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Engagements à vue : Délais de prescription différents selon la province

Aperçu

Une décision récente de la Cour d’appel de l’Ontario, Bank of Nova Scotia v. Williamson (disponible en anglais seulement), offre la possibilité de composer avec les façons divergentes dont les délais de prescription dans différentes provinces s'appliquent aux diverses formes d’engagements à vue.

Les engagements à vue jouent un rôle déterminant dans bon nombre d’opérations de financement et appartiennent à deux catégories générales : i) les engagements à vue primaires (tels que les billets à ordre payables sur demande et les hypothèques à vue) et ii) les engagements à vue secondaires (tels que les cautionnements à vue et les hypothèques subsidiaires à vue de tiers). Chaque forme d’engagement à vue présente des caractéristiques juridiques particulières qui lui sont propres.

Le délai de prescription applicable aux engagements à vue primaires et secondaires revêt une importance particulière tant pour les prêteurs que pour les emprunteurs. Un délai de prescription est évidemment le délai dans lequel un créancier doit introduire une instance judiciaire contre l’emprunteur, la caution ou un autre débiteur, en vue de faire exécuter l’engagement visé. Une fois le délai de prescription expiré, le droit d’introduire une telle instance en exécution est en général perdu.

La législation provinciale fixe les délais de prescription. Le délai de prescription applicable à un engagement à vue en particulier découlera donc de la législation provinciale que les parties ont choisie pour régir leurs relations en général. La législation varie d’une province à l’autre quant à la durée du délai de prescription applicable et à la date à laquelle il commence à courir. C’est pourquoi les parties pourraient considérer le choix de la législation applicable comme un point de négociation important.

Développements récents en Ontario

Dans sa récente décision Williamson, la Cour d’appel de l’Ontario a examiné les principes de prescription applicables à diverses catégories d’engagements à vue, et ce, tels qu'ils s'appliquaient dans le passé et après les modifications importantes apportées à la Loi de 2002 sur la prescription des actions (Ontario) en novembre 2008. La loi ontarienne établit un « délai de prescription de base » de deux ans, applicable à la plupart des réclamations qui y sont visées. Ce délai commence à la date à laquelle une réclamation prend naissance ou au premier jour auquel un demandeur découvre raisonnablement les faits donnant naissance à la réclamation.

Avant les modifications de novembre 2008, la législation ontarienne en matière de prescription ne renfermait aucune disposition à l’égard des engagements à vue. La common law avait toutefois établi des méthodes sensiblement différentes pour déterminer la prescription applicable aux engagements à vue primaires et secondaires :

  • En ce qui a trait aux engagements secondaires, tels que les cautionnements à vue ou les hypothèques subsidiaires à vue de tiers, le délai de prescription applicable ne commençait à courir contre le créancier qu’après que le créancier eut effectivement fait la demande nécessaire contre le débiteur.
  • En revanche, un principe de common law plus rigoureux s’appliquait aux créanciers qui voulaient faire exécuter un engagement primaire (p. ex., un billet à ordre payable sur demande ou une hypothèque à vue). Dans ces cas, on considérait que le délai de prescription applicable commençait à courir immédiatement (c.-à-d., à compter de la date à laquelle l’engagement à vue primaire prenait naissance), plutôt qu’à un moment futur où la demande était effectivement faite.

Ces règles de common law s'étaient appliquées en Ontario pendant de nombreuses années et, dans des décisions antérieures, la Cour d’appel avait confirmé qu’elles continuaient de s’appliquer malgré l’entrée en vigueur de la loi ontarienne le 1er janvier 2004. (Voir Hare v. Hare (2006), 83 O.R. (3d) 766 (C.A.) et The Mortgage Company of Canada v. Grant Estate, 2009 ONCA 655 (disponibles en anglais seulement).)

Le risque de confusion que ces règles de common law pouvaient provoquer a été définitivement écarté en novembre 2008, lorsque l’Assemblée législative a modifié la loi ontarienne aux fins d’établir clairement que le délai de prescription applicable aux « engagements à vue » (un terme non défini) ne commencerait à courir qu’après que le créancier eut effectivement fait une demande contre le débiteur. Cette modification a été adoptée avec effet rétroactif, afin qu’elle s’applique à chaque « engagement à vue » créé depuis le 1er janvier 2004.

En interprétant cette modification rétroactive, la Cour d’appel, dans l’affaire Williamson, a confirmé que la règle de common law usuelle régissant la prescription applicable aux billets à ordre payables sur demande (en tant qu’engagements primaires) avait été radicalement modifiée et harmonisée avec la règle très différente qui s’appliquait aux cautionnements à vue (en tant qu’engagements secondaires). La Cour d’appel a accepté que, pour les deux catégories d’« engagements à vue » créées après le 1er janvier 2004 et régies par la législation de la province d’Ontario, le délai de prescription applicable ne commencera à courir qu’après que le créancier aura effectivement fait une demande contre un débiteur.

Un fait intéressant, qui n'a pas été abordé expressément par la Cour d'appel dans l’affaire Williamson, consiste en ce que certains délais de prescription fondamentaux applicables aux hypothèques sont définis dans une autre loi, soit la Loi sur la prescription des actions relatives aux biens immeubles (Ontario). Étant donné que l’Assemblée législative n’a pas encore mis en œuvre des modifications correspondantes visant expressément les « engagements à vue » dans cette dernière loi, la prescription applicable aux hypothèques à vue et aux hypothèques subsidiaires à vue peut nécessiter des précisions de la part des tribunaux.

Les principes directeurs au Québec

Le Code civil du Québec ne renferme aucune disposition régissant expressément la date du commencement du délai de prescription pour un engagement à vue. Selon les règles de prescription d’application générale, un engagement à vue se prescrit par trois ans à compter de la date de la cause d’action du créancier.

En ce qui a trait aux prêts à vue, en vertu de la législation du Québec, la prescription commence à courir à la date de l’avance de fonds.  (Voir Charron c. Investissement Royal Montréal Inc., 2008 QCCS 157; et 9022-8818 Québec inc. (Magil Construction Inc.) (Syndic de) 2005 QCCA 275).) De même, le délai de prescription d’un billet à vue commence à la date d’émission du billet, plutôt qu’à la date de présentation aux fins de paiement. (Voir Stone (Syndic de), 2007 QCCA 534; et G.G. Guertin inc. c. Sevan, 2008 QCCQ 12724.)

En ce qui a trait aux cautionnements à vue, le délai de prescription commence à courir à la date du défaut du débiteur principal. (Voir Caisse populaire Desjardins de la Vallée de l’Or v. Dion, 2001 CanLII 2403 (C.S.); Banque Nationale du Canada v. Campeau, 2003 CanLII, 20051 (C.Q.).) Les conditions du contrat de cautionnement peuvent toutefois modifier la date du commencement du délai de prescription de la réclamation contre la caution, en prévoyant, par exemple, que la caution soit mise en demeure avant qu'un recours soit exercé contre elle.

Les principes directeurs en Colombie-Britannique

La loi intitulée Limitations Act (Colombie-Britannique) ne renferme pas non plus de dispositions visant expressément les réclamations des créanciers. Ces réclamations sont donc régies par le délai de prescription général de six ans de la loi de la Colombie-Britannique, calculé à compter de la date à laquelle prend naissance le droit d’intenter une action en justice. La Colombie-Britannique n’a pas apporté de modifications législatives aux principes de common law régissant les engagements à vue primaires et secondaires.

Pour les engagements à vue primaires, le délai de prescription commence à courir à la date à laquelle l’engagement prend naissance. Par exemple, le délai de prescription pour un billet à ordre payable sur demande commence à courir à la date à laquelle le billet est consenti et les fonds sont avancés. (Voir Berry v. Page (1989), 38 B.C.L.R. (2d) 244 (C.A.) (en anglais); Barclay Construction Corporation v. Bank of Montreal (1988), 28 B.C.L.R. (2d) 376 (S.C.); et Ponti v. Marathon Motors Limited (1978), 9 B.C.L.R. 46 (Co. Ct.).)

Pour des engagements à vue subsidiaires, comme des cautionnements à vue, le délai de prescription de six ans commence à courir à la date de la demande. (Voir Canadian Imperial Bank of Commerce v. Sayani (1994) (disponible en anglais seulement), 100 B.C.L.R. (2d) 294 (S.C.); et Canadian Imperial Bank of Commerce v. Pittstone Developments Ltd. (1985), 69 B.C.L.R. 292 (S.C.).)

Les principes directeurs en Alberta

Dans le cadre du régime de prescription antérieur, et sous réserve du libellé du document régissant l’opération, les réclamations en Alberta pour inexécution de contrat (y compris une réclamation aux termes d’un engagement à vue subsidiaire, comme un cautionnement) se prescrivaient par six ans à compter de la date de l’inexécution et non pas à compter de la date de la découverte de l’inexécution. (Voir Alberta Treasury Branches v. Jarvis Engineering [1998] A.J. No. 285 (Master); et James H. Meek Trust v. San Juan Resources Inc., 2005 ABCA 448 (disponible en anglais seulement).)

Pour un engagement à vue primaire, comme un billet à ordre, un délai de prescription de six ans commençait à courir à la date à laquelle l’engagement avait pris naissance. Le délai de prescription commençait donc à courir à la date de la signature d’un billet à ordre. (Voir Royal Bank v. Dwigans, [1933] 1 W.W.R. 672 (Alta. C.A.); et Canada Trustco Mortgage Co. v. 112293 Holdings Ltd., [1984] A.J. No. 126 (C.A.).)

Avec l’entrée en vigueur de la loi intitulée Limitations Act (Alberta), le droit applicable à ce sujet semble avoir changé. La loi albertaine prévoit qu’une réclamation est prescrite après l’expiration i) d’un délai de prescription de deux ans (commençant à courir à la date à laquelle une personne raisonnable devrait avoir découvert les faits donnant naissance à la réclamation), ou, s’il est antérieur, ii) un délai de prescription ultime de dix ans (commençant à courir à la date à laquelle la réclamation prend naissance). La loi prévoit en outre que le délai de prescription qui y est prévu peut être prolongé par convention expresse.

La loi albertaine parle expressément d’« engagements à vue » (un terme non défini) et prévoit que le délai de prescription ultime commence à courir à compter du défaut du débiteur, après la présentation d’une demande.

Dans au moins une décision, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a souligné le changement apparent dans la législation à l’égard des engagements à vue, mais s’est abstenue d’interpréter la législation albertaine sur ce point. (Voir Kendell v. Kendell, [2006] 411 A.R. 332 (disponible en anglais seulement).) L’effet de la modification législative en Alberta n’a donc pas encore été établi clairement. À la simple lecture de la loi albertaine, il semble que les engagements à vue primaires et subsidiaires se prescrivent par deux ans à compter de la découverte des faits donnant naissance à la réclamation et ultimement par dix ans, ce dernier délai de prescription ne commençant à courir qu’après la présentation d’une demande d’exécution.

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