Modifications à la Loi sur la construction de l’Ontario : libération annuelle obligatoire de la retenue
La Loi sur la construction de l’Ontario (la « Loi »)[1] a été modifiée de façon importante par le Projet de loi 216, Loi de 2024 visant à bâtir l’Ontario pour vous (mesures budgétaires), qui a reçu la sanction royale le 6 novembre 2024. Les modifications, qui ne sont pas encore en vigueur, comportent trois volets : le versement de la retenue, l’arbitrage intérimaire et les questions administratives.
Les modifications apportées à la Loi auront des conséquences importantes sur les propriétaires et les entrepreneurs. La première partie de notre examen de ces modifications portera sur les modifications apportées au moment de la libération de la retenue.
Points à retenir
Sous réserve des dispositions transitoires des modifications, la libération annuelle de la retenue sera bientôt rendue obligatoire pour tous les contrats de construction en Ontario, et sera payable à la date d’anniversaire de la conclusion du contrat (la « date d’anniversaire du contrat ») :
- le versement annuel de la retenue devient obligatoire pour tous les contrats conclus après l’entrée en vigueur des modifications;
- les contrats de construction dont les processus d’approvisionnement ont été commencés le 1er juillet 2018 ou après, ou les contrats dont la date d’anniversaire du contrat est le 1er juillet 2018 ou après, mais, dans les deux cas, avant le jour de l’entrée en vigueur des modifications, passeront progressivement au versement annuel obligatoire de la retenue. Pour ces contrats, la libération annuelle de la retenue devient obligatoire à la deuxième date d’anniversaire du contrat qui suit la date d’entrée en vigueur des modifications;
- les modifications ne s’appliquent pas aux contrats dont les processus d’approvisionnement ont été commencés avant le 1erjuillet 2018, ou aux contrats qui ont été conclus avant le 1er juillet 2018.
Bien que la transition vers une libération annuelle obligatoire de la retenue pour tous les projets de construction en Ontario soit susceptible d’augmenter considérablement les mouvements de fonds liés à la construction, elle imposera également un fardeau administratif plus lourd tant aux propriétaires qu’aux entrepreneurs. Les droits des titulaires de privilèges s’éteindront bientôt sur une base annuelle, ce qui pourrait donner lieu à des différends plus fréquents, mais pour une valeur moins élevée.
Contexte
Selon la Loi, la retenue de base correspond à 10 % de la valeur des services rendus ou des matériaux fournis aux termes d’un contrat ou d’un contrat de sous-traitance devant être retenus aux termes de la partie IV de la Loi. La retenue peut être conservée sous forme de fonds, d’une lettre de crédit ou d’un cautionnement de remboursement de retenue sur demande rédigé selon le formulaire prescrit par la Loi[2]. Le propriétaire qui omet d’effectuer la retenue est personnellement responsable envers les créanciers privilégiés dont le privilège est valide et grève son intérêt sur les lieux[3].
Avant l’entrée en vigueur des modifications de 2024 apportées à la Loi, le versement de la retenue de base par les propriétaires était effectué par défaut après l’extinction des droits des titulaires de privilèges (après la publication du certificat attestant l’exécution du contrat pour l’essentiel ou l’achèvement, l’abandon ou la résiliation, selon le cas, du contrat, conformément à l’article 31 de la Loi). La Loi autorisait expressément les propriétaires et entrepreneurs à opter pour une libération échelonnée ou annuelle de la retenue (pourvu que certaines conditions soient remplies). Ni l’une ni l’autre de ces options n’était obligatoire.
La retenue continue à ne pouvoir être libérée qu’une fois que tous les privilèges pouvant être exercés contre elle se soient éteints, aient été acquittés, que mainlevée en ait été donnée ou qu’il y ait été pourvu autrement aux termes de la Loi. L’extinction des droits des titulaires de privilèges, comme les entrepreneurs et les sous-traitants, dépend de la question de savoir si les améliorations ont fait l’objet d’une certification ou d’une déclaration d’exécution pour l’essentiel du contrat, ainsi que des délais prévus à la Loi. Avant les modifications, la Loi ne prévoyait aucune extinction annuelle automatique des privilèges après la date d’anniversaire du contrat.
Processus de retenue annuelle
Quels contrats sont assujettis aux obligations visant la retenue annuelle?
La question de savoir si et quand les modifications à la Loi relatives au versement annuel obligatoire de la retenue s’appliquent dépend de la date de conclusion d’un contrat donné entre un propriétaire et un entrepreneur :
- les contrats dont les processus d’approvisionnement ont été commencés avant le 1erjuillet 2018, ou les contrats qui ont été conclus avant le 1er juillet 2018, demeurent assujettis à la Loi sur le privilège dans l’industrie de la construction classique et les modifications relatives à la retenue annuelle obligatoire ne s’appliquent pas à eux;
- les contrats dont les processus d’approvisionnement ont été commencés le 1erjuillet 2018 ou après, ou les contrats qui ont été conclus le 1er juillet 2018 ou après, mais, dans les deux cas, avant l’entrée en vigueur des modifications, passeront progressivement à la libération annuelle obligatoire de la retenue. Pour ces contrats, la libération annuelle de la retenue devient obligatoire à la deuxième date d’anniversaire du contrat qui suit la date d’entrée en vigueur des modifications. Par exemple, si la date d’anniversaire du contrat est le 15 décembre 2024 et que les modifications entrent en vigueur le 15 janvier 2025, la première date de libération annuelle obligatoire de la retenue sera alors le 15 décembre 2026;
- tous les contrats de construction auxquels s’applique la Loi, conclus après la date d’entrée en vigueur des modifications, seront assujettis à l’obligation de versement annuel obligatoire de la retenue.
Quand la libération annuelle de la retenue doit-elle être effectuée?
Les propriétaires seront tenus de publier un « un avis de libération annuelle de la retenue » au plus tard 14 jours après la date d’anniversaire du contrat. L’avis doit être rédigé selon le formulaire prescrit par règlement et indiquer le montant de la retenue et la date du versement de celle-ci.
Lorsqu’un privilège découle de la prestation de services ou la fourniture de matériaux en vue d’améliorations qui sont inclus dans un avis de libération de la retenue, ce privilège s’éteint le 60e jour suivant la date de publication de l’avis.
Les propriétaires sont tenus de libérer des retenues 14 jours après l’expiration de la période de privilège, sauf dans les deux cas prévus au nouvel article 26(4) de la Loi :
- un privilège, qui a été préservé ou rendu opposable à l’égard du contrat, grève les lieux et la mainlevée du privilège n’a pas été donnée, et aucune ordonnance n’a été enregistrée déclarant l’extinction du privilège, en donnant mainlevée ou concluant à l’annulation de l’enregistrement de la revendication de privilège ou du certificat d’action;
- un privilège, qui a été préservé ou rendu opposable à l’égard du contrat, ne grève pas les lieux, et il n’a pas été acquitté ni n’a fait l’objet d’une mainlevée, et aucune ordonnance déclarant l’extinction du privilège ou annulant le privilège n’a été rendue.
Toute retenue qui n’est pas autrement versée aux termes des dispositions relatives à la libération annuelle, en raison de l’existence d’un privilège préservé ou rendu opposable, doit être versée au plus tard 14 jours après que les privilèges se sont éteints ou ont été acquittés, ou après qu’une mainlevée en a été donnée.
L’entrepreneur est tenu de verser une retenue à son sous-traitant au plus tard 14 jours après avoir reçu du propriétaire le versement d’une retenue, et ainsi de suite dans la chaîne des sous-traitants.
Libération de la retenue par échelonnement abrogée
Les dispositions de la Loi sur les choix de versement de la retenue, annuellement ou par échelonnement, seront abrogées et remplacées par l’annexe 4 du Projet de loi 216 lorsque les modifications entreront en vigueur[4]. Les paragraphes 31(2) à (7), qui traitent des privilèges de l’entrepreneur seront de la même façon abrogés et remplacés.
Les modifications apportées à la Loi constituent un changement majeur par rapport au régime actuel de la retenue, selon lequel les payeurs peuvent libérer la retenue annuellement ou par échelonnement si le contrat le prévoit et sous réserve des conditions liées aux privilèges énoncées au par. 26.1(2).
Aperçu pratique
L’adoption, à l’échelle de la province, d’une libération annuelle obligatoire de la retenue entraînera un changement important dans la manière dont la plupart des contrats de construction sont gérés.
Les propriétaires et les entrepreneurs assumeront le fardeau de l’administration des nouvelles dispositions relatives aux retenues et aux avis. Les propriétaires publics et les propriétaires privés importants qui réalisent plusieurs projets simultanés devront tenir compte des dates d’anniversaires de contrats régulières et récurrentes susceptibles de déclencher des obligations liées au paiement de la retenue et aux avis tout au long de l’année. Les propriétaires et les entrepreneurs doivent donc veiller à investir dans des systèmes robustes de suivi des dates d’anniversaires des contrats afin de respecter le délai serré de 14 jours d’avis et de libération de la retenue. Faute de quoi, ils seraient exposés à des procédures d’arbitrage intérimaire de la part des entrepreneurs et sous-traitants.
L’obligation pour les propriétaires de publier le montant de la retenue libérée chaque année confère de la transparence aux parties à la pyramide du secteur de la construction quant à la quantité des services rendus et des matériaux utilisés dans le cadre d’un projet donné. Ce niveau d’information du public sur les dépenses annuelles consacrées à tous les projets de construction a sans doute été une conséquence involontaire des modifications, en particulier pour les projets d’aménagement privés.
Ce qui est plus clair, c’est que l’effet du recours constitué par les privilèges – qui est le pilier du secteur de la construction depuis plus d’un siècle en Ontario – a été considérablement atténué par ces modifications. Lorsque les modifications relatives à la libération annuelle de la retenue seront en vigueur, dans le cadre d’un contrat donné, les entrepreneurs et les sous-traitants auront des droits, en tant que titulaires de privilèges, qui s’éteindront chaque année. Tant que ces modifications n’auront pas été pleinement comprises et intégrées par les intervenants du secteur de la construction, les entrepreneurs et les sous-traitants pourraient ne pas savoir que leurs droits en tant que titulaires de privilèges acquis au cours de la période de 12 mois précédente expirent chaque année 60 jours après la date d’anniversaire du contrat. L’extinction annuelle des privilèges peut donner lieu à des différends plus fréquents, mais pour une valeur moins élevée.
Tous les intervenants du secteur de la construction devraient se familiariser avec les modifications avant la date de leur entrée en vigueur, afin de prévoir les changements qu’ils devront apporter à l’administration des retenues en Ontario, et s’y adapter.
[2] Loi sur la construction, par. 22(4).
[3] Loi sur la construction, art. 23(4).
[4] Projet de loi 216, Loi de 2024 visant à bâtir l’Ontario pour vous (mesures budgétaires), annexe 4, art. 26 à 27.1.