Passer au contenu directement.

Le Canada et l’Union européenne concluent un accord économique et commercial historique

Le 18 octobre 2013, le Premier ministre Stephen Harper a annoncé que le Canada et l’Union européenne (UE) étaient parvenus à une entente de principe sur l’Accord économique et commercial global (AECG). Maintenant les deux parties chercheront à conclure l’accord formel et entreprendront un examen juridique du document. Lorsque l’accord définitif aura été signé, il devra être ratifié par les parlements respectifs, dans les 18 à 24 prochains mois.

Bien que la version définitive de l’accord n’ait pas encore été publiée, certains détails de l’entente de principe ont été divulgués.

1. Accès aux marchés et droits de douane

Dès l’entrée en vigueur de l’AECG, 99 % des droits de douane de l’UE sur les produits industriels seront supprimés; le 1 % restant disparaîtra progressivement dans les sept années suivantes.

Ces réductions tarifaires devraient largement stimuler le secteur manufacturier au Canada dont certaines exportations sont visées par des droits de douane pouvant atteindre 22 %. Les lignes tarifaires de l’UE qui seront progressivement exemptes de droits de douane comprennent notamment le poisson et les fruits de mer, les céréales, les produits forestiers, les véhicules de tourisme, les pièces d’automobile et le sirop d’érable, tandis que les droits canadiens qui seront progressivement éliminés portent entre autres sur les véhicules de tourisme, certains produits de l’agriculture ainsi que les navires importés de l’EU.

L’UE permettra en outre l’acceptation des résultats des essais et des processus de certification de produits réalisés par des organismes canadiens désignés. Il s’agit du premier accord commercial de l’UE qui permette la certification de sécurité de produits importés et qui avantage les entreprises canadiennes par une réduction des coûts associés à l’obtention de certifications supplémentaires de l’UE. Les obstacles non tarifaires techniques comme les certifications de sécurité se sont multipliés dans les dernières années partout dans le monde et l’élimination de l’obligation d’obtenir des certifications distinctes se traduira sans aucun doute par une augmentation des exportations canadiennes à la faveur d’une diminution du nombre d’obstacles d’ordre administratif. L’élimination de ces obstacles non tarifaires étant aussi bilatérale, il sera plus facile d’importer d’Europe des véhicules de tourisme construits selon des normes de l’UE reconnues.

L’AECG renferme aussi des dispositions régissant expressément l’accès aux marchés et les obstacles non tarifaires pour les vins et spiritueux. L’AECG prévoirait en effet une réduction du « coût de service » que les provinces imposent sur les vins européens. L’industrie vinicole canadienne en souffrira inévitablement; toutefois, le gouvernement canadien a réussi à négocier certains droits pour les entreprises vinicoles canadiennes. Aussi, le vin étranger ne pourra être offert en vente au détail que dans les magasins d’alcool provinciaux et les viticulteurs canadiens pourront vendre leurs produits sur place au vignoble et dans certains magasins de détail.

En plus de la réduction des droits de douane, l’AECG créera de nouvelles règles nettement avantageuses pour l’industrie automobile canadienne. Bien que les deux parties aient convenu d’une élimination progressive sur sept ans des droits de douane sur les véhicules de tourisme, la négociation des « règles d’origine » pour ces produits s’est révélée beaucoup plus ardue. Ces règles d’origine sont d’une importance capitale compte tenu de l’intégration des industries canadienne et américaine de l’automobile après l’ALÉNA. Sans cette libéralisation des règles d’origine, une réduction des droits de douane n’aurait sans doute produit que des retombées négligeables.

L’AECG tient compte de cette intégration par la création d’un système jumelé. Premièrement, l’AECG tient compte des chaînes d’approvisionnement existantes du Canada et permet d’exporter jusqu’à 100 000 véhicules de tourisme vers l’Europe, soit plus de 12 fois la moyenne actuelle des exportations. Deuxièmement, l’AECG accorde un traitement préférentiel illimité aux véhicules exportés vers l’Europe ayant un contenu canadien élevé.

2. Services

L’AECG est le premier accord commercial signé par l’UE qui envisage une plus grande libéralisation du commerce des services. Les parties ont adopté une approche fondée sur des « listes négatives » pour le commerce des services, c’est-à-dire que tous les fournisseurs de services étrangers doivent être traités sur un même pied d’égalité que les fournisseurs nationaux, à moins qu’ils ne soient expressément exclus.

De plus, les deux parties ont adopté un cadre pour l’établissement d’« accords de reconnaissance mutuelle ». Ces accords visent à permettre à des professionnels d’obtenir la reconnaissance de leurs compétences par les ordres professionnels de l’autre partie. Par exemple, un ingénieur de London (Ontario) pourra obtenir la reconnaissance de ses titres de compétence par un ordre professionnel de Londres, en Angleterre, sans avoir à se soumettre à de fastidieuses formalités de reconnaissance et d’évaluation des compétences professionnelles. L’AECG sera le premier accord de libre échange canadien renfermant des dispositions de fond et exécutoires sur la reconnaissance réciproque des compétences professionnelles.

Cependant, la délivrance des titres de compétence relève des ordres professionnels provinciaux comme le Collège des médecins et les différents ordres des avocats. Dans ce domaine, il sera donc particulièrement intéressant de voir comment le gouvernement fédéral amènera ces ordres professionnels provinciaux semi-autonomes à conclure des accords avec leurs homologues européens.

L’AECG favorisera en outre la libéralisation des services (et des investissements dans le secteur des services, comme il est plus amplement décrit ci-après) dans le secteur financier. Bien que le projet de dispositions n’ait pas encore été publié, l’AECG s’appliquera également au secteur financier. Les deux parties ont toutefois apparemment convenu de prévoir des « mesures prudentielles » visant à préserver la stabilité et l’intégrité de leurs systèmes financiers. Le détail de ces mesures n’a pas encore été annoncé.

Enfin, l’AECG créera un « mécanisme de verrouillage » visant à accorder aux fournisseurs de services ou aux investisseurs le bénéfice de quelque libéralisation réglementaire. Dès qu’un investisseur ou un fournisseur de services étranger bénéficie d’une libéralisation réglementaire, cette libéralisation devient automatiquement une nouvelle obligation de cette partie dans le cadre de l’AECG, sans que les parties n’aient à renégocier ni à modifier l’accord.

3. Marchés publics

L’AECG aidera considérablement les sociétés de l’UE à vendre des produits et des services aux gouvernements provinciaux, municipaux et fédéral au Canada et les sociétés canadiennes à vendre des produits et des services aux gouvernements de l’UE (la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil européen) et à tous les paliers de gouvernement des États membres de l’UE. Le marché de l’approvisionnement public de l’UE s’élève à plus de 2,7 billions de dollars par année, tandis que le marché canadien dépasse largement les 100 milliards de dollars par année.

Les contrats d’approvisionnement au gouvernement fédéral sont assujettis aux disciplines internationales en vertu de l’ALÉNA et de l’Accord sur les marchés publics de l’OMC. L’ouverture aux sociétés européennes du lucratif marché de l’approvisionnement provincial et municipal change toutefois la donne. Jusqu’à maintenant, les provinces et municipalités n’étaient pas assujetties aux disciplines internationales générales régissant le processus d’approvisionnement et l’attribution d’un marché. Bien que certaines entités gouvernementales provinciales soient assujetties aux disciplines relatives aux marchés publics de l’Accord sur les marchés publics entre le Canada et les États-Unis par rapport aux fournisseurs américains, les municipalités n’ont jamais été assujetties à des disciplines commerciales internationales permanentes en matière de marché public. Les adjudicateurs du gouvernement canadien qui soumissionnent sur d’importants et lucratifs marchés publics provinciaux et municipaux devront faire face à une intensification de la concurrence de la part de sociétés de l’UE. Les sociétés canadiennes devraient en revanche avoir un accès accru à autant, espérons-le, de marchés publics à tous les paliers de gouvernements de l’UE.

Étant donné la taille du marché de l’approvisionnement public au Canada, les entreprises européennes devraient commencer à consulter des spécialistes des marchés publics canadiens afin de mieux connaître les règles régissant les marchés publics au Canada, et d’être plus à même de naviguer dans le dédale des règles parfois byzantines de l’approvisionnement public au Canada.

L’AECG ne supprime toutefois pas toutes les protections dont bénéficient les municipalités et provinces pour l’approvisionnement local, notamment auprès de petites entreprises. Les règles d’approvisionnement de l’AECG ne s’appliqueront qu’aux marchés publics supérieurs à une certaine valeur, soit à peu près les seuils établis par l’Accord sur les marchés publics de l’OMC. Pour 2012-2013, ce seuil s’élève à 200 000 droits de tirage spéciaux (DTS) – environ 315 500 $ pour les biens et services. Pour l’approvisionnement par des services publics, ce seuil s’élève à 400 000 DTS (631 000 $). Enfin, pour des services de construction, le seuil d’applicabilité s’élève à 5 millions de DTS (7,8 millions $).

Ces seuils sont beaucoup plus élevés que ceux de l’Accord sur le commerce intérieur (le document qui s’applique à tous les marchés publics au Canada) et, pour les autres contrats que les contrats de services de construction, sont également plus élevés que ceux des engagements actuels du gouvernement fédéral du Canada dans le cadre de l’ALÉNA.

Enfin, le nouvel accord laissera aux gouvernements du Canada et de l’UE la possibilité de privilégier les entreprises nationales, que ce soit au moyen de subventions, de prêts ou d’encouragements fiscaux. De plus, certains secteurs (comme l’éducation et les services de soins de santé) seront exclus de l’accord.

4. Produits agroalimentaires et laitiers

L’AECG libéralise les droits de douane et autres restrictions sur les aliments crus et transformés. L’AECG ouvrirait aussi, jusqu’à un certain point, les marchés européens du bœuf et du porc et le marché canadien du fromage.

Dès la signature de l’AECG, soit dans environ 18 à 24 mois, 94 % des lignes tarifaires de l’UE sur les produits agricoles seront exemptées de droits de douane, notamment les droits de douane élevés sur des produits de l’agriculture comme le blé dur et le blé commun de qualité supérieure, les produits frais et surgelés, les huiles et les produits emblématiques comme le sirop d’érable.

Les parties se sont en outre engagées à établir des politiques fermes fondées sur les faits scientifiques en matière de biotechnologie. Bien qu’il y ait quelque espoir de libéralisation des règles rigides de l’UE sur les organismes génétiquement modifiés, l’accord n’envisage actuellement que la présence en faible quantité d’OGM.

Toutefois, la principale question en matière d’agriculture a toujours été l’antagonisme d’intérêts du Canada de préserver le système de gestion de l’offre et d’élargir son accès aux marchés de l’UE pour le bœuf et le porc.

L’AECG ne prévoit pas le démantèlement du système de gestion de l’offre, et le gouvernement canadien a clairement fait savoir que la préservation du système de gestion de l’offre était dans l’intérêt véritable du Canada. Cependant, le contingent tarifaire canadien relatif aux fromages passera de 20 000 tonnes à 37 000 tonnes, la tranche de l’UE passant notamment de 13 000 tonnes à 30 000 tonnes.

En contrepartie, l’UE convient d’accorder aux agriculteurs canadiens un contingent tarifaire en franchise de droits visant 80 000 tonnes de porc, 50 000 tonnes de bœuf et 3 000 tonnes de bison. Un contingent tarifaire en franchise de droits visant jusqu’à 15 000 tonnes de « bœuf de qualité supérieure » sera aussi accordé.

5. Propriété intellectuelle

L’AECG renfermera de vastes mesures en matière de propriété intellectuelle et représente un engagement ferme envers les droits de propriété intellectuelle des créateurs du Canada et de l’UE.

Les parties ont convenu d’un cadre calqué sur la Loi sur la modernisation du droit d’auteur qui, selon les sommaires publiés par le gouvernement, harmonise la législation canadienne en matière de droits d’auteur avec les dispositions des traités portant sur Internet de l’OMPI.

L’AECG allongera aussi la liste des indications géographiques protégées du Canada qui servent à indiquer l’origine géographique particulière d’un produit lui conférant une qualité ou un caractère particulier. À titre d’exemple, on peut citer le champagne, la grappa et le scotch. Le Canada et l’UE laissent actuellement entendre que cette liste comprendra de nombreux produits, notamment le grana padano, le roquefort et les olives de Kalamata. Le prosciutto di Parma et le prosciutto di San Daniele, entre autres indications géographiques, pourront être vendus au Canada sous leur nom pour la première fois depuis 20 ans.

L’AECG semble aussi être une victoire pour les sociétés pharmaceutiques innovatrices du Canada. Bien que l’AECG ne prolonge pas la période actuelle de protection de données pour les nouveaux médicaments de cinq années supplémentaires (comme il était souhaité), il permettra aux sociétés innovatrices de demander un rétablissement de la durée d’un brevet d’au plus deux ans en compensation du temps perdu à l’obtention des approbations réglementaires. Cette mesure sera prise dans l’intérêt des consommateurs, le gouvernement fédéral ayant déjà donné aux provinces des garanties qu’il les indemnisera de quelque augmentation des coûts des médicaments.

6. Protection de l’investissement

L’AECG renferme des dispositions générales en matière d’investissement visant à stimuler l’investissement direct étranger d’investisseurs du Canada et de l’UE. L’année dernière, l’investissement direct du Canada dans l’UE représentait 28 % de l’ensemble de l’investissement direct du Canada à l’étranger. La même année, l’investissement direct de l’UE au Canada a représenté plus de 24 % des investissements étrangers totaux au Canada. L’AECG est aussi le premier accord commercial du Canada avec un pays industrialisé reconnu qui comprend un mécanisme d’arbitrage investisseurs-État depuis l’ALÉNA.

Les nouvelles règles visent à garantir un traitement équitable des investisseurs étrangers. L’information publiée laisse nettement entrevoir une formulation analogue à celle de l’ALÉNA et de nombreux autres accords d’investissement bilatéraux signés par le Canada. Selon la documentation publiée, les parties ont convenu d’un traitement de la nation la plus favorisée pour les investisseurs étrangers et d’une norme de traitement national garantissant que les investisseurs étrangers seront traités sur un même pied d’égalité avec les investisseurs nationaux.

Les dispositions en matière d’investissement semblent aussi renfermer une obligation de « traitement juste et équitable ». Il s’agit d’une disposition à surveiller, les violations présumées de clauses de « traitement juste et équitable » étant devenues des causes d’action de plus en plus fréquentes dans le cadre d’arbitrages investisseurs-État. Il sera particulièrement intéressant de savoir si l’AECG intégrera ou non officiellement la note de la Commission de l’ALÉNA sur le « traitement juste et équitable » qui visait à limiter le caractère autonome de cette formulation.

L’AECG prévoit aussi des mesures pour contrebalancer ce que d’aucuns voyaient comme de sérieux obstacles au processus d’arbitrage investisseurs-État, soit un manque de transparence et un manque d’indépendance. Le fait que les parties en aient pris acte indique une volonté d’adapter le cadre d’arbitrage investisseurs-État. Selon des rapports du gouvernement du Canada, un mécanisme d’examen préalable à l’arbitrage sera également mis en place pour filtrer les demandes sans fondement et éviter ainsi les abus.

Le Canada a aussi obtenu un accord de l’UE quant au maintien des mécanismes d’examen discrétionnaire aux termes de la Loi sur Investissement Canada. Ce gain revêt une importance particulière à la lumière des récentes décisions du gouvernement fédéral de bloquer des opérations en vertu de cette loi (notamment la prise de contrôle d’Allstream par Accelero Capital Holdings). Toutefois, selon les documents officiellement publiés, le seuil d’examen d’un investissement à l’avantage net du Canada sera augmenté lorsqu’il s’agit d’un investisseur de l’UE. Selon des rapports officieux, le nouveau seuil applicable à l’Europe sera de 1,5 milliard de dollars.

Auteurs