Une vision idéalisée du capital de risque
Lever ou ne pas lever des capitaux, telle est la question :
Y a-t-il plus de noblesse d’âme de chercher
La fronde et les flèches de la fortune outrageante
Ou de s’armer contre une mer de difficultés,
En s’autofinançant pour s’y opposer
Le milieu des entreprises en démarrage demeure divisé sur la question du financement : les fondateurs devraient-ils autofinancer leur entreprise ou rechercher du capital de risque? Si les deux approches présentent des avantages et des inconvénients, on peut tout de même se demander laquelle offre le plus de possibilités de réussite pour une entreprise. Cette semaine, je me suis entretenue avec Nish Jain, un ancien avocat de MT devenu fondateur d’une entreprise en démarrage pour parler de la vision idéalisée du capital de risque. Nish a récemment fondé Alchømy Alternatives, une entreprise de biens de consommation emballés axée sur les cocktails complexes, pétillants et sans alcool. Nish présente un point de vue intéressant sur le capital de risque.
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Nish :
Bien que le capital de risque soit dépeint de façon disproportionnée comme une source de financement pour les entreprises en démarrage sur les réseaux sociaux et dans les médias, par exemple dans l’émission Dragon’s Den et Shark Tank, il ne constitue pas une solution convenable pour la plupart des entreprises en démarrage. Les investisseurs en capital de risque privilégient excessivement les entreprises de logiciels-services et du secteur des technologies, qui peuvent plus facilement évoluer et se développer avec un financement en capital de risque comparativement aux jeunes entreprises de biens tangibles. Ces investisseurs souhaitent obtenir un rendement élevé en peu de temps, généralement sur une durée de 6 à 8 ans. Par conséquent, le financement par capital de risque peut empêcher le développement d’une entreprise, qui pourrait par ailleurs réaliser un chiffre d’affaires d’un million de dollars, ou même de dix millions de dollars, car elle ne connaîtra pas de croissance assez rapide pour le fonds ou ses investisseurs qui recherchent une croissance intensive.
Les entreprises en démarrage financées par du capital de risque doivent être axées sur la croissance à tout prix. Le besoin de l’entreprise de justifier la valorisation que lui confère l’injection de capital de risque, la force à rechercher constamment une croissance rapide, jusqu’à l’obtention d’un des jalons de sortie suivants : a) un appel public à l’épargne, b) la vente ou c) la faillite de l’entreprise. Cette mentalité de croissance à tout prix fait en sorte que le développement de l’entreprise n’est pas axé sur sa pérennité, mais exclusivement sur la façon de générer le meilleur rendement possible pour l’investisseur en capital de risque et sur la recherche de la prochaine source de financement pour demeurer en activité. Les entreprises en démarrage ainsi financées risquent de se retrouver dans une situation où, après avoir dépensé des millions pour favoriser leur croissance (au moyen d’embauches, en achetant ou louant des locaux, en augmentant le budget de marketing et de publicité), elles atteignent un plateau et ne parviennent plus alors à obtenir de financement. Sans nouveau capital, il est impossible pour ces entreprises de maintenir l’infrastructure qu’elles ont mise en place et tout s’écroule comme un château de cartes.
Pour la majorité des entreprises en démarrage : croissance lente + exponentielle > croissance rapide + linéaire.
Pour de nombreuses entreprises en démarrage, la boucle de rétroaction que constituent « le lancement et l’apprentissage » est essentielle. Lorsque la croissance à tout prix est la seule mesure qui prévaut, les fondateurs ne tiennent pas compte des commentaires de leurs clients, ce qui se solde inévitablement par un fort roulement de clientèle. Durant ma courte expérience en tant que fondateur, j’ai rapidement appris que les entreprises en démarrage, particulièrement dans le secteur des biens de consommation emballés, doivent afficher une croissance plus lente afin d’évaluer l’adoption de leur produit sur le marché, la fréquence des commandes et les cycles de demande de leurs produits avant de réinvestir pour pouvoir traiter des commandes plus importantes, diversifier leurs canaux de vente et les régions où elles sont présentes, et concevoir de nouveaux produits. Si mon entreprise avait été financée par du capital de risque, nous n’aurions pas pu consacrer de temps pour chercher à savoir ce que nos clients pensent (et tirer les leçons de nos propres erreurs).
Assurément, l’autofinancement présente aussi son lot d’inconvénients. Si une entreprise n’a pas d’investisseurs externes, il y a de fortes chances qu’elle se retrouve à court de ressources, ce qui risque de mener ses fondateurs à l’épuisement professionnel. Certains fondateurs qui optent pour l’autofinancement doivent gagner leur vie autrement, pendant qu’ils développent leur entreprise. Ils sont nombreux à créer leur entreprise en tant qu’activité secondaire ou à s’occuper du développement de leur entreprise à temps plein en ayant un autre emploi à côté. Cette approche de financement fait en sorte que la croissance de l’entreprise est plus lente, mais elle permet de « subir des revers » à petite échelle sans qu’il n’y ait d’incidence grave sur l’entreprise; puis d’augmenter graduellement les parts de marché de l’entreprise grâce à des meilleurs produits, et c’est de loin l’avantage le plus intéressant. Les fondateurs qui s’autofinancent n’ont d’autre choix que de se rapprocher de leurs clients pour apprendre à les connaître, ce qui aide à bâtir une communauté et à fidéliser la clientèle. Cela prend du temps mais représente une valeur inestimable.
Dans le cas des entreprises de biens de consommation emballés, l’autofinancement signifie qu’elles doivent travailler avec des petits détaillants correspondant aux paramètres établis en termes de capacité de production et de contraintes de trésorerie. Cela permet d’évaluer différents fournisseurs de biens et de services avant d’investir de façon considérable dans la conception et le lancement de produits. Pour terminer, je dirais que le réel avantage lié à l’autofinancement de son entreprise en démarrage est que l’on demeure maître de sa destinée. En ce moment, je sais que je suis aux commandes et que j’ai le contrôle absolu!
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Aliya :
Si on se fonde sur le point de vue de Nish à propos du capital de risque, il faut ajouter que les fondateurs devraient toujours prendre en considération d’autres sources de financement lorsqu’ils envisagent de recourir à du capital de risque. Certains fondateurs sont capables d’atteindre une rentabilité par autofinancement, alors qu’une approche à petite échelle ne permet pas à d’autres d’y arriver. Après l’autofinancement, il est sûr que les amis, la famille ou un investisseur providentiel peuvent être des sources de financement viables pour faire passer son entreprise au niveau supérieur. Cependant, dans de nombreux cas, il se peut que le capital de risque soit la seule trajectoire de croissance et de rentabilité possible. Alors que vous réfléchissez à vos options de financement, discutez des possibilités, des risques et de l’option de financement par capital de risque avec votre avocat(e) et votre comptable. Ces professionnels seront en mesure de vous aider à modéliser l’incidence économique des différentes formes de financement, dont l’autofinancement, le capital de risque et l’emprunt.