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Clauses contractuelles de non-recours : est-ce que l’annonce de la mort du principe de l’inexécution fondamentale a été grandement exagérée?

Au moment de lire sa notice nécrologique, publiée par erreur, Mark Twain aurait dit « L’annonce de ma mort est grandement exagérée ». La décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Tercon Contractors Ltd. c. Colombie-Britannique (Transports et Voirie), 2010 CSC 4 montre sous un jour nouveau l’ironie de Mark Twain.

D’un côté, on a soutenu que l’affaire Tercon marquait la mort du principe de l’inexécution fondamentale. Ce principe traduisait l’hostilité judiciaire envers les dispositions contractuelles relatives à la limitation de la responsabilité, communément appelées les « clauses de non-recours » et empêchait une partie qui avait contrevenu de façon flagrante au contrat de s’en remettre à une clause de non-recours pour éviter ou limiter la responsabilité relative à l’inexécution.

En fait, le principe de l’inexécution fondamentale devait avoir pris fin il y a plus de vingt ans lorsque la Cour suprême du Canada l’avait rejeté dans l’affaire Hunter Engineering Co. c. Syncrude Canada Ltée, [1989] 1 R.C.S. 426. Dix ans plus tard, la Cour suprême a réaffirmé la mort du principe dans l’affaire Guarantee Co. of North America c. Gordon Capital Corp., [1999] 3 R.C.S. 423. C’est pourquoi l’annonce de la mort du principe en 2010 paraît quelque peu surprenante.

D’un autre côté, alors que les neuf membres de la Cour suprême ont tous convenu dans l’affaire Tercon que l’inexécution fondamentale n’avait plus force de loi, une majorité de cinq sur quatre juges ont pris leur décision d’une manière difficile à distinguer du principe apparemment révolu.

Que se passe-t-il donc? Est-ce que le principe de l’inexécution fondamentale est vraiment mort? Ou, comme l’aurait dit Mark Twain, est-ce que l’annonce de sa mort a été grandement exagérée?

L’affaire Tercon visait un différend entre un entrepreneur en construction et la province de la Colombie-Britannique (C.-B.). La C.-B. a lancé une demande d’expression d’intérêt pour la construction d’une route. Six parties ont répondu, notamment Tercon et un concurrent appelé Brentwood. La C.-B. a par la suite lancé une demande de propositions (DP). La DP stipulait que seules les six parties qui avaient répondu à la demande d’expression d’intérêt initiale pouvaient participer. En contravention avec cette exigence, Brentwood a formé une coentreprise qui a soumissionné et obtenu le contrat. Tercon a poursuivi la C.-B. pour avoir permis à la coentreprise de Brentwood de répondre à la DP et lui avoir accordé le contrat de construction de la route.

Dans le cadre de sa défense contre la demande de Tercon, la C.-B. a invoqué ce qui semble être une clause générale de non-recours :

Sauf ce que prévoient expressément les présentes instructions, un proposant ne peut exercer aucun recours en indemnisation pour sa participation à la DP, ce qu’il est réputé accepter lorsqu’il présente une soumission.

Examinons tout d’abord ce que la Cour a déclaré au sujet de la loi. Au nom des quatre dissidents, le juge Binnie a conclu de façon décisive que le principe de l’inexécution fondamentale n’était plus applicable. Il a indiqué que la question de savoir si une clause de non-recours s’applique doit être analysée en trois étapes :

  1. Sur le plan de l’interprétation usuelle du contrat, est-ce que la clause de non-recours s’applique aux circonstances au vu des éléments de preuve?
  2. Le cas échéant, la clause de non-recours était-elle inique au moment de la formation du contrat?
  3. Le cas contraire, est-ce que la Cour doit refuser de faire valoir la clause de non-recours en raison d’une considération d’ordre public prépondérante qui l’emporte sur l’intérêt public lié à l’application des contrats?

En appliquant ces critères aux faits, le juge Binnie a jugé que la clause de non-recours était applicable et exécutoire et aurait rejeté l’action de Tercon.

Le juge Cromwell, pour la majorité, souscrit à la formulation du juge Binnie des principes juridiques, mais est en désaccord avec son interprétation de la clause de non-recours.

Selon le juge Cromwell, en permettant à la coentreprise de Brentwood de participer au processus de DP et en attribuant le marché à une partie inadmissible, le fondement même du processus de DP a été ignoré. La demande de Tercon découlait de la participation de parties inadmissibles à la DP et non « pour la participation à la DP », et n’était donc pas couverte par la clause de non-recours. Dans tous les cas, le juge Cromwell a déclaré que la clause de non-recours était ambiguë et a conclu qu’elle devait être interprétée contra proferentem à l’encontre des intérêts du rédacteur du contrat, soit la C.-B.

L’énoncé des règles de droit est donc clair, mais difficile à réconcilier avec l’application de la majorité aux faits en cause. Le principe de l’inexécution fondamentale est officiellement révolu mais l’intention sous-jacente, l’hostilité judiciaire envers les clauses de non-recours, semble encore présente. Il est difficile d’imaginer une clause de non-recours plus claire et globale que celle présentée dans l’affaire Tercon (« un proposant ne peut exercer aucun recours en indemnisation pour sa participation à la DP ») et deux parties contractantes plus expérimentées qu’un entrepreneur en construction de routes et une province. La majorité de la Cour suprême a toutefois trouvé une façon d’interpréter la clause de non-recours de façon si étroite qu’elle ne s’appliquait pas.

Remarques de McCarthy Tétrault

La décision dans l’affaire Tercon laisse malheureusement planer une grande incertitude. Est-ce que les tribunaux appliqueront cette décision selon « ce que la Cour suprême dit » ou « ce que la Cour suprême fait »? Est-ce que le principe d’inexécution fondamentale est vraiment mort comme la Cour suprême l’a déclaré à trois occasions différentes au cours de trois décennies différentes (dans les arrêts Hunter Engineering en 1989, Guarantee en 1999 et Tercon en 2010)? Ou est-ce que l’annonce de sa mort est grandement exagérée? Est-ce que les affaires à venir, comme la majorité dans l’affaire Tercon, continueront de démontrer une hostilité inhérente envers les clauses de non-recours qui rappelle le principe d’inexécution fondamentale supposément révolu? Aux termes de l’affaire Tercon, il est difficile de savoir comment rédiger des clauses de non-recours et encore plus difficile de prévoir si elles seront mises à exécution.

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