Skip to Content
logo

On décolle! Le Canada entreprend l’expropriation d’un avion russe


2 juin 2025Article de blogue

Le gouvernement canadien a officiellement lancé sa première tentative de confiscation de biens appartenant à des personnes visées par des sanctions dans le cadre d’un mécanisme nouveau et unique en droit des sanctions. Le 18 mars 2025, il a entamé une procédure de confiscation attendue depuis longtemps auprès de la Cour supérieure de l’Ontario (la « demande ») en vue d’acquérir un avion cargo russe appartenant à une personne inscrite sur la liste des personnes et entités visées par les sanctions du Canada contre la Russie. L’avion était exploité par Volga-Dnepr Airlines LLC et Volga-Dnepr LLC (collectivement, « Volga-Dnepr ») et était immobilisé à l’aéroport international Pearson de Toronto depuis l’interdiction faite aux compagnies aériennes russes, en février 2022, d’utiliser l’espace aérien canadien. Le gouvernement canadien avait rendu des ordonnances permettant la saisie de l’avion en 2023 et plus tôt cette année.

Il s’agit de la première tentative du gouvernement canadien d’acquérir des biens appartenant à une personne visée par des sanctions canadiennes dans le cadre du mécanisme de confiscation annoncé dans le budget fédéral du Canada de 2022. Ainsi, à la différence d’autres mécanismes de saisie et de confiscation de biens dans le cadre de sanctions économiques, le gouvernement n’est pas tenu de prouver que le bien était lié à une violation de sanctions ou qu’il a facilité une telle violation, ni qu’il constituait un produit lié à une telle violation ou qu’il était tiré d’un tel produit.

Contexte

L’avion cargo Antonov An-124, immatriculé en Russie (l’« Antonov Aircraft ») est l’un des plus gros avions cargo au monde, avec une capacité de transport de 150 tonnes. L’avion a d’abord atterri à l’aéroport international Pearson de Toronto en février 2022 pour livrer une cargaison de tests de dépistage rapide de la COVID-19. Le déchargement était toujours en cours lorsque le Canada a fermé son espace aérien aux compagnies aériennes russes, clouant l’avion au sol.

Par la suite, le 5 avril 2023, le Volga-Dnepr Group, Volga-Dnepr Airlines et Aleksey Ivanovich Isaykin (fondateur et chef de la direction de la compagnie aérienne) ont été inscrits sur la liste des personnes et entités visées par des sanctions en vertu du Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Russie.

Le 8 juin 2023, sur la recommandation du ministre au gouverneur en conseil (le « GEC »), l’avion Antonov a été saisi conformément à l’alinéa 4(1)b) de la Loi sur les mesures économiques spéciales (la « LMES »). Le GEC est ainsi en mesure de prendre un décret visant à faire saisir ou bloquer, de la façon prévue par le décret, tout bien qui se trouve au Canada et qui appartient à un État étranger ou à une personne visée par des sanctions canadiennes et qui est détenu ou contrôlé — directement ou indirectement — par cet État ou cette personne . Nous discutions en détail de cette saisie dans notre blogue publié à l’époque, « Canada Initiates Second Forfeiture of Property of Russian Sanctioned Persons, This Time Targeting Russian Aircraft » (en anglais seulement).

En août 2024, Volga-Dnepr a présenté une réclamation de 100 M$ US contre le gouvernement canadien. La réclamation faisait valoir que la saisie de l’avion par le gouvernement canadien, sous prétexte de sanctions contre la Fédération de Russie, avait eu une incidence défavorable sur l’entreprise de Volga-Dnepr et contrevenait au Traité d’investissement bilatéral entre le Canada et la Fédération de Russie (le « TIB Can-Rus ») de 1989. Le TIB Can-Rus, en vigueur depuis 1991, est un traité d’investissement bilatéral qui permet aux Russes de réclamer au gouvernement canadien des dommages-intérêts en raison de son manquement à ses obligations en matière de protection des investissements, notamment son engagement de ne pas procéder à l’expropriation d’actifs appartenant à des Russes sans indemnisation prompte, effective et adéquate. À ce jour, cette action est toujours en cours.

Plus récemment, le 14 février 2025, le décret de saisie de 2023 a été abrogé et remplacé par un décret de saisie énumérant tous les intimés, y compris Volga-Dnepr Limited, et l’entité irlandaise, Volga-Dnepr Logistics B.V., une entité néerlandaise et Sberbank. Ce décret découle de l’application des modifications apportées en 2023 à la LMES, permettant au GIC d’imposer des sanctions aux personnes établies hors du territoire visé. Les entités nouvellement visées sont des filiales de Volga-Dnepr Airlines et de Volga-Dnepr Group, qui sont déjà sanctionnées en vertu de l’annexe 1 pour leur implication dans la guerre de la Russie contre l’Ukraine. L’une ou l’autre de ces entités a le droit, conformément à l’article 5.1 de la LMES, de demander par écrit au ministre des Affaires étrangères que le bien cesse d’être visé par le décret de saisie. Selon la réclamation, aucune demande de ce genre n’a été présentée à ce jour.

L’ordonnance de confiscation

Le 18 mars 2025, le procureur général du Canada a soumis une demande à la Cour supérieure de justice de l’Ontario visant la confiscation de l’avion Antonov. Conformément au paragraphe 5.4(1) de la LMES :

5.4 (1) Sur demande du ministre, le juge ordonne la confiscation du bien faisant l’objet de la demande au profit de Sa Majesté du chef du Canada s’il conclut, à partir de la preuve déposée devant lui, que les conditions suivantes sont réunies : a) le bien est visé par le décret pris en vertu de l’alinéa 4(1)b); b) il appartient à la personne visée par ce décret ou est détenu ou contrôlé, même indirectement, par elle. La demande fait valoir que ces deux conditions ont été remplies.

Le ministère public a fait part de son intention d’aliéner  le bien de façon à recouvrer les frais ainsi engagés. Bien qu’aucune autre mesure explicite n’ait été annoncée, le gouvernement canadien et la vice-première ministre de l’Ukraine, Olha Stefanishyna, ont déclaré que le Canada « travaillera avec le gouvernement ukrainien sur les possibilités de redistribuer [le bien] pour indemniser les victimes de violations des droits de la personne, rétablir la paix et la sécurité internationales, et reconstruire l’Ukraine ».

Cette intention déclarée semble conforme à l’article 5.6 de la LMES, qui stipule ce qui suit :

5.6 Après consultation du ministre des Finances et du ministre des Affaires étrangères, le ministre peut, selon les conditions et modalités — de temps et autres — qu’il estime indiquées, prélever sur le compte des biens saisis, au sens de l’article 2 de la Loi sur l’administration des biens saisis, une somme égale ou inférieure au produit net de la disposition du bien confisqué au titre de l’article 5.4, mais uniquement si elle est destinée : a) à la reconstruction d’un État étranger lésé par une rupture sérieuse de la paix et de la sécurité internationales; b) au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales; c) à l’indemnisation des victimes d’une rupture sérieuse de la paix et de la sécurité internationales, de violations graves et systématiques des droits de la personne ou d’actes de corruption à grande échelle.

En réponse à la demande, Volga-Dnepr a publié une déclaration condamnant le Canada et qualifiant l’ordonnance de « détournement de pirates », indiquant que ces mesures auront une incidence négative sur la « réputation du Canada en tant que pays qui adhère au droit international et n’encourage pas la prise de possession par la force de biens privés ». Le gouvernement russe a manifesté son soutien à Volga-Dnepr et le Kremlin a déclaré que la saisie aurait des « répercussions graves » sur les relations canado-russes; toutefois, reste à voir s’il réagira à la confiscation de l’avion – et de tout autre bien russe – en prenant des mesures concrètes contre des biens canadiens se trouvant à sa portée.

***

C’est la première fois que nous observons l’exercice par le Canada de pouvoirs de confiscation sur les biens de personnes et entités visées par des sanctions canadiennes. Cette affaire est sans précédent dans les pays du G7 et sera suivie de près alors que les alliés de l’Ukraine sont en train d’envisager la confiscation et la redistribution à l’Ukraine de fonds et d’autres biens russes situés dans les pays occidentaux.

Le groupe Droit du commerce et de l’investissement international de McCarthy Tétrault possède une vaste expérience des questions relatives aux sanctions canadiennes et continuera à suivre ces développements et l’évolution du paysage des sanctions liées au conflit en Ukraine et au-delà. Pour obtenir de l’aide sur les sanctions canadiennes et bien les comprendre, veuillez communiquer avec notre équipe.

Personnes



Recevez nos derniers billets

Tous les champs sont obligatoires "*"