Affaire de la pyrrhotite : victoire importante en Cour d’appel pour Raymond Chabot administrateur provisoire inc.
Le 6 avril 2020, la Cour d’appel a rendu des arrêts unanimes tranchant de multiples questions en litige liées au domaine du droit de la construction dans l’une des affaires les plus importantes de l’histoire judiciaire au Québec en raison des ressources judiciaires exceptionnelles qu’elle a mobilisées, du nombre de parties impliquées et de recours opposant celles-ci, ainsi que du nombre considérable de questions juridiques qui y étaient soulevées.
Il s’agit d’une victoire importante pour tous les demandeurs en l’instance, incluant Raymond Chabot Administrateur Provisoire inc., dont les réclamations totalisant plus de 85 millions de dollars ont été maintenues par la Cour d’appel.
Bref rappel des faits pertinents
Réduite à sa plus simple expression, l’affaire de la pyrrhotite met en cause des centaines d’immeubles résidentiels et commerciaux de la région de Trois-Rivières dont les fondations de béton se sont détériorées peu de temps après leur construction.
Il a été établi que cette détérioration a été causée par l’oxydation d’un sulfure de fer appelé pyrrhotite qui se retrouvait en grande quantité dans les granulats de pierre utilisés pour la préparation du béton en cause.
Les 832 immeubles faisant l’objet du jugement de la Cour d’appel ont pour vecteur commun qu’ils ont tous été construits entre les années 2003 et 2008 avec du béton livré exclusivement par deux bétonnières œuvrant dans la région de Trois-Rivières. De plus, ces bétonnières ont toutes deux préparé ce béton avec du granulat de pierre qui leur a été préalablement fourni par l’exploitant d’une carrière de la région.
Au cœur du litige, se retrouvent des rapports préparés entre 2003 et 2006 par un géologue mandaté par les deux bétonnières et l’exploitant de la carrière. Dans ces rapports, le géologue cautionne l’usage des granulats de pierre extraits de la carrière dans la préparation du béton.
À compter de 2009, une série de procédures judiciaires ont été instituées par plus de 850 parties demanderesses après que des dommages se soient manifestés sur les fondations de centaines d’immeubles résidentiels et commerciaux de la région de Trois-Rivières. Ces procédures ont été intentées notamment à l’encontre des bétonnières, de l’exploitant de la carrière, des coffreurs impliqués, des entrepreneurs généraux ayant construit les immeubles en cause ainsi que du géologue retenu par les bétonnières.
Parmi ces parties demanderesses figurent des propriétaires d’immeubles de même que deux administrateurs de plans de garantie de bâtiments résidentiels neufs, soit la Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ et Qualité Habitation, dont l’administration a depuis été reprise par le syndic Raymond Chabot Administrateur Provisoire inc.
Au total, la première vague de recours entendus par la Cour supérieure regroupait 880 actions réunies dans 69 dossiers différents.
L’ampleur exceptionnelle de l’affaire de la pyrrhotite
De l’aveu de la Cour d’appel, cette affaire hors norme s’est distinguée des dossiers habituellement entendus de par les règles procédurales inédites qui ont été mises en place et de par l’ampleur considérable de la preuve administrée en première instance.
La Cour d’appel compare l’ampleur de cette affaire à celle d’une action collective de grande envergure. Pour cause, le procès en première instance s’est étalé sur 77 jours d’audition pendant lesquels 185 témoins ont été entendus. De même, au total, plus de 20 000 pièces comportant plus de 600 000 pages ont été déposées par les parties. Celles-ci ont toutes été numérisées de sorte qu’aucun document papier n’a été traité comme tel tant au procès en Cour supérieure que devant la Cour d’appel.
Au terme de l’audition en première instance, la Cour supérieure a rendu 69 jugements par lesquels elle a condamné les parties défenderesses à verser aux demandeurs près de deux cents millions de dollars (200 000 000 $).
Suite à ce jugement, 803 appels furent interjetés devant la Cour d’appel pour un total de plus de 70 moyens d’appels distincts.
Pour simplifier l’audition de ces appels autant que possible, des mesures que la Cour d’appel qualifie d’inédites ont été acceptées par les parties. Les audiences en Cour d’appel se sont échelonnées sur huit semaines entre les mois d’octobre 2017 et de mai 2018.
Arrêts unanimes de la cour d’appel
Le 6 avril 2020, la Cour d’appel a rendu 68 arrêts unanimes dont un jugement phare dans lequel elle maintient la responsabilité in solidum des diverses parties défenderesses envers les parties demanderesses, dont Raymond Chabot Administrateur Provisoire inc.
La Cour d’appel retient que les conclusions du juge de première instance selon lesquelles le géologue retenu par les bétonnières et l’exploitant de la carrière a été imprudent dans le cadre du mandat qui lui a été confié d’analyser les granulats de la carrière trouvent un solide appui dans la preuve profane et la preuve d’experts au dossier et sont à l’abris d’une intervention (para. 254 et 278).
Selon la Cour d’appel, cette preuve démontre que le géologue a commis une faute professionnelle en rassurant ses clientes sur l’utilisation du granulat à béton de la carrière malgré la présence de pyrrhotite et en ne les avisant pas des risques associés à cette utilisation (para. 265 et 266). Ce faisant, le géologue a induit ses clientes en erreur et a contribué à l’augmentation du nombre de victimes et du montant des dommages :
« [273] En troisième lieu, chaque fois que le géologue Blanchette a donné une opinion favorable à l’utilisation du granulat de B&B, il participait à l’augmentation du nombre de coulées de béton contaminé par la pyrrhotite, donc de fondations dégradées par l’oxydation et le gonflement, et il augmentait ainsi le nombre de victimes et le montant des dommages. »
Reprenant les principes établis par la Cour suprême dans l’arrêt Banque de Montréal c. Bail Ltée[1], la Cour d’appel précise que ces fautes du géologue dans le cadre de son mandat engagent également sa responsabilité à l’égard des demandeurs.
La Cour d’appel conclut en effet que le géologue était tenu à une obligation de prudence envers les parties demanderesses distincte de son obligation contractuelle. Cette obligation de prudence tirait notamment sa source du mandat confié au géologue par les bétonnières et l’exploitant de la carrière et des règles déontologiques auxquelles ce dernier était assujetti :
« [347] En l’espèce, les contrats de service professionnel confiés au géologue Blanchette l’engageaient à procéder à un examen pétrographique de la pierre à béton de B&B et à exposer ses risques d’utilisation dans la fabrication du béton quant à sa teneur en sulfures de fer. Cette obligation n’était pas exorbitante de tout devoir extracontractuel du géologue puisque son code d’éthique professionnelle lui faisait obligation, « dans tous les aspects de son travail », de tenir compte des conséquences possibles de la mise à exécution de ses recommandations sur la propriété d’autrui. Par conséquent, la bonne exécution de son travail comportait des avantages certains pour les tierces parties qui allaient utiliser du béton préparé avec les agrégats de B&B pour couler les fondations de leurs bâtiments résidentiels ou commerciaux. (…) »
Enfin, la Cour d’appel a également dû se pencher sur le cas particulier des 116 immeubles dont les fondations contenaient de la pyrrhotite au moment du jugement de première instance, sans toutefois présenter des signes apparents d’endommagement. Au terme d’une analyse étoffée, la Cour d’appel conclut qu’il existait des assises solides dans la preuve permettant au juge de première instance de départager ces cas et de déterminer que les immeubles dont le béton présentait un taux de pyrrhotite égal ou supérieur à 0,23 % au moment de l’instruction subiront selon toutes probabilités des dommages. (para. 262).
Note : les auteurs ont représenté Raymond Chabot Administrateur Provisoire inc. en sa qualité d’administrateur provisoire du plan de garantie autrefois administré par la Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ lors des 8 semaines d’audition en appel.
[1] Banque de Montréal c. Bail Ltée, [1992] 2 R.C.S. 554