Le gouvernement propose des changements à la Loi sur la protection du consommateur pour interdire l’obsolescence programmée
Le 1er juin 2023, le ministre de la Justice a présenté le projet de loi 29 : Loi protégeant les consommateurs contre l’obsolescence programmée et favorisant la durabilité, la réparabilité et l’entretien des biens proposant des modifications à la Loi sur la protection du consommateur (ci-après «la Loi»). En plus d’interdire le commerce d’un bien dont l’obsolescence est programmée, le projet de loi introduit une garantie légale de bon fonctionnement pour certains biens neufs couramment utilisés.
Parmi les autres modifications proposées, on retrouve une bonification de la garantie légale de disponibilité des pièces de rechange, une obligation imposée aux commerçants de fournir des informations sur la garantie légale de bon fonctionnement avant de conclure un contrat incluant une garantie supplémentaire, une augmentation du montant des amendes pénales ainsi que la possibilité d’imposer des sanctions administratives pécuniaires en cas d’infraction aux dispositions de la Loi. Le projet de loi couvre aussi de nouvelles protections liées à l’achat de voitures d’occasion.
Dans sa forme actuelle, le projet de loi entrainerait des changements majeurs au niveau des obligations de garantie et d’affichage des commerçants et des fabricants. Ces nouvelles obligations soulèveraient également d’intéressants débats d’interprétation devant les tribunaux, notamment en matière d’actions collectives.
Protection contre l’obsolescence programmée
Tout d’abord, le projet de loi vise à interdire le commerce d’un bien dont l’obsolescence est programmée. Cette interdiction concerne tant le commerçant que le fabricant puisque ce dernier est réputé faire le commerce du bien qu’il fabrique.
L’obsolescence d’un bien est programmée lorsqu’il fait l’objet d’une technique visant à réduire sa durée normale de fonctionnement. Similairement, le recours par le commerçant ou fabricant à une technique ayant pour effet de rendre plus difficile pour le consommateur ou son mandataire d’entretenir ou de réparer un bien est également interdit.
Le consommateur semble avoir le fardeau d’établir l’utilisation d’une telle technique. Une telle preuve serait difficile à effectuer et nécessiterait fort probablement l’avis d’un expert. De plus, puisque la technique de fabrication d’un bien est nécessairement du ressort de son fabricant, le commerçant n’est pas le mieux placé pour offrir une défense.
En matière de garanties légales
Ensuite, le projet de loi introduit deux modifications importantes en matière de garantie légale:
- une nouvelle garantie légale de bon fonctionnement pour certains biens neufs; et
- une bonification de la garantie légale de disponibilité des pièces de rechange et des services de réparation pour les biens de nature à nécessiter un travail d’entretien.
La garantie légale de bon fonctionnement consiste, comme son nom l’indique, en une garantie que le bien neuf acheté ou loué fonctionnera pour une certaine période de temps, variant selon le bien visé.
- La garantie s’applique à certains biens neufs dont une liste non-exhaustive est déjà contenue dans le projet de loi: une cuisinière, un réfrigérateur, un congélateur, une machine à laver, un lave-vaisselle, un ordinateur portable, une tablette électronique, un téléphone cellulaire, une console de jeu vidéo, un climatiseur et une thermopompe. En outre, le projet de loi confère au gouvernement un pouvoir réglementaire lui permettant de soumettre tout autre bien déterminé à la garantie.
- En ce qui concerne la durée de la garantie, celle-ci sera établie par règlement et variera selon le bien visé. Il reste à savoir comment le ministre s’y prendra pour fixer la durée de bon fonctionnement d’un bien visé, exercice qui s’annonce difficile et qui devra encore une fois nécessiter une analyse technique. En effet, même pour un type de bien donné, la durée de bon fonctionnement attendue doit varier selon la gamme et le prix payé. Par exemple, peut-on s’attendre à ce qu’un climatiseur payé 1 000$ fonctionne aussi longtemps qu’un climatiseur payé 10 000$?
- Le projet de loi introduit certains moyens de défense dont peut se prévaloir les commerçants et les fabricants de biens qui offrent cette garantie. Par exemple, la garantie ne s’applique pas si le mauvais fonctionnement résulte d’un usage abusif par le consommateur. Qui plus est, la garantie ne couvre pas le service d’entretien normal du bien et le remplacement de pièces en résultant. Ainsi, le fabricant et le commerçant ne sont pas responsables si le bien cesse de bien fonctionner en raison du bris « normal » d’une pièce. Ici encore, ce concept de bris normal du bien est difficile à définir puisqu’il dépend d’un grand nombre de facteurs.
- Enfin, cette garantie de bon fonctionnement impose de nouvelles obligations aux fabricants et aux commerçants en matière de divulgation d’informations et d’affichage. Le fabricant d’un bien qui bénéficie de la garantie de bon fonctionnement doit divulguer les informations relatives à cette garantie de la manière et aux conditions prescrites par règlement. Quant au commerçant, il doit afficher la durée de cette garantie à proximité du prix annoncé de manière évidente pour chaque bien visé et doit aussi transmettre au consommateur les informations relatives à celle-ci. Ce faisant, les commerçants devront revoir l’ensemble des étiquettes utilisées pour la vente des biens visés dans le but d’y ajouter les renseignements sur la garantie.
La garantie légale de disponibilité des pièces de rechange et des services de réparation pour les biens de nature à nécessiter un travail d’entretien, quant à elle, est bonifiée en imposant une nouvelle obligation de transmettre les renseignements nécessaires à l’entretien ou à la réparation du bien.
Ainsi, le fabricant et le commerçant doivent instruire le consommateur sur comment entretenir et réparer le bien. Ils peuvent toutefois se dégager de cette obligation si l’un ou l’autre avertit le consommateur par écrit, avant la conclusion du contrat, qu’il ne fournit pas de pièces de rechange, de services de réparation ou de renseignements nécessaires à l’entretien ou à la réparation du bien. Cette possibilité de se dégager de cette obligation ne s’applique pas aux renseignements prévus par règlement. Les commerçants pourraient potentiellement faire signer un document attestant ceci pour éviter tout enjeu de preuve en cas de réclamation future d’un consommateur.
De plus, les pièces de rechange pour les biens de nature à nécessiter un travail d’entretien doivent pouvoir être installées à l’aide d’outils couramment disponibles et sans causer de dommage irréversible au bien.
Des nouvelles sanctions
Finalement, le projet de loi propose deux modifications en matière de sanction pour les personnes physiques et morales qui contreviennent aux obligations de la loi :
- un nouveau régime de sanctions administratives pécuniaires et;
- une bonification des sanctions pénales pécuniaires déjà existantes.
Le régime de sanctions administratives pécuniaires permet au président de l’Office de la protection du consommateur (ci-après «L’Office») d’imposer une amende jusqu’à deux ans à compter de la date du manquement, ou jusqu’à deux ans à compter de la date de la constatation du manquement dans le cas de fausses représentations. Ainsi, sans avoir à intenter un recours pénal, ce régime fournit un outil supplémentaire à la disposition de l’Office pour sanctionner les manquements à la Loi. De plus, lorsque le responsable d’un manquement est en défaut de paiement, ses administrateurs et ses dirigeants peuvent être tenus solidairement responsables de la sanction, à moins d’avoir fait preuve de prudence et de diligence pour prévenir le manquement. Le versement d’une sanction administrative pécuniaire est aussi automatiquement garanti par une hypothèque légale sur les biens meubles et immeubles du responsable du manquement et, le cas échéant, de chacun de ses administrateurs et dirigeants tenus solidairement avec lui au paiement. D’ailleurs, ces sanctions semblent grandement inspirées de celles récemment incluses dans la nouvelle mouture de la Charte de la langue française résultant du projet de loi 96.
Le régime de sanctions pénales, quant à lui, permet à l’Office de recommander une poursuite pénale qui est ensuite intentée par le Directeur des poursuites criminelles et pénales. Ce régime, qui figure déjà à la loi, est bonifié en augmentant le seuil des amendes minimales et maximales. Le bénéfice pécuniaire retiré de la perpétration de l’infraction peut aussi être pris en compte pour calculer la valeur des seuils. De plus, l’infraction aux obligations d’informations et d’affichage est passible d’une amende de 1 500$ à 37 500$, pour une personne physique, et d’une amende de 3 000$ à 75 000$ dans les autres cas.
Conclusions
Le projet de loi 29, s’il est adopté dans sa forme actuelle, risque fort probablement de changer le paysage du droit de la consommation au Québec, qui se retrouve à faire bande à part par rapport aux autres provinces canadiennes. Il sera intéressant d’en suivre le cheminement à l’Assemblée nationale, puisque plusieurs questions subsistent quant aux modifications qu’il prévoit. Espérons que les prochaines étapes parlementaires nous éclaireront davantage sur l’intention du législateur derrière ces nouvelles dispositions.
Notamment, il y a lieu de se questionner sur le rôle de la nouvelle garantie de bon fonctionnement, dans la mesure où celle-ci semble faire double emploi avec la garantie légale de qualité du bien, communément appelée garantie contre les vices cachés. En effet, cette garantie, prévue tant au Code civil que dans la mouture actuelle de la Loi, prévoit déjà que l'usage d’un bien doit répondre aux attentes légitimes du consommateur qui l’acquiert et vise déjà à garantir la durabilité du bien.[1] Il sera intéressant de comprendre ce que cette garantie ajoute véritablement au droit actuel.
[1] Voir par exemple : Fortin c. Mazda Canada inc., 2016 QCCA 31, paras. 56 et ss.
Bill 29 Planned obsolescence