LNI ») – avant de conclure une transaction, les entreprises ont démontré plus récemment une certaine disposition à conclure leurs transactions à l’expiration de la période d’attente légale associée à l’examen du Bureau, peu importe que celui-ci ait donné son aval ou non à la transaction. Diverses raisons peuvent justifier d’agir de la sorte, par exemple la confiance en la force de leurs arguments au fond, la réalisation immédiate de synergies importantes et/ou les dessaisissements convenus dans les clauses contractuelles des parties.

Les parties à une fusion engagées dans des transactions litigieuses devront désormais être préparées à composer avec un Bureau plus susceptible de les contester, même en période post-clôture. Bien que les contestations de fusions post-clôture aient été rares dans le passé, le Bureau a récemment démontré une volonté accrue de contester de telles transactions. Dans sa demande au Tribunal, le Bureau a fait valoir qu’avant la transaction, Terrapure était le plus proche concurrent de GFL sur les marchés des services de gestion des déchets industriels et des services de recyclage des huiles dans l’Ouest canadien et qu’il avait déterminé que la fusion entraînerait vraisemblablement une augmentation des prix et une diminution de la qualité des services de collecte et de traitement des déchets industriels dans certaines régions de l’Ouest du pays. D’après le communiqué de presse de GFL reconnaissant la contestation, les avantages de la mise en œuvre sans l’obtention préalable d’une approbation peuvent avoir surpassé toute ordonnance de dessaisissement ultérieure concernant les points de service contestés, qui ne représentaient que 30 millions $ CA, soit moins de 10 % des revenus totaux de Terrapure en 2020. Bien que nous ignorions la raison pour laquelle le Bureau s’est abstenu de contester la transaction avant sa clôture (la transaction étant soumise à une notification préalable en vertu de la Loi sur la concurrence), le Bureau a conclu qu’une demande en vertu de l’article 92 était justifiée.

La contestation de la transaction GFL/Terrapure survient peu de temps après la contestation post-clôture également dans le domaine de l’industrie pétrolière et gazière. En juin 2019, le Bureau a introduit une demande en vertu de l’article 92 s’opposant à l’acquisition par Thoma Bravo d’Aucerna, un fournisseur de logiciels aux entreprises pétrolières et gazières, notamment de logiciels de gestion des réserves. Malgré les préoccupations du Bureau et sa réticence à accorder une LNI, Thoma Bravo a conclu sa transaction le 13 mai 2019, à l’expiration de la période d’attente prévue par la loi. Un mois plus tard, le commissaire a déposé une demande en vertu de l’article 92, alléguant que la transaction limiterait considérablement la concurrence dans la fourniture de logiciels de gestion des réserves aux producteurs pétroliers et gaziers du Canada, et a demandé une ordonnance exigeant le dessaisissement de l’un des logiciels de gestion des réserves. Le 20 août 2019, une entente de consentement a été enregistrée auprès du Tribunal, en vertu de laquelle Thoma Bravo a accepté de se départir de sa propre entreprise de logiciels de gestion des réserves.

D’autres cas démontrent que le Bureau, sous la direction du Commissaire Matthew Boswell, n’est pas opposé à la contestation post-clôture des fusions. L’été dernier, dans une autre affaire concernant l’industrie de la gestion des déchets qui dessert les sociétés pétrolières et gazières, le Bureau a présenté une contestation de dernière minute en vertu de l’article 92, ainsi qu’une demande d’injonction provisoire, visant à empêcher Secure Energy Services Inc. (« Secure ») de conclure son acquisition de Tervita Corporation (« Tervita »). La demande d’injonction provisoire a échoué, tout comme l’audience de nuit devant la Cour d’appel fédérale. La transaction a ensuite été conclue dans les minutes qui ont suivi la décision. Malgré l’échec de sa tentative d’obtenir une injonction, le Bureau poursuit sa demande en vertu de l’article 92, qui sera maintenant entendue post-clôture, ce qui démontre une fois de plus sa disposition à contester de tels cas. Pour en savoir davantage sur l’affaire Secure/Tervita, veuillez consulter notre précédent bulletin qui fournit plus de détails sur les faits précis de ce dossier.

De plus, le 19 décembre 2019, le Bureau a déposé une demande en vertu de l’article 92 en vue d’obtenir une ordonnance de dessaisissement exigeant que Parrish & Heimbecker vende soit son propre silo-élévateur à grains en Sasktchewan, soit le silo-élévateur à grains qu’elle venait d’acquérir neuf jours plus tôt au Manitoba auprès de Louis Dreyfus Company. Le Commissaire a fait valoir que l’acquisition avait un impact substantiel sur la concurrence dans la région, ce qui aurait pour effet d’entrainer une hausse des prix pour les producteurs de blé et de canola. Le Tribunal n’a pas encore rendu sa décision dans ce dossier. 

Enfin, bien qu’aucune demande en vertu de l’article 92 n’ait été présentée, le Bureau a exigé que WESCO International Inc. (« WESCO ») conclue une entente de consentement avec le Tribunal en août 2020, après la clôture en juin de l’acquisition par WESCO du distributeur de produits électriques concurrent, Anixter International Inc. (« Anixter »). Bien que le Bureau ait exprimé certaines préoccupations à propos de cette fusion et n’ait pas terminé son examen, WESCO a procédé à la clôture à l’expiration de la période d’attente prévue par la loi, soit le 22 juin 2020. Le Bureau a par la suite entrepris des négociations avec l’entité fusionnée pour régler la question de la diminution substantielle de concurrence alléguée, en enregistrant une entente de consentement obligeant WESCO à se dessaisir de plusieurs secteurs d’activité suite à la clôture de la transaction. Tous ces dossiers démontrent que le Bureau n’hésite pas à avoir recours à l’article 92, ou du moins à menacer d’y recourir, même lorsque les parties ont choisi, pour d’autres raisons, de conclure leur transaction.

Cette attitude de plus en plus favorable aux litiges dans le cadre de l’examen des fusions par le Bureau est conforme à sa nouvelle stratégie (renforcée) de mise en application, qui sera soutenue par un budget considérablement accru dans les années à venir. Le gouvernement fédéral a affecté 96 millions $ supplémentaires au Bureau, et ce pour les cinq prochaines années, et par la suite 27,5 millions $ par an. Le Bureau bénéficiera ainsi de ressources supplémentaires pour absorber les coûts des litiges dans les dossiers où les parties cherchent à conclure des transactions sans tenir compte de ses préoccupations. Dans le discours qu’il a prononcé lors de la conférence sur le droit de la concurrence de l’Association du Barreau canadien, où il a déploré le manque de concurrence au Canada, le Commissaire de la concurrence a présenté son plan détaillé à l’égard du renforcement de l’application des règles de concurrence, en indiquant comme point prioritaire l’augmentation des capacités en matière de litiges pour soutenir une approche axée sur les litiges. Le Bureau se réorganise pour pouvoir être en mesure de prendre en charge des dossiers plus complexes et, pour reprendre les mots du Commissaire, il est prêt à rendre les examens « moins prévisibles pour les parties qui fusionnent ».

Compte tenu de toutes ces considérations, nous recommandons aux clients et à leurs conseillers juridiques d’examiner soigneusement toutes les transactions, pour savoir si une transaction donnée pose véritablement un problème de droit de la concurrence au Canada, afin d’élaborer une stratégie de répartition des risques contractuels et d’engagement avec le Bureau. Il est clair que de nombreuses raisons peuvent justifier la fusion de parties légalement en mesure de le faire, même lorsque la transaction soulève d’importants problèmes de concurrence. Ces parties doivent toutefois bien comprendre le sérieux des avertissements du Commissaire à l’effet que la clôture s’effectuera à leurs propres risques. 

 

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