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La Cour d’appel du Québec reconnaît les obligations implicites dans les conventions de franchise : Qu’est-ce que cela signifie réellement?


17 avril 2015Publication

Le 15 avril 2015, la Cour d’appel du Québec a rendu sa décision tant attendue dans l’affaire Dunkin' Brands Canada Ltd. c. Bertico inc., 2015 QCCA 624. La Cour a essentiellement appliqué certains principes reconnus dans sa décision antérieure dans l’affaire Provigo[1] ainsi que la « théorie des obligations implicites » et l’« obligation de bonne foi » prescrites par le Code civil du Québec (« C.C.Q. »). Elle a interprété la convention de franchise liant les parties comme comportant une obligation implicite, de la part du franchiseur, de protéger et rehausser sa marque et a conclu qu’il avait manifestement omis de rencontrer une telle obligation. La Cour a confirmé la décision rendue en première instance quant à la responsabilité tout en réduisant les dommages-intérêts accordés.

Se fondant sur les faits uniques de cette affaire et sur les relations généralement à long terme des conventions de franchise, l’arrêt Dunkin confirme les obligations implicites des franchiseurs, en vertu du C.C.Q., d’exécuter les termes et conditions et de respecter l’esprit de leurs conventions de franchise tout en réitérant l’importance de l’obligation de bonne foi forçant ainsi les parties à collaborer ensemble de manière à refléter l’intention réelle des deux parties. Après avoir résumé le contexte de l’affaire et la décision de la Cour d’appel, nous exposons certains points à retenir et recommandations.

Contexte

Cette affaire a pris naissance dans le milieu des années 1990 lorsque Tim Hortons est devenu un féroce concurrent dans l’industrie québécoise de la restauration rapide et du café. En 1996, les franchisés ont averti le franchiseur que la marque était en train de s’effondrer et ont exigé du franchiseur qu’il établisse une stratégie visant à regagner le terrain perdu. Le franchiseur a lancé un plan de relance qui comprenait notamment un nouveau programme de l’image de marque de l’entreprise qui offrait aux franchisés un incitatif financier s’ils s’engageaient à rénover leurs magasins. Toutefois, pour recevoir l’incitatif financier, les franchisés devaient signer une quittance leur interdisant d’intenter une poursuite judiciaire de toute nature contre le franchiseur.

Les mesures proposées par le plan du franchiseur n’ont pas produit les résultats escomptés et de nombreux franchisés ont fermé leurs magasins. En 2006, un groupe de vingt et un (21) franchisés a intenté contre le franchiseur un recours sollicitant la résiliation de leurs conventions de location et de franchise ainsi que des dommages-intérêts pour perte d’investissements et de profits.

Comme nous l’avons mentionné dans un article du mois de juin 2012[2], après une audition de 71 jours et la production d’éléments de preuve additionnels quant aux dommages, le juge de première instance a accordé des dommages-intérêts de 16,4 millions de dollars aux franchisés pour les dommages qu’a causés le franchiseur en ne respectant pas ses obligations sur une période de 10 ans[3]. Le juge de première instance a conclu que l’imposition des quittances dans cette situation était abusive et devait être annulée compte tenu des circonstances dans lesquelles les franchisés ont donné leur consentement.

La décision de la Cour d’appel

Voici les principales questions en litige devant la Cour d’appel :

  • Le juge de première instance a-t-il commis une erreur en concluant que le franchiseur était lié par une obligation implicite de protéger et rehausser la marque?
  • Le juge de première instance a-t-il commis une erreur en imposant au franchiseur une obligation de garantir la réussite de ses franchisés sur le marché québécois?
  • Le juge de première instance a-t-il commis une erreur en annulant les quittances?
  1. L’obligation implicite de moyens de protéger et rehausser la marque

La Cour d’appel est d’accord avec le juge de première instance relativement au contenu obligationnel des conventions de franchise. D’ailleurs, la Cour d’appel estime que le franchiseur était non seulement lié par les conditions explicites des conventions, qui ont été considérées pour [traduction] « appuyer l’opinion du juge selon laquelle le franchiseur protégerait et rehausserait la valeur de la marque », mais aussi par des obligations qui pouvaient être rattachées implicitement à la convention en vertu du C.C.Q. comme accessoires à la [traduction] « nature de la convention de franchise » et à l’obligation de bonne foi.

La Cour d’appel a conclu en se fondant sur l’article 1434 du C.C.Q. qu’étant donné sa nature, l’obligation de rehausser et protéger la marque est implicite dans les conventions de franchise qui, comme la convention de franchise de Dunkin, sont fondées sur des relations à long terme et la confiance. Selon la Cour, [traduction] « le franchiseur était tenu de respecter non seulement les obligations explicitement énoncées dans les conventions, mais aussi les obligations implicites découlant de la nature de la convention de franchise ». En l’espèce, ces obligations ressortaient du rôle du franchiseur dans la supervision de l’exploitation continue du réseau et des normes uniformes prévues dans les conventions de franchise.

La Cour est d’avis que le franchiseur pouvait, en raison des conditions de la convention de franchise, jouer un rôle très actif, notamment [traduction] « choisir les franchisés appropriés et approuver les nouveaux acquéreurs de franchises existantes, informer les franchisés au début de l’entreprise, leur offrir de l’aide par la suite pour veiller à ce que chaque franchisé respecte le système sur lequel repose la réputation de la marque ». Expliquant la raison pour laquelle une telle obligation implicite découlait de la convention, la Cour a déclaré ce qui suit : [traduction] « dans ce sens, la convention était de nature "relationnelle" et, comme c’est souvent le cas des ententes à long terme de la sorte, elle n’exposait pas toutes ses conditions ».

La Cour d’appel s’est aussi appuyée sur l’obligation de bonne foi et les devoirs d’assistance et de collaboration pour conclure que le franchiseur avait l’obligation contractuelle envers ses franchisés de [traduction] « lutter contre un concurrent qui, à long terme, menace la valeur de la marque ».

  1. Teneur de l’obligation implicite de protéger et rehausser la marque

En ce qui a trait à la teneur de l’obligation contractuelle du franchiseur, la Cour d’appel a déclaré que l’obligation par le franchiseur de rehausser et protéger sa marque ne constitue pas une obligation [traduction] « de garantir la réussite du franchisé ou de le mettre à l’abri de la concurrence », mais de prendre [traduction] « des mesures raisonnables pour protéger et rehausser la marque ». À cet égard, la Cour a analysé l’examen, fait par le juge de première instance, des efforts du franchiseur et en a confirmé les conclusions à l’effet que ces efforts étaient insuffisants dans les circonstances et ont été rendus inutiles par ces années de présumés négligence et défauts.

La Cour d’appel a néanmoins reconnu que le franchiseur et les franchisés peuvent avoir des intérêts divergents et que dans un tel contexte, il était important [traduction] « de ne pas exagérer la teneur de l’obligation implicite de bonne foi et de son "devoir de collaboration" connexe ». En d’autres termes, [traduction] « il est possible de poursuivre des intérêts divergents, mais seulement dans les paramètres des conditions du contrat et de l’obligation implicite de bonne foi ».

  1. Une annulation valide des quittances

La Cour a confirmé la nullité des quittances signées par les franchisés après l’an 2000 en vue de l’obtention des contributions aux rénovations des magasins.

Au procès, le franchiseur a soutenu que les franchisés avaient librement consenti à signer les quittances et que cette signature constituait une décision commerciale ordinaire. Le juge de première instance était en désaccord, concluant que les quittances étaient abusives et considérant que [traduction] « le consentement nécessaire était inexistant ou vicié ».

En appel, la Cour d’appel s’est concentrée sur la norme de contrôle, soulignant que la question de savoir si le consentement avait dûment été donné était une question de fait susceptible de contrôle suivant la norme de l’erreur manifeste et déterminante. La Cour d’appel a conclu qu’aucune erreur de fait manifeste et déterminante n’avait été commise et a fait remarquer que [traduction] « dans ces circonstances, les fausses représentations peuvent constituer des motifs de nullité du contrat en vertu de l’article 1401 du C.C.Q. ».

À retenir

Même si les conclusions dans cette affaire pourraient avoir d’importantes incidences pour les franchiseurs exerçant des activités au Québec, il est important de souligner que cette affaire comportait des faits uniques et que le caractère raisonnable du comportement du franchiseur sera toujours évalué en fonction des faits de l’affaire en cause. Dans Dunkin, il a été conclu que le franchiseur a manifestement fait défaut de prendre des mesures adéquates pour réagir à l’effondrement de sa marque dans le marché régional malgré les nombreuses demandes d’aide de la part de ses franchisés.

Suivant l’analyse effectuée dans l’arrêt Dunkin, il semble que l’obligation de rehausser et protéger la marque sera considérée implicite dans de nombreuses conventions de franchise. Toutefois, à cet égard, il est difficile de déterminer la véritable portée de l’arrêt Dunkin. Au paragraphe 65 de la décision, par exemple, la Cour a souligné que la convention ne comportait [traduction] « aucune condition explicite qui aurait écarté les obligations implicites », ce qui laisse croire qu’une formulation claire sur cette question suffirait peut-être pour garantir la certitude à l’avenir. Les franchiseurs devraient réexaminer leurs conventions de franchise au Québec avec leurs conseillers juridiques afin d’atténuer leur responsabilité potentielle pouvant découler d’obligations implicites et d’assurer une certitude commerciale.

Étant donné que la Cour d’appel a conclu que l’obligation de rehausser et protéger la marque reposait sur la question de savoir si le franchiseur a pris des mesures raisonnables dans les circonstances, les franchiseurs exerçant des activités au Québec pourraient envisager d’élaborer des programmes de conformité juridique avec leurs conseillers juridiques internes et externes en vue de préciser le rôle du franchiseur. De tels programmes pourraient renfermer un élément de suivi des commentaires des franchisés sur l’état du marché, un élément de consultation en vue de l’établissement d’un dialogue continu avec les franchisés relativement aux solutions de marché ainsi qu’un élément de documentation pour garantir que tous les efforts, y compris les mesures d’exécution prises contre les franchisés à rendement inférieur ou en défaut, critique relevée contre le franchiseur dans l’arrêt Dunkin, soient convenablement documentés de sorte qu’ils puissent être utilisés efficacement dans le cadre d’un litige.

En terminant, même si l’arrêt Dunkin fera assurément l’objet d’observations positives et négatives en raison de sa confirmation de l’existence d’obligations implicites des franchiseurs, il pourrait aussi, peut-être inopinément, servir d’outil supplémentaire permettant aux franchiseurs de prendre, défensivement, des mesures d’exécution contre les franchisés non conformes. Il reste à voir qui gagnera et qui perdra par suite de cette décision!

[1] Provigo Distribution inc. c. Supermarché A.R.G. inc., [1998] R.J.Q. 47.

 

[2] https://www.mccarthy.ca/fr/article_detail.aspx?id=5968

[3] Bertico inc. c. Dunkin’ Brands Canada Ltd., 2012 QCCS 2809.