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Réforme majeure du cadre législatif entourant les terres agricoles

Le 5 décembre 2024, le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, M. André Lamontagne, a déposé le projet de loi no 86, visant à mettre en œuvre une réforme majeure de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles (« LPTAA »). Ce projet de loi propose également des modifications significatives à plusieurs lois connexes, notamment à la Loi sur l’acquisition de terres agricoles par des non-résidents (« LATANR ») et à la Loi sur la fiscalité municipale (« LFM »).

Par ce projet de loi, le gouvernement vise à protéger les terres agricoles face aux pressions découlant de l’urbanisation du territoire et la spéculation foncière domestique. Par ailleurs, malgré l’intégration d’un nouveau critère de « développement durable » à la LPTAA, le projet de loi no 86 ne prévoit pas d’encadrement spécifique pour les projets structurants de production d’énergie ou de gestion des matières résiduelles. De plus, le projet de loi no 86 n’aborde pas dans sa règlementation des transactions foncières les effets de la concentration de la propriété des terres agricoles.

Modifications à la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles

Dans sa version actuelle, la Commission de protection du territoire et des activités agricoles (la « CPTAQ ») dispose du pouvoir d’autoriser l’utilisation de terres agricoles à des fins autres que l’agriculture, en se basant sur diverses considérations énumérées à l’article 62 de la LPTAA. Le projet de loi no 86 propose de modifier, à l’article 62 de la LPTAA, le critère de développement économique régional par un critère de « développement durable du territoire », d’ajouter un critère de « dynamisme du territoire agricole » et, de façon optionnelle, un critère relatif aux comportements antérieurs des demandeurs. Ces changements pourraient avoir des impacts tangibles sur certains dossiers d’autorisations d’usage non agricole, et – dans certains cas - réduire les chances de succès de projets structurants dont certaines infrastructures seraient situées dans les affectations d’agriculture dynamique du schéma d’aménagement. Par contre, la preuve relative au développement durable du territoire n’aura pas à être effectuée, comme l’exige actuellement la LPTAA pour le critère du développement économique régional, par une municipalité, une communauté, un organisme public ou un organisme fournissant des services d’utilité publique.

Désormais, les serres de plus de 2 hectares et les bâtiments de production végétale de plus de 5 000 m² situés sur des sols de classe 1 à 3 nécessiteront une autorisation de la CPTAQ.  Cette mesure semble constituer un recul face à l’augmentation nécessaire de la productivité des infrastructures de production agricole, qui doivent préférablement être situées à proximité de terres en production, pour des questions de disponibilité de la main-d’œuvre et d’intégration des procédés. Elle semble également difficilement compatible avec les articles 1.1, 3 et 12 de la LPTAA, lesquels encouragent la pratique de l’agriculture, selon une diversité de modèles nécessitant notamment des superficies variées, et, dans une perspective de développement durable, la protection et le développement des activités et des entreprises agricoles.

Une rare modification proposée en matière d’infrastructure vise les lignes de transport d’énergie, les lignes de communication et les canalisations et autres infrastructures listées. Celle-ci vient clarifier que les demandes présentées à la CPTAQ visant l’implantation de ces infrastructures à proximité des limites de la zone agricole ou des périmètres d’urbanisation ne seront pas jugées en fonction des critères relatifs aux demandes d’exclusion. Dans sa version actuelle, la LPTAA semble assimiler ce type de demandes aux demandes d’exclusion. Malgré tout, cela n’a généralement pas constitué un obstacle à l’approbation de demandes visant l’implantation de ces infrastructures. Cette modification, plutôt timide, ne semble pas viser les installations de production d’énergie elles-mêmes, pourtant au cœur de la stratégie énergétique actuelle du Québec.

L’une des modifications les plus importantes vise les acquisitions de terres agricoles par des fonds d’investissement et des entités qui ne sont pas enregistrés comme exploitations agricoles, qui seront désormais interdites à moins de respecter des critères sévères, similaires à ceux qui restreignent les acquisitions par les non-résidents. En somme, un nouveau régime d’approbation règlementaire est à anticiper.

Modifications à la Loi sur l’acquisition de terres agricoles par des non-résidents

Auparavant, seules les transactions visant des superficies d’au moins 4 hectares étaient assujetties à la LATANR. Désormais, le gouvernement pourra abaisser ce seuil par règlement, afin d’assujettir des transactions sur de plus petites superficies à l’interdiction générale imposée par la LATANR. Rien n’indique que la réduction du seuil pourra être différenciée par secteurs, ce qui aurait permis de refléter les particularités régionales.

Ensuite, le projet de loi 86 prévoit une modification à l’article 10 de la LATANR afin de préciser que les transactions en actions visant des sociétés dont l’un des actifs est une terre agricole seront visées par la LATANR. Dans sa formulation actuelle, l’article 10 ne vise que les transactions impliquant les sociétés dont le « principal actif » est une terre agricole. Cette modification nous semble toutefois de peu d’importance, l’article 8 de la LATANR prohibant déjà, selon nous, ce type de transactions dans la plupart des cas.

De plus, le projet de loi no. 86 propose une augmentation marquée des pénalités en cas d’infraction.

Modifications à la Loi sur la fiscalité municipale

Le projet de loi no. 86 propose d’autoriser les municipalités à imposer une surtaxe, pouvant atteindre trois fois le taux de la taxe foncière générale, sur les terres agricoles exploitables, mais non exploitées.

La taxe exclut notamment les terres enregistrées comme exploitations agricoles auprès du ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, les milieux humides et les terres qui bénéficient de droits acquis non agricoles. Les critères nécessaires pour l’enregistrement comprennent, généralement, l’exploitation d’au moins un immeuble à vocation agricole et la présence de revenus agricoles bruts d’au moins 5 000 $ par an. Il serait regrettable que cette nouvelle mesure ait pour effet de surtaxer des terres agricoles dont l’exploitation a été suspendue en raison de défis de rentabilité, notamment.

Conclusions

Le projet de loi no 86 fait suite à la consultation tenue de juin 2023 à mai 2024, réunissant principalement des acteurs des milieux agricoles, municipaux, environnementaux et citoyens. Somme toute, le projet de loi no. 86 propose une réforme ambitieuse du régime de protection des terres agricoles, sans reconnaître que cet objectif devra vraisemblablement être concilié avec d’autres, notamment la réalisation des infrastructures nécessaires à la résorption du déficit énergétique du Québec et, dans certains cas spécifiques, l’accès au logement en régions.

Le projet de loi no 86 doit également être analysé dans le contexte des modifications déjà apportées en 2021 à la LPTAA,, et des décisions récentes de la CPTAQ et des tribunaux supérieurs, qui confirment que la LPTAA ne doit pas être interprétée dans une logique d’autorisations et qui semblent permettre à la CPTAQ d’appliquer la LPTAA selon une évaluation de l’opportunité subjective d’accorder les demandes, à l’intérieur des critères législatifs[1].

Le projet de loi no. 86 s’inscrit dans une tendance à restreindre les possibilités d’acquérir et d’utiliser les terres agricoles à des fins autres que l’agriculture, si légitimes ou impératives que soient ces autres utilisations du territoire, ne laissant place qu’aux dossiers qui bénéficient du soutien direct du gouvernement du Québec ou qui sont les mieux présentés. Ces modifications devront être complétées par des changements aux différents règlements de la LPTAA, ce qui, nous l’espérons, donnera l’occasion au gouvernement d’éviter le caractère trop restrictif des changements ci-dessus.

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L’équipe de McCarthy Tétrault continue de suivre de près l’évolution des lois d’aménagement et d’urbanisme au Québec. Si vous souhaitez obtenir plus d’informations sur les amendements législatifs à prévoir, nous sommes là pour vous aider. Veuillez communiquer avec un des auteurs ou tout autre membre du groupe de droit de l’immobilier et de la planification de McCarthy Tétrault pour toute question.

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[1] Voir par ex. Commission de protection du territoire agricole du Québec c. Côté, 2023 QCCQ 10219, para 85; et Commission de protection du territoire agricole du Québec c. Bolduc, 2024 QCCQ 224, para 45.

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