Cour d’appel fédérale : le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés a franchi les « garde-fous » en tentant de réglementer un médicament non breveté

Dans une décision explicite, la Cour d’appel fédérale (la « CAF »), sous la plume du juge Stratas, a conclu que le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (le « Conseil »), soit l’organisme gouvernemental qui examine les prix des médicaments brevetés, « [traduction] a franchi les garde-fous constitutionnels, légaux et jurisprudentiels » lorsqu’il a tenté d’exercer son pouvoir de réglementation à l’égard du produit DIFFERIN non breveté de Galderma.
Galderma avait obtenu deux brevets pour son médicament de première génération pour le traitement de l’acné, DIFFERIN, qui contient 0,1 % d’adapalène. Ces brevets ont expiré en 2007 et 2009. Galderma détenait également un autre brevet, le brevet 237, qui n’expirait pas avant 2023. Le brevet 237 visait l’utilisation d’adapalène concentré à 0,3 %, et protégeait le produit DIFFERIN XP de deuxième génération. Le brevet 237 ne protège pas l’adapalène concentré à 0,1 % ni le produit DIFFERIN de première génération.
En vertu de la Loi sur les brevets, le Conseil a le pouvoir de veiller à ce que les prix des médicaments brevetés ne soient pas excessifs. Or, comme l’a souligné la CAF, « [traduction] Le Conseil ne réglemente pas le prix des médicaments non brevetés »1. Ainsi, après l’expiration des deux premiers brevets de Galderma, cette dernière a cessé de communiquer au Conseil des renseignements sur les prix du DIFFERIN, car ce dernier n’était plus un médicament breveté.
Toutefois, en raison de l’existence du brevet 237, le Conseil a décidé que le DIFFERIN était toujours un médicament breveté puisque le brevet 237 (visant une concentration de 0,3 % d’adapalène) « [traduction] était lié » au DIFFERIN (le produit contenant 0,1 % d’adapalène). C’est ainsi que le Conseil a ordonné à Galderma de fournir des renseignements sur les prix du DIFFERIN. Cette ordonnance a donné lieu à une série de décisions :
- Un premier contrôle judiciaire effectué par la Cour fédérale en 2017, prononçant l’annulation de la décision du Conseil (2017 CF 1023).
- Une première décision de la CAF en 2019, renvoyant l’affaire au Conseil pour qu’il se prononce à nouveau en tenant compte que l’invention décrite dans le brevet 237 est l’utilisation d’une concentration de 0,3 % d’adapalène (2019 CAF 196).
- Une décision du Conseil en 2020 à l’effet que le brevet 237 « était lié » au DIFFERIN et ordonnant à Galderma, à nouveau, de produire des renseignements sur les prix.
- Un deuxième contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale en janvier 2024, confirmant la raisonnabilité de la décision du Conseil rendue en 2020 (2024 FC 46).
Saisi une seconde fois de l’affaire, la CAF estime que le Conseil a outrepassé ses pouvoirs parce que le DIFFERIN n’est pas un médicament breveté pendant la période pertinente. Le Conseil peut seulement « [traduction] réglementer les prix des médicaments brevetés, et non des médicaments non brevetés »2. Il « [traduction] n’a pas de mandat autonome en matière de protection du consommateur ou de réglementation générale des prix »3. En tentant de réglementer le prix d’un produit non breveté, « [traduction] le Conseil a franchi les garde-fous constitutionnels, légaux et jurisprudentiels »4.
La CAF rejette les arguments du gouvernement, soulignant que le brevet 237 vise une concentration de 0,3 % d’adapalène et que, « [traduction] au regard du droit des brevets, le Conseil ne peut, d’une manière ou d’une autre, étirer la notion de « brevet sur les conditions d’utilisation » (use patent) pour viser le DIFFERIN, qui contient une concentration différente d’adapalène (0,1 %) »5. La Cour ne retient pas l’autre argument du gouvernement selon lequel les patients peuvent utiliser le DIFFERIN et DIFFERIN XP de façon interchangeable. Comme la CAF le fait remarquer : « [traduction] La Loi sur les brevets ne dit nulle part que le Conseil peut réglementer un médicament non breveté simplement parce qu’un médicament breveté peut être utilisé à sa place ou parce qu’il partage certaines propriétés non brevetées du médicament breveté (en l’espèce l’ingrédient non breveté adapalène) »6. Ultimement, la FCA estimé que le brevet 237 ne confère pas à l’appelant un « pouvoir de marché » à l’égard du DIFFERIN et, qu’à ce titre, il ne relève pas de la compétence du Conseil. En conclusion, la CAF rappelle sans ambages au Conseil qu’il devait se conformer aux « [traduction] contraintes » prévues par la loi :
Le Conseil a un mandat important. Étant donné l’importance de ce mandat, le Conseil est déterminé à le mener à bien, et ce, avec enthousiasme. C’est tout à fait louable. Mais le Conseil doit modérer sa détermination et son enthousiasme par une obéissance ferme et inébranlable à la légalité et à la primauté du droit. À l’instar de tous les décideurs administratifs, le Conseil doit se conformer aux contraintes imposées par la Constitution, par sa loi habilitante (la Loi sur les brevets, interprétée raisonnablement au sens du droit administratif) et la jurisprudence en vertu de chacune d’elles7.
La CAF infirme donc l’ordonnance du Conseil et cette fois-ci ne renvoie pas l’affaire au Conseil aux fins de réexamen. Le gouvernement dispose d’un délai jusqu’au début du mois de février 2025 pour demander la permission d’en appeler à la Cour suprême du Canada.
1 Motifs, par. 4.
2 Motifs, par. 5.
3 Motifs, par. 7.
4 Motifs, par. 10.
5 Motifs, par. 13.
6 Motifs, par. 13.
7 Motifs, par. 19.
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