Obligation de preuve élevée pour faire déclarer l’extinction d’un privilège au moyen d’une motion ex parte
Deux affaires récentes de la Cour supérieure de justice de l’Ontario ont examiné le type et le niveau de preuve requis pour qu’un tribunal déclare l’extinction d’un privilège au moyen d’une motion ex parte en vertu de l’article 45 de la Loi sur la construction:[1] Mobilinx v. Edge1[2] et 2829785 Ontario Inc. v. Total Home & Yard Improvement Inc.[3]
Les motions ex parte en mainlevée du privilège sont entendues sans avis au créancier privilégié. Si elle est accordée, la motion dispose de façon permanente des droits du créancier privilégié à l’égard de ce privilège. Pour ces raisons, ces motions sont tenues à une obligation de preuve élevée.
Dans Mobilinx, une motion ex parte visant à déclarer l’extinction d’un privilège a été rejetée sous réserve de la présentation de nouvelles preuves.[4] Dans 2829785 Ontario, une motion ex parte a également été rejetée sous réserve de la présentation de nouvelles preuves. Elle a été de nouveau présentée avec une preuve par affidavit supplémentaire, mais elle a de nouveau été rejetée avec l’autorisation de présenter à nouveau la motion en donnant un préavis au créancier privilégié.[5] Les deux décisions fournissent des points pratiques utiles pour éviter les tentatives et rejets répétés.
Principaux points à retenir pour les motions ex parte en vertu de l’article 45 visant à déclarer l’extinction de privilèges
- La personne ou la partie qui veut faire déclarer l’extinction d’un privilège en vertu de l’article 45 de la Loi sur la construction doit satisfaire à une obligation de preuve élevée : [traduction] « La preuve sur une motion en vue de déclarer l’extinction d’un privilège doit convaincre le tribunal qu’aucune preuve ou argument supplémentaire du créancier privilégié absent ne permettrait raisonnablement de trancher la motion autrement ».[6] Les avals antérieurs du tribunal relativement au même projet, sans plus, ne remplissent pas ce fardeau.
- Les éléments de preuve sous forme d’affidavits de personnes qui n’ont pas connaissance directe du projet peuvent être insuffisants. La preuve directe des travaux exécutés, des améliorations et du processus d’approvisionnement applicable peut être nécessaire pour déterminer quelle version de la Loi sur la construction s’applique si les dispositions transitoires de la Loi sont en cause.
- Les motions ex parte portant sur des biens situés hors de Toronto peuvent être présentées à Toronto avec permission, et les motions opposées portant sur des biens situés hors de Toronto ne peuvent être présentées à Toronto.
1) La décision Mobilinx
Dans la décision Mobilinx, l’entrepreneur a présenté une motion en vertu de l’article 45 de la Loi sur la construction pour obtenir la mainlevée d’un privilège enregistré par une société d’équipement de location, Edge1, au motif que le privilège n’avait pas été conservé à temps.[7]
La Loi sur la construction a été modifiée le 1er juillet 2018 avec d’autres modifications le 1er octobre 2019. L’article 87.3 de la Loi sur la construction régit la version de la Loi applicable. Cela est important parce que la précédente Loi sur le privilège dans l’industrie de la construction (« LPC ») prévoit des délais plus courts pour la conservation et l’opposabilité des privilèges. Conformément à l’article 87.3 de la Loi, les délais plus courts prévus par la LPC continuent de s’appliquer à une amélioration non locative si le processus d’approvisionnement pour l’amélioration a commencé avant le 1er juillet 2018 par le propriétaire des locaux.[8]
Mobilinx a présenté une motion pour obtenir la mainlevée du privilège de Edge1 au motif que l’ancienne LPC continuait de s’appliquer au projet et, par conséquent, Edge1 avait omis de conserver son privilège dans les délais plus courts de l’ancienne LPC.
À l’appui de sa motion, Mobilinx s’est appuyée sur la décision antérieure du tribunal d’annuler un privilège sur le même projet. Bien que la décision antérieure ait accepté que l’ancienne LPC continue de s’appliquer au projet, le tribunal n’a pas conclu que cette preuve était suffisante pour cette motion pour deux raisons :
- Le dossier de la motion n’incluait pas les documents relatifs à la motion antérieure qui a été accueillie, de sorte qu’il n’y avait pas de preuve supplémentaire que l’ancienne LRC continuait à s’appliquer au projet. La preuve de Mobilinx se limitait à une déclaration sous serment du technicien juridique, qui comprenait une preuve provenant du site Web d’Infrastructure Ontario. Le juge a estimé que cette preuve constituait un ouï-dire non vérifiable. Mobilinx n’a pas fourni d’éléments de preuve de la part de ceux qui auraient des éléments de preuve directs sur le processus d’achat, tels que les représentants du projet.
- Les exigences en matière de preuve ne sont pas les mêmes pour les motions ex parte de l’article 44 visant à annuler les privilèges sur une propriété et pour les motions ex parte de l’article 45 visant à obtenir mainlevée des privilèges.[9] Les motions en annulation présentées en vertu de l’article 44 constituent une forme de réparation interlocutoire qui ne porte pas préjudice à un demandeur absent, car la garantie est simplement échangée contre une autre forme de garantie. À l’inverse, une motion en vertu de l’article 45 est une ordonnance définitive, car la déclaration d’extinction d’un privilège est irrévocable. Un privilège éteint ne peut pas être réactivé, c’est pourquoi le fardeau de la preuve est très lourd pour la partie qui demande une déclaration d’extinction du privilège.[10]
La motion a été rejetée, mais sous réserve de la présentation éventuelle par Mobilinx d’une nouvelle motion sur la base d’éléments de preuve supplémentaires et meilleurs démontrant que l’approvisionnement pour l’amélioration a eu lieu avant le 1er juillet 2018, ou, à titre subsidiaire, de faire en sorte que la motion soit portée à la connaissance d’Edge1.
2) La décision Total Home & Yard
Dans l’affaire Total Home & Yard, le propriétaire a présenté une motion en vertu de l’article 45 de la Loi sur la construction en vue d’obtenir une ordonnance déclarant l’extinction du privilège de l’entrepreneur. La propriété en question se trouvait à Picton, en Ontario.
Il s’agissait de la deuxième tentative du propriétaire d’obtenir la mainlevée du privilège. Auparavant, la motion avait été rejetée sous réserve de la présentation de [traduction] « la preuve par le propriétaire des événements déclencheurs du privilège d’un entrepreneur ».
Le tribunal a rejeté la motion parce qu’aucune telle preuve n’a été présentée. Le tribunal a conclu [traduction] « qu’après deux tentatives, le créancier privilégié a le droit d’être informé de toute nouvelle motion visant à déclarer l’extinction de son privilège ».[11] La motion a été rejetée de nouveau sous réserve d’une troisième tentative, mais à la condition qu’un avis de la motion soit donné au créancier privilégié.
Le tribunal a déclaré qu’un [traduction] « problème chronique » posé par les motions présentées en vertu de l’alinéa 45(1)a) est que ces motions ne tiennent souvent pas compte de l’exigence expresse d’une preuve à l’appui de l’absence de conservation ou d’opposabilité du privilège dans le délai imparti, conformément à l’alinéa 45(1)b).[12]
La seule preuve présentée pour justifier l’extinction du privilège était :
- une copie du contrat;
- la déclaration de l’affidavit selon laquelle le créancier privilégié avait achevé ses travaux en juillet 2022;
- le fait qu’un certificat d’action n’ait pas été enregistré.[13]
Le tribunal a estimé que ces éléments de preuve étaient trop limités et non étayés pour justifier une mainlevée du privilège. Le juge associé a également noté qu’il existait une divergence entre l’ordre d’achat et la demande de privilège qui n’était pas traitée dans les documents. Le prix contractuel total du bon de commande était de 140 340,20 $, alors que la demande de privilège indiquait le prix contractuel total à 169 182,47 $. Cette divergence aurait dû être abordée dans les documents de la motion.[14]
Le tribunal a fourni des exemples d’autres preuves qui auraient dû être présentées à l’appui de la motion pour déclarer l’extinction du privilège :[15]
- la correspondance du créancier privilégié au sujet du travail effectué;
- les factures du créancier privilégié;
- les demandes de paiement; et
- une preuve de la portée des travaux et de leur achèvement.
Observations finales
La mainlevée d’un privilège sans préavis est un recours puissant. Après que les droits du créancier privilégié sont éteints, ils disparaissent pour toujours. Les juges associés de Toronto, spécialistes de la construction, restent vigilants quant aux dossiers de motion imparfaits qui ne satisfont pas au fardeau de preuve élevé pour la décision définitive à l’égard des droits du créancier privilégié. Pour éviter les rejets et les tentatives répétées, les propriétaires, les entrepreneurs et les autres personnes souhaitant obtenir la mainlevée des privilèges éteints devraient veiller à ce que les dossiers de preuve soient complets et ne laissent aucun doute quant au bien-fondé d’une extinction permanente.
[1] L.R.O. 1990, c. C.30, a. 45.
[2] Mobilinx Hurontario Entrepreneur v. Edge1 Equipment Rentals Inc., 2023 ONSC 5885 [Mobilinx].
[3] 2829785 Ontario Inc. v. Total Home & Yard Improvement Inc., 2023 ONSC 5855.
[4] Mobilinx Hurontario Entrepreneur v. Edge1 Equipment Rentals Inc., 2023 ONSC 5885.
[5] 2829785 Ontario Inc. v. Total Home & Yard Improvement Inc., 2023 ONSC 5855.
[6] Mobilinx Hurontario Entrepreneur v. Edge1 Equipment Rentals Inc., 2023 ONSC 5885, par. 8.
[7] Mobilinx Hurontario Entrepreneur v. Edge1 Equipment Rentals Inc., 2023 ONSC 5885, par. 1.
[8] Mobilinx Hurontario Entrepreneur v. Edge1 Equipment Rentals Inc., 2023 ONSC 5885, par. 5.
[9] Mobilinx Hurontario Entrepreneur v. Edge1 Equipment Rentals Inc., 2023 ONSC 5885, par. 11-14.
[10] Mobilinx Hurontario Entrepreneur v. Edge1 Equipment Rentals Inc., 2023 ONSC 5885, par. 12-15.
[11] 2829785 Ontario Inc. v. Total Home & Yard Improvement Inc., 2023 ONSC 5855, par. 13.
[12] 2829785 Ontario Inc. v. Total Home & Yard Improvement Inc., 2023 ONSC 5855, par. 4.
[13] 2829785 Ontario Inc. v. Total Home & Yard Improvement Inc., 2023 ONSC 5855, par. 7.
[14] 2829785 Ontario Inc. v. Total Home & Yard Improvement Inc., 2023 ONSC 5855, par. 9.
[15] 2829785 Ontario Inc. v. Total Home & Yard Improvement Inc., 2023 ONSC 5855, par. 8.