Passer au contenu directement.

Certificat-cadeau c. bon : La Cour canadienne de l’impôt se prononce

Dans l’affaire The Toronto-Dominion Bank v. The King, 2024 CCI 50 (« TD Aéroplan »), la Cour canadienne de l’impôt (la « Cour ») s’est penchée sur la question de savoir si un mille Aéroplan est considéré comme un « certificat-cadeau » au sens de l’article 181.2[1] de la Loi sur la taxe d’accise (la « LTA »).

La Banque Toronto-Dominion (« la Banque TD ») a conclu une entente avec Aimia Canada Inc. (« Aéroplan ») dans le cadre d’un programme d’affinité qui permet à la Banque TD d’offrir des milles Aéroplan[2] aux utilisateurs de certaines cartes Visa TD (l’« Entente »). Aéroplan a facturé à la Banque TD divers montants en vertu de l’Entente et a appliqué la taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée (« TPS/TVH ») aux montants facturés. La Banque TD a payé la TPS/TVH facturée, mais a ensuite demandé un remboursement sous prétexte qu’elle avait payé la TPS/TVH par erreur.[3]

La Banque TD a affirmé qu’Aéroplan lui avait fourni les milles Aéroplan en vertu de l’Entente et que ceux-ci étaient des certificats-cadeaux. La Banque TD s’est appuyée sur l’article 181.2 de la LTA, qui indique que la délivrance ou la vente d’un certificat-cadeau à titre onéreux est réputée ne pas être une fourniture. La Couronne a soutenu qu’Aéroplan effectuait une fourniture taxable de services de promotion et de marketing à la Banque TD en vertu de l’Entente. Toutefois, la Couronne a fait valoir que les milles Aéroplan n’étaient pas des certificats-cadeaux.

Les questions

La Cour a déterminé qu’il y avait deux questions principales à examiner :

  1. L’élément prédominant de la fourniture effectuée par Aéroplan à la Banque TD était-il des services de promotion et de marketing ou le droit d’attribuer des milles Aéroplan à ses titulaires de cartes?
  2. Si l’élément prédominant était le droit d’attribuer des milles Aéroplan, un mille Aéroplan est-il un « certificat-cadeau » au sens de l’article 181.2 de la LTA?

L’analyse

Aéroplan a fourni à la Banque TD plusieurs biens et services différents dans le cadre de l’Entente. Ainsi, avant de déterminer si l’élément prédominant de la fourniture effectuée par Aéroplan à la Banque TD était les services de promotion et de marketing ou le droit d’attribuer des milles Aéroplan, le tribunal devait d’abord établir ce qui était fourni par Aéroplan à la Banque TD en vertu de l’Entente et, ensuite, déterminer si ce qui était fourni par Aéroplan au titre de l’Entente était une fourniture unique ou des fournitures multiples.

Lorsque plusieurs biens ou services sont fournis, la Cour doit (i) examiner ce qui a été fourni; (ii) déterminer s’il s’agit d’une fourniture unique combinée ou de fournitures multiples; et (iii) déterminer comment la fourniture résultante doit être traitée. Les parties ont convenu que les biens et les services fournis faisaient partie d’une seule et même fourniture combinée et la Cour s’est dite d’accord.

Ayant déterminé qu’Aéroplan a effectué une seule fourniture combinée à la Banque TD en vertu de l’Entente, le juge Graham devait établir l’élément prédominant de cette fourniture. La Cour a examiné à la fois le critère traditionnel[4] pour déterminer l’élément prédominant de la fourniture et le critère de la récente affaire de la Banque CIBC (CAF).[5] Selon la Cour, l’Entente n’avait aucune efficacité commerciale sans les milles Aéroplan. Le juge Graham a déclaré : « Il n’y aurait eu aucun intérêt à obtenir des services de marketing d’Aéroplan, des droits exclusifs d’utilisation du logo Aéroplan et des analyses de données sur les clients existants et potentiels si la Banque TD ne pouvait pas fournir à ses clients des milles Aéroplan ».[6]

En ce qui concerne la deuxième question, la Cour devait déterminer si les milles Aéroplan constituaient des « certificats-cadeaux » au sens de la LTA. S’il s’agissait de certificats-cadeaux, la Cour devait accueillir le pourvoi. Le terme « certificat-cadeau » n’est pas défini dans la LTA. Le paragraphe 181(1) de la LTA définit un « bon » comme étant des « pièces justificatives, reçus, billets et autres pièces. En sont exclus les certificats-cadeaux et les unités de troc (au sens de l’article 181.3) ». Selon l’article 181.3, il était évident que les milles Aéroplan ne représentaient pas des unités de troc, de sorte que la décision de la Cour dépendait de la question de savoir si les milles Aéroplan étaient des bons ou des certificats-cadeaux aux fins de la TPS/TVH. Pour répondre à cette question, la Cour a dû déterminer comment différencier un certificat-cadeau d’un bon.

Le juge Graham a établi que les quatre questions permettant de déterminer si un mille Aéroplan représentait un certificat-cadeau étaient les suivantes :

Quel est le sens ordinaire du terme « certificat-cadeau »?

Le juge Graham a examiné les affaires dans lesquelles les tribunaux ont déjà traité des certificats-cadeaux[7] et a déterminé que le sens ordinaire englobe à la fois les cartes prépayées et les bons pour des biens ou des services.[8]

Le contexte ou l’objectif même de la loi modifie-t-il le sens ordinaire?

Dans le cadre d’une analyse contextuelle et téléologique de l’article 181.2, la Cour a déterminé que le Parlement avait uniquement l’intention de traiter les cartes prépayées comme des certificats-cadeaux. S’appuyant sur les déclarations du juge Visser dans l’affaire CIBC[9], la Cour a estimé que le Parlement a voulu que les certificats-cadeaux soient équivalents à de l’argent, de sorte que pour être considérée comme un certificat-cadeau, la pièce devait avoir des caractéristiques semblables à celles de l’argent. Une carte prépayée n’est rien d’autre qu’une carte pour déposer de l’argent et fonctionne de la même manière qu’un dépôt. À cet égard, la Cour a déclaré que de la même manière que le paragraphe 168(9) indique que le paiement de la TPS sur un dépôt n’est exigé que lorsqu’il est appliqué en contrepartie d’une fourniture, l’article 181.2 indique que le paiement de la TPS sur un chèque-cadeau n’est exigé que lorsqu’il est donné en contrepartie d’une fourniture.[10]

Quelles sont les caractéristiques d’un certificat-cadeau?

Le juge Graham a précisé que la Banque TD devait démontrer que chaque mille Aéroplan qu’elle avait acheté représentait un certificat-cadeau. Il a conclu que pour qu’une pièce soit considérée comme un certificat-cadeau, elle doit présenter les caractéristiques clés suivantes :

  • La pièce doit avoir une valeur monétaire déclarée qui est soit indiquée sur la face de la pièce ou qui peut être consultée par voie électronique.
  • La pièce doit pouvoir être cédée à un tiers sans paiement supplémentaire à l’émetteur.
  • Le titulaire de la pièce doit pouvoir appliquer une partie ou la totalité du solde de la valeur monétaire déposée au prix d’achat de biens ou de services auprès de l’émetteur de la pièce ou de toute autre personne qui peut légalement accepter la pièce comme moyen de paiement.
  • La pièce peut être assortie de certaines conditions, mais celles-ci ne doivent pas porter atteinte à la caractéristique essentielle d’un certificat-cadeau, à savoir qu’il doit avoir des caractéristiques semblables à celles de l’argent.[11]

Un mille Aéroplan présente-t-il ces caractéristiques?

Le juge Graham a estimé qu’un mille Aéroplan ne présentait aucune de ces caractéristiques. Les milles Aéroplan n’ont pas de valeur monétaire déclarée et ils ne peuvent pas être cédés sans le paiement d’une redevance importante à Aéroplan. De plus, le fait de devoir accumuler plusieurs milles Aéroplan pour en utiliser un seul est une condition importante de leur utilisation.[12]

La Cour a rejeté l’appel de la Banque TD et a confirmé que les milles Aéroplan n’étaient pas des certificats-cadeaux.

Application aux programmes de points

À bien des égards, la décision de la Cour canadienne de l’impôt a confirmé la politique administrative de l’ARC dans l’énoncé de politique P-202 sur la TPS/TVH[13] concernant les certificats-cadeaux, tout en fournissant des renseignements supplémentaires sur certains éléments. Cette décision peut donc avoir des répercussions sur d’autres programmes de fidélité, en particulier s’ils ont traité leurs points comme des certificats-cadeaux. La Banque TD a porté la décision de la Cour en appel devant la Cour d’appel fédérale. Il est à espérer que la Cour d’appel fédérale, en rendant sa décision, apportera des précisions sur la manière de différencier un bon d’un certificat-cadeau aux fins de la LTA.

 

[1] L’article 181.2 prévoit ce qui suit : « Pour l’application de la présente partie, la délivrance ou la vente d’un certificat-cadeau à titre onéreux est réputée ne pas être une fourniture. Toutefois, le certificat-cadeau donné en contrepartie de la fourniture d’un bien ou d’un service est réputé être de l’argent. »

[2] Les milles Aéroplan sont des points qui peuvent être échangés par l’entremise d’Aéroplan contre des primes de voyage et d’autres biens et services.

[3] Le montant total du remboursement en question s’élevait à 141 060 608 $.

[4] Le critère traditionnel pour établir l’élément prédominant de la fourniture demande de déterminer l’« efficacité commerciale » de l’Entente. Ce critère a été examiné dans les affaires Global Cash Access (Canada) Inc. c. La Reine, 2013 CAF 269; Groupe SLFI c. La Reine, 2019 CAF 217; Great-West, compagnie d’assurance vie c. La Reine, 2016 CAF 316.

[5]Banque Canadienne Impériale de Commerce c. La Reine, 2021 CAF 96 (« CIBC (CAF) »). La majorité dans l’affaire CIBC (CAF) s’est appuyée sur une déclaration explicite dans l’entente concernée qui établissait le point de vue des parties sur l’élément prédominant de la fourniture. L’Entente examinée dans l’affaire TD Aéroplan ne contenait pas de déclaration semblable.

[6] La Cour a déclaré que la Banque TD n’avait pas réellement acquis les milles Aéroplan en vertu de l’Entente, mais qu’elle avait plutôt acquis le droit de faire en sorte qu’Aéroplan attribue des milles Aéroplan. Le juge Graham a déclaré qu’aux fins de la présente affaire, cela n’a pas eu d’incidence sur le résultat, de sorte que la décision indique que la Banque TD a acheté des milles Aéroplan.

[7] CIBC (CAF); Canasia Industries Limited c. La Reine, 2003 CCI 33; Banque Royale du Canada c. La Reine, 2007 CCI 281; et Banque Canadienne Impériale de Commerce c. La Reine, 2019 CCI 79.

[8] Au paragraphe 136, une carte prépayée est définie comme une pièce qui peut être utilisée comme de l’argent pour faire l’acquisition de biens ou de services auprès de l’émetteur ou de toute autre personne qui accepte le dispositif. Un exemple typique serait une carte-cadeau de 100 $ d’une chaîne de cinémas que le titulaire pourrait utiliser pour payer des films, du maïs soufflé, etc. Dans le même alinéa, un bon pour un bien ou un service est défini comme une autre pièce qui exige à l’émetteur de fournir gratuitement au titulaire un certain bien ou service. Un exemple typique serait un bon pour un traitement d’une heure dans un spa.

[9] 2019 CCI 79.

[10] Voir TD Aéroplan, paragraphe 145.

[11] TD Aéroplan, paragraphe 238.

[12] TD Aéroplan, paragraphe 239.

[13] Énoncé de politique P-202 sur la TPS/TVH, Certificats-cadeaux (avril 2012).

Auteurs

Abonnez-vous

Recevez nos derniers billets en français

Inscrivez-vous pour recevoir les analyses de ce blogue.
Pour s’abonner au contenu en français, procédez à votre inscription à partir de cette page.

Veuillez entrer une adresse valide