Dionne c. HEXO Corp. : Quand la qualité de la preuve se révèle à l’autorisation

Contexte
Dans l’affaire Dionne c. HEXO Corp., la Cour d’appel du Québec a suivi la tendance croissante des tribunaux canadiens qui semblent être de plus en plus disposés à rejeter les actions collectives non fondées dès le début, malgré le faible seuil du fardeau de preuve à l’étape de l’autorisation.
La décision HEXO Corp.
Le demandeur a intenté une action collective en responsabilité fondée sur le droit civil et la Loi sur les valeurs mobilières pour information fausse ou trompeuse à titre d’investisseur du marché primaire et du marché secondaire. Le demandeur alléguait qu’HEXO Corp. (« HEXO »), un producteur de cannabis, avait divulgué de l’information fausse ou trompeuse dans les marchés à deux égards : (i) en déclarant qu’un certain montant de recettes lui était garanti en vertu d’un engagement d’achat conclu avec la Société des alcools du Québec (la « SAQ »); et (ii) en affirmant que son installation de cannabis de Niagara était entièrement sous licence.
La Cour supérieure a rejeté la demande d’autorisation du demandeur. La Cour d’appel du Québec a ensuite rejeté l’appel de cette décision.
Première allégation d’information fausse ou trompeuse
HEXO s’est engagée à vendre 20 000 kg de produits à la future filiale de la SAQ, la Société québécoise du Cannabis (la « SQDC »), au cours de la première année du contrat. Le contrat prévoyait une clause d’achat ferme qui permettait à HEXO d’exiger le paiement complet du prix même si elle livrait une quantité inférieure de produits. HEXO a fourni moins de produits, mais a choisi de ne pas exiger le paiement complet du prix. Le demandeur a affirmé qu’HEXO avait ainsi divulgué de l’information fausse ou trompeuse en suggérant qu’elle était garantie de recevoir un certain montant de recettes en raison du contrat.
La Cour d’appel du Québec n’a pas retenu cet argument. En effet, selon la preuve produite par HEXO, la SQDC disposait d’un droit de résiliation du contrat et le marché du cannabis était volatil. La Cour d’appel a également précisé qu’indiquer qu’un contrat garantit le droit à certaines recettes n’équivaut pas à garantir que lesdites recettes seront effectivement réalisées. Certaines circonstances peuvent survenir pendant la durée d’un contrat qui peuvent inciter les parties à renoncer à leurs droits contractuels à court terme afin de préserver leur relation à long terme. C’est probablement ce qui s’est produit entre HEXO et la SQDC. Cette conclusion est cohérente avec le principe bien établi que le non-respect d’une projection ou d’une prévision ne suffit pas à lui seul à fonder un recours pour information fausse ou trompeuse.
Deuxième allégation d’information fausse ou trompeuse
HEXO a acquis Newstrike Brands Ltd. (« Newstrike »), incluant l’installation sous licence de Newstrike située à Niagara. HEXO a ensuite découvert qu’une partie de l’installation de Niagara, le Bloc B, n’était pas couverte par une licence valide.
La majorité de la Cour d’appel a estimé que le rapport d’expertise du demandeur ne constituait pas « une preuve suffisante et crédible » permettant d’établir que la question de la licence du Bloc B était importante pour les activités et l’exploitation d’HEXO, critère essentiel pour conclure qu’une information fausse ou trompeuse avait été divulguée. La majorité a également conclu que, pour évaluer le critère de l’importance, la juge au stade de l’autorisation pouvait mettre en balance le rapport d’expert du demandeur ainsi que tous les éléments de preuve de la défenderesse « afin d’expliquer, d’interpréter ou d’analyser les renseignements omis à la lumière d’un contexte factuel plus général ». Ce faisant, la juge pouvait s’appuyer sur le bon sens pour en tirer une inférence logique[1].
Même s’il est parvenu à une conclusion différente, le juge Bachand a souscrit à l’application de ces principes indiquant « [qu’] il convient de rappeler que, contrairement à ce que l’appelant avance, non seulement, les juges [au stade de l’autorisation] peuvent se livrer à une certaine appréciation de la preuve au stade de l’autorisation, mais ils doivent le faire »[2]. Le juge Bachand a toutefois conclu, contrairement à la majorité, que, selon la preuve produite, il y avait suffisamment d’éléments de preuve pour suggérer une « possibilité raisonnable » que le demandeur obtienne gain de cause quant à sa réclamation.
L’appréciation de la preuve en hausse au Canada
La décision de la Cour d’appel du Québec dans HEXO Corp. s’appuie sur sa décision récente dans Graaf c. Groupe SNC-Lavalin inc. (2024), où le rejet de l’autorisation a été maintenu en raison d’importantes préoccupations de méthodologie et de crédibilité liées à la preuve d’expert présentée par le demandeur[3].
Par contre, cette décision s’éloigne de celle que la Cour d’appel avait prise dans l’affaire Nseir c. Barrick Gold Corporation (2022), où elle avait renversé le refus du juge d’autorisation d’autoriser une action collective en matière de valeurs mobilières en raison d’un manque de preuve et du fait que l’évaluation d’éléments de preuve contradictoires relevait du juge du procès sur le fond.
HEXO Corp. fait partie d’un nombre croissant de décisions au Canada refusant l’autorisation d’une action collective en raison de l’incapacité du demandeur à produire une preuve adéquate. Ainsi, dans l’affaire Lilleyman v. Bumble Bee Foods LLC (2024), la Cour d’appel de l’Ontario a maintenu une décision concluant à l’insuffisance de la preuve pour les réclamations du demandeur, même si elle a reconnu que le seuil du fardeau de preuve était « minimal »[4].
Dans le même ordre d’idée, dans l’affaire Tress v. FCA US LLC (2024) la Cour d’appel de la Saskatchewan a refusé d’entendre l’appel d’un refus de certification parce que le demandeur n’avait pas apporté la preuve d’un préjudice ou d’une perte susceptible d’être indemnisé pour le groupe proposé[5].
En Colombie-Britannique, des décisions comme Bosco v. Mentor Worldwide LLC (2024) et Williams v. Audible (2023) démontrent qu’une preuve inadéquate conduira au refus de la certification. Dans l’affaire Bosco, la Cour a identifié un certain nombre de lacunes dans la preuve présentée par le demandeur, dont la présentation d’une preuve d’opinion où l’expert est allé au-delà de son expertise[6]. Dans l’affaire Williams, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique est allée encore plus loin en refusant d’accorder un ajournement pour permettre au demandeur de remédier à un rapport d’expert qui ne concordait plus avec sa théorie de la cause[7].
Cette tendance n’est toutefois pas sans exceptions. Les tribunaux semblent plus enclins à considérer que le faible seuil du fardeau de la preuve est atteint dans les secteurs du droit en évolution, notamment ceux relatifs aux plateformes d’échange d’actifs de cryptomonnaie. Dans l’affaire Lochan v Binance Holdings Limited (2025), la Cour d’appel de l’Ontario a récemment accepté que l’exigence d’un « certain fondement factuel » était remplie lorsque les utilisateurs de la plateforme ont demandé une réparation en vertu du droit des valeurs mobilières pour des pertes liées à la négociation de titres[8], même si le défendeur a présenté des éléments de preuve indiquant qu’il n’avait pas négocié avec les utilisateurs.
Ce qu’il faut retenir
Les tribunaux canadiens semblent examiner de plus en plus attentivement la qualité de la preuve présentée par les demandeurs au stade de l’autorisation et de la certification, notamment pour les actions collectives en matière de valeurs mobilières. Bien que les résultats ne soient pas toujours cohérents, un défendeur devrait sérieusement envisager de contester, même à un stade préliminaire, la crédibilité, la recevabilité, les qualifications des experts et la nécessité d’une telle expertise. Par exemple, dans les affaires mettant en jeu le critère de l’importance, une question mixte de droit et de fait, il peut être plus facile de s’appuyer sur des éléments de preuve contextuels entourant la réclamation du demandeur pour contester avec succès des demandes qui ne sont pas fondées.
Si cette jurisprudence se maintient, les avocats des demandeurs pourraient être de plus en plus enclins à demander au défendeur ou à des tiers de leur communiquer des documents avant la certification. Toutefois, contrairement aux États-Unis, la production de documents avant la certification au Canada est limitée et nécessite généralement l’autorisation du tribunal[9]. Jusqu’à présent, ces demandes ont rarement été acceptées.
[1] Dionne c. Hexo Corp., 2025 QCCA 462, par. 66.
[2] Ibid., par. 16.
[3] Graaf c. SNC-Lavalin Group Inc., 2024 QCCA 303, autorisation d'appel à la CSC refusée, 26 septembre 2024, no. 41256.
[4] Lilleyman c. Bumble Bee Foods LLC, 2024 ONCA 606, par. 72, autorisation d'appel à la CSC refusée, 27 mars 2025, no. 41489.
[5] Tress v FCA US LLC, 2024 SKCA 31.
[6] Bosco v Mentor Worldwide LLC, 2024 BCSC 1931.
[7] Williams c. Audible Inc., 2023 BCCA 475.
[8] Lochan v Binance Holdings Limited, 2025 ONCA 221.
[9] À titre d’exemple : Abbotsford (City) v Mostertman, 2022 BCCA 448; Mentor Worldwide LLC v Bosco, 2023 BCCA 127.
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