Modifications à la Loi sur la construction de l’Ontario : l’arbitrage intérimaire
La Loi sur la construction de l’Ontario (la « Loi »)[1] a été modifiée de façon importante par le Projet de loi 216, Loi de 2024 visant à bâtir l’Ontario pour vous (mesures budgétaires). Les modifications, qui ne sont pas encore en vigueur, comportent trois volets : le versement de la retenue, l’arbitrage intérimaire et les questions administratives. Le présent article de blogue traite de l’élargissement de l’accessibilité et du champ d’application de l’arbitrage intérimaire comme mode de règlement des différends en matière de construction en Ontario. Pour en savoir plus sur les modifications relatives à la retenue, veuillez lire notre article de blogue ici.
Points à retenir
- Les arbitrages intérimaires tenus en Ontario sous le régime de la Loi ne seront plus limités aux questions qui y sont énumérées. Il reste à voir si les parties répondront à l’appel et accepteront de renvoyer davantage de questions à l’arbitrage intérimaire. Cependant, les arbitres intérimaires jouiront désormais d’une compétence élargie pour résoudre les différends découlant des contrats de construction en Ontario.
- Les règles de l’arbitrage intérimaire ont été resserrées. Les objections pour des motifs de compétence doivent être soulevées immédiatement, faute de quoi elles ne pourraient plus être soulevées ultérieurement par les parties pour contester des décisions d’arbitrage intérimaire. Les avis d’arbitrage intérimaire devront également inclure des copies de toute décision d’arbitrage intérimaire antérieure rendue par les arbitres dans le cadre d’un même contrat.
- La Loi prévoira la publication des décisions arbitrales, lesquelles seront anonymisées par la suppression du nom des parties. Le public aura accès aux décisions d’arbitrage intérimaire, lesquelles pourront servir de précédents dans le cadre d’arbitrages intérimaires tenus en Ontario.
Contexte
Les modifications antérieures aux règles actuelles en matière de paiement et d’arbitrage intérimaire rapides sont entrées en vigueur le 1er octobre 2019. Dans le cadre de cette première série de modifications, une procédure de règlement accéléré des différends a été mise en place, permettant aux parties de soumettre à l’arbitrage intérimaire les questions suivantes :
- l’évaluation des services ou des matériaux fournis aux termes du contrat;
- le paiement prévu par le contrat, y compris à l’égard d’un ordre de modification, approuvé ou non, ou d’un projet d’ordre de modification;
- les montants retenus au titre de la compensation par le fiduciaire ou de celle relative au privilège;
- le versement ou le non-versement de la retenue;
- toute autre question sur laquelle s’entendent les parties.
L’Ontario Dispute Adjudication for Construction Contracts (l’« ODACC ») est responsable de l’administration des arbitrages intérimaires des différends en matière de construction. Selon le Rapport annuel 2024 de l'ODACC (en anglais seulement), au cours de l’exercice 2024, 277 arbitrages intérimaires ont été initiés et 151 décisions arbitrales ont été rendues. Le recours à l’arbitrage intérimaire pour régler les différends en matière de construction s’est constamment accru d’année en année.
Processus de consultation en vue de modifications législatives
En mai 2024, le ministère du Procureur général (le « MPG ») a chargé Duncan W. Glaholt de procéder à un examen indépendant de la Loi. Un « document de consultation » (en anglais seulement) présentant des propositions de fond visant à modifier la Loi a été publié en 2024, et le rapport final, intitulé 2024 Independent Review: Update the Construction Act, a été publié le 30 octobre 2024 (le « rapport final »).
Le rapport final indiquait que les parties à des contrats de construction souhaitaient que l’arbitrage intérimaire soit accessible à tous les niveaux, pour tous les différends. Les personnes consultées ont exprimé leur frustration quant à la lenteur de l’adoption de l’arbitrage intérimaire en Ontario, au manque de clarté des procédures informelles ainsi qu’à la structure des honoraires de l’ODACC. Pour faciliter un recours accru à l’arbitrage intérimaire dans la province, le rapport final met l’accent sur l’autonomie des parties dans l’adaptation de la procédure d’arbitrage comme moyen d’accroître la confiance envers ce mode de règlement des différends.
Même si le rapport final reconnaît qu’un recours accru à l’arbitrage intérimaire imposerait un fardeau aux grands propriétaires institutionnels et municipaux, les frais relatifs liés à des arbitrages intérimaires multiples, par comparaison aux coûts d’un seul litige ou arbitrage, militent en faveur de l’arbitrage intérimaire.
À la suite de la publication du document de consultation, les modifications apportées à la Loi ont rapidement reçu la sanction royale et ont considérablement modifié l’accessibilité et le champ d’application de l’arbitrage intérimaire en Ontario.
Nouvelles dispositions en matière d’arbitrage intérimaire
Limites à la compétence supprimées : Les limites antérieures en matière de compétence concernant l’accessibilité de l’arbitrage intérimaire prévues aux paragraphes 13.5(1) à (3) ont été abrogées et remplacées[2]. Avant les modifications, seules les questions énumérées dans la Loi pouvaient être tranchées par arbitrage intérimaire. Les modifications permettent aux parties de soumettre à l’arbitrage intérimaire des différends concernant toute question prescrite ou toute question dont sont convenues les parties à l’arbitrage intérimaire. Avant les modifications, les parties avaient déjà le droit de faire régler par arbitrage intérimaire un large éventail de différends concernant « le paiement prévu par le contrat, y compris à l’égard d’un ordre de modification, approuvé ou non, ou d’un projet d’ordre de modification ». Toutefois, on peut s’attendre à ce que la suppression des limites liées à la compétence rassure les arbitres qui pourront désormais résoudre les différends dont ils sont saisis, sans toutefois outrepasser leur compétence et risquer de voir leur décision annulée dans le cadre d’un contrôle judiciaire.
Nécessité de soulever immédiatement les objections en matière de compétence : Toute objection selon laquelle la question ne relève pas de la compétence d’un arbitre doit désormais être soulevée par une partie lorsqu’elle présente ses premières observations dans le cadre de l’arbitrage intérimaire[3]. Toute objection selon laquelle l’arbitre aurait outrepassé sa compétence doit être formulée « dès que la question alléguée comme outrepassant la compétence de l’arbitre intérimaire est soulevée pendant l’arbitrage intérimaire »[4]. Un arbitre peut prendre une décision sur sa propre compétence. Il peut prolonger le délai pour la présentation des objections en matière de compétence; toutefois, les parties à l’arbitrage intérimaire doivent s’assurer d’être prêtes à traiter les questions de compétence au début de la procédure afin d’éviter de se heurter aux nouvelles dispositions.
Accessibilité accrue de l’arbitrage intérimaire : Les modifications apportées à la Loi prolongent la période pendant laquelle on peut entamer un arbitrage intérimaire après la fin d’un contrat[5]. Selon les dispositions actuelles en matière d’arbitrage intérimaire, un avis d’arbitrage intérimaire doit être donné avant la date à laquelle le contrat prend fin. Les modifications apportées à la Loi permettront de donner un avis au plus tard 90 jours après la date à laquelle le contrat est achevé, abandonné ou résilié, sauf accord contraire des parties. Dans le cas des contrats de sous-traitance, l’avis ne peut être donné plus de 90 jours après la première des dates suivantes, à savoir la date d’achèvement du contrat (y compris l’abandon ou la résiliation), la date de certification de l’achèvement des travaux ou la date de la dernière prestation de services ou fourniture de matériaux. La période de paiement des sommes allouées par une décision d’un arbitre intérimaire a été prolongée de 10 jours à 15 jours à compter de la date à laquelle la décision est communiquée aux parties.
Exigences supplémentaires en matière d’avis d’arbitrage intérimaire : Les parties doivent savoir que les exigences en matière d’avis écrit d’arbitrage intérimaire prévues par les modifications exigent désormais que soit communiquées la date, la nature et la substance de tout arbitrage intérimaire antérieur tenu à l’égard du contrat ou du contrat de sous-traitance, ainsi qu’une copie de toute décision antérieure[6]. D’autres exigences en matière d’avis d’arbitrage intérimaire font l’objet de règlements qui n’ont pas encore été publiés. En pratique, si les parties ont déjà fait trancher par arbitrage intérimaire un différend à l’égard d’un contrat ou d’un contrat de sous-traitance, elles doivent être prêtes à communiquer une copie de la décision rendue dans le cadre de cette procédure d’arbitrage intérimaire à tout arbitre ultérieur. Ainsi, une plus grande importance est accordée au premier arbitrage intérimaire qui a été tenu entre les parties à un contrat et à l’impression donnée par la décision rendue.
Capacité accrue d’exiger une jonction des arbitrages intérimaires : Si des parties participent à plusieurs arbitrages intérimaires relativement au même contrat, même si elles ne conviennent pas d’une jonction, toute partie peut « exiger » une jonction, sous réserve de l’accord des arbitres de chacun des arbitrages intérimaires distincts, conformément à la réglementation[7]. Bien qu’elle vise à simplifier le règlement des différends dans le cadre de différends multipartites, cette procédure pourrait aussi être difficile à appliquer dans le cadre de contrats complexes mettant en jeu diverses questions interreliées entre les parties.
Introduction d’arbitres privés : Même si l’ODACC demeure l’autorité législative pour la qualification des arbitres, les parties ne sont plus tenues d’utiliser un arbitre intérimaire inscrit dans le registre de l’ODACC[8]. Les parties peuvent plutôt convenir de nommer un arbitre intérimaire privé pour régler leur différend. Cela créera deux catégories d’arbitres : les arbitres intérimaires inscrits au registre et les arbitres intérimaires privés. Les arbitres intérimaires privés doivent tout de même posséder la « qualification » attribuée par l’ODACC et les modifications à la Loi prévoient la mise en œuvre de programmes de formation sous l’égide de l’ODACC à l’intention de ces arbitres intérimaires privés. Des détails supplémentaires sur les différences entre ces deux catégories d’arbitres intérimaires restent à préciser.
Capacité de corriger les décisions : Les modifications donnent également à l’arbitre intérimaire la possibilité de corriger sa décision « au plus tard cinq jours » après avoir communiqué cette décision aux parties. La décision peut être corrigée si elle renferme des erreurs de typographie, des erreurs de calcul ou d’autres erreurs de ce genre; la décision peut aussi être modifiée « de façon à réparer une injustice qu’il aurait causée par inadvertance »[9]. La portée de ce qui constitue une « injustice » n’a pas encore été examinée dans ce contexte.
L’arbitrage intérimaire n’a plus d’incidence sur l’extinction des privilèges : L’arbitrage intérimaire ne prolonge plus le délai d’extinction des privilèges, éliminant ainsi une source potentielle de confusion et d’incohérence dans les projets[10].
Décisions rendues publiques dans le cadre d’un processus d’arbitrage anonymisé : Les modifications apportées à la Loi obligeront l’ODACC à mettre « à la disposition du public les décisions d’arbitrage intérimaire, sous réserve de la suppression des renseignements identificatoires »[11]. Les parties devraient ainsi disposer d’une base de données de décisions d’arbitrage intérimaire dans laquelle puiser des précédents pour traiter les questions de procédure et de fond en matière de construction.
Observations finales
Ces modifications permettent d’élargir l’accessibilité de l’arbitrage intérimaire pour le règlement des différends en matière de construction dans la province, tout en rendant plus difficile pour les parties de soulever des arguments de compétence pour faire annuler après coup des décisions d’arbitrage intérimaire.
Les parties prenantes du secteur de la construction attendent l’entrée en vigueur des modifications et des règlements qui les accompagnent pour voir comment ces modifications seront mises en œuvre en pratique. Pour le moment, on ne sait pas si ces modifications auront une incidence importante ou progressive sur le recours à l’arbitrage intérimaire comme solution de rechange à l’arbitrage ou aux litiges en matière civile. Les parties à l’arbitrage intérimaire seraient bien avisées de se familiariser avec ces modifications afin d’éviter d’être prises au dépourvu.
[2] Projet de loi 216, annexe 4 : le par. 12(1) abroge et remplace les paragraphes 13.5(1) à (3) actuels.
[3] Projet de loi 216, annexe 4 : l’art. 18 ajoute l’al. 13.12.1(2)a) concernant les objections en matière de compétence.
[4] Projet de loi 216, annexe 4 : l’art. 18 ajoute l’al. 13.12.1(2)b) concernant les objections en matière d’excès de compétence d’un arbitre.
[5] Projet de loi 216, annexe 4 : le par. 12(1) abroge et remplace les par. 13.5(1) à (3) actuels, l’expiration de la période d’arbitrage intérimaire est prévue au par. 13.5(3.1) pour les contrats de sous-traitance.
[6] Projet de loi 216, annexe 4 : le par. 13(1) modifie le par. 13.7(1) actuel et ajoute l’alinéa e) qui précise les exigences supplémentaires relatives aux avis d’arbitrage intérimaire.
[7] Projet de loi 216, annexe 4 : l’art. 14 abroge le par. 13.8(2) et le remplace par la nouvelle disposition sur la jonction des arbitrages intérimaires.
[8] Projet de loi 216, annexe 4 : le par. 15(1) modifie le par. 13.9(1); le par. 15(2) abroge le par. 13.9(2) actuel et le remplace par les dispositions relatives au registre et à l’arbitre intérimaire privé, soit les par. 13.9(2), 13.9(2.1) et 13.9(4).
[9] Projet de loi 216, annexe 4 : l’art. 21 ajoute l’art. 13.17.1 pour tenir compte de la décision de correction.
[10] Projet de loi 216, annexe 4 : l’art. 27 abroge les par. 31(2) à (7) et les remplace par de nouvelles dispositions sur l’extinction des privilèges.
[11] Projet de loi 216, annexe 4 : le par. 32(5) ajoute l’al. 88(1)j.1).