Trois décisions de la Cour suprême envoient le signal que les provinces ne peuvent entraver les entreprises fédérales sous le couvert de la protection de l'environnement
Le 16 avril 2020, la Cour suprême du Canada a rejeté la demande d’autorisation de pourvoi d’un jugement rendu en 2019 par la Cour d’appel du Québec ayant déclaré que certaines exigences environnementales provinciales sont inapplicables à des activités de compétence fédérale menées sur le territoire du Port du Québec (Procureur général du Québec c. IMTT-Québec inc., 2019 QCCA 1598). Cette conclusion à une saga judiciaire de quatorze ans consolide une série de décisions récentes de la Cour suprême du Canada limitant l’application d’exigences provinciales en matière de permis environnementaux à des ouvrages et activités relevant de la compétence fédérale, tels les ports, les aérodromes et les oléoducs. McCarthy Tétrault s.e.n.c.r.l., s.r.l. a représenté l’Administration portuaire de Québec (« APQ ») et IMTT-Québec Inc. (« IMTT ») dans ce dossier d’envergure, qui aura des conséquences directes et importantes pour plusieurs industries à travers le pays.
Le dossier du Port de Québec
Contexte
IMTT, une entreprise constituée en vertu des lois fédérales, offre des services de manutention et de stockage de produits liquides en vrac dans ses réservoirs situés sur un site qu’elle loue auprès de l’APQ. Les clients d’IMTT louent ces réservoirs afin d’assurer le transport des divers produits livrés principalement par navire au Port du Québec. Ces produits sont ensuite chargés sur des wagons-citernes ferroviaires, camions citernes ou d’autres navires puis transportés jusqu’à leur destination finale. Bien qu’IMTT ne soit pas responsable du transbordement des produits, l’entreprise supervise les opérations, prête assistance aux opérateurs et offre des services de chauffage, de refroidissement, de mélange et de dilution des produits.
IMTT avait par le passé obtenu des certificats d’autorisation délivrés par les autorités environnementales québécoises en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement (« LQE »). Or, lorsqu’elle entame en 2006 la planification de nouveaux projets de construction de réservoirs afin d’accroitre sa capacité de stockage, IMTT décide de ne pas demander de permis des autorités provinciales, au motif qu’elle n’est pas assujettie à la LQE. En tant qu’entreprise de juridiction fédérale, IMTT demande et obtient plutôt les autorisations de l’APQ et des autorités fédérales en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale et du Règlement sur l’évaluation environnementale concernant les administrations portuaires canadiennes.
Le Procureur général du Québec (« PGQ ») saisi initialement les tribunaux pour obtenir une injonction visant à empêcher IMTT d’utiliser ses nouveaux réservoirs jusqu’à ce qu’elle obtienne un certificat d’autorisation en vertu de la LQE. Bien que les parties aient conclu un protocole d’entente dans l’objectif de parvenir à un règlement de leur différend, IMTT met fin à l’entente lorsque les autorités provinciales décident de tenir de nouvelles audiences publiques concernant le projet. IMTT et l’APQ initient alors des procédures judiciaires dans l’objectif d’obtenir un jugement déclarant que le mécanisme d’autorisation prévu à la LQE est inapplicable ou inopérant à l’égard des activités d’IMTT sur le site du port de Québec qui sont de compétence fédérale. De plus, puisque le PGQ soutient que les activités d’IMTT n’ont pas lieu sur une propriété publique fédérale, le Procureur général du Canada (« PGC ») intervient également au dossier en soutien de la position d’IMTT et de l’APQ.
Le jugement de première instance
Dans une décision rendue en 2016 par la Cour supérieure, l’honorable Gilles Blanchet conclut que les activités de l’APQ et d’IMTT prennent place sur des terrains qui sont une propriété publique fédérale et que ces activités tombent de surcroît sous l’égide des compétences constitutionnelles du Parlement fédéral en matière de navigation et de commerce interprovincial. Invoquant la doctrine de la prépondérance fédérale, le juge Blanchet tranche que les dispositions contestées de la LQE entrent en conflit et contrecarrent l’objectif de la législation fédérale en matières portuaire et de protection de l’environnement, notamment la Loi maritime du Canada, la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale et leurs règlements d’application.
Le jugement de la Cour d’appel
Le 26 septembre 2019, la Cour d’appel du Québec rend sa décision dans laquelle elle adhère en grande partie aux arguments de l’APQ et d’IMTT tant sur la doctrine de l’exclusivité des compétences que sur la prépondérance fédérale.
La Cour d’appel confirme ainsi les conclusions du juge de première instance à l’effet que les activités d’IMTT ont lieu sur des terres appartenant à la Couronne fédérale et qu’elles sont étroitement liées au domaine de la navigation et du transport maritime, tombant ainsi sous ces chefs de compétence fédérale en vertu de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867.
La Cour d’appel souligne que la doctrine de l’exclusivité des compétences vise à empêcher que les lois adoptées par un ordre de gouvernement – généralement provincial – empiètent indûment sur le contenu essentiel d’une compétence exclusive réservée à un autre ordre de gouvernement. Le juge de première instance avait cependant tranché en l’espèce que cette doctrine ne pouvait s’appliquer, puisqu’il n’existait aucun précédent d’une instance supérieure l’appliquant dans le contexte précis d’une loi environnementale entrant en conflit avec les compétences fédérales en matière de navigation, de transport maritime ou de propriété de la Couronne. La Cour d’appel rejette ainsi cette interprétation restrictive de la doctrine de l’exclusivité des compétences. Non seulement l’objet de la législation provinciale contestée n’est pas un élément déterminant dans la recherche d’un précédent suffisant, mais la Cour suprême a également entrouvert la porte à l’application de cette doctrine à de nouveaux domaines dans l’arrêt PHS Community Services (2011 CSC 44). Bien que la Cour suprême ait limité le champ d’application de la doctrine principalement aux situations déjà visées par des précédents, la doctrine de l’exclusivité des compétences continue à protéger le « contenu minimum élémentaire et irréductible » des catégories de sujets énumérés aux articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 contre les entraves émanant d’un autre ordre de gouvernement.
Appliquant ces principes à l’affaire dont elle était saisie, la Cour d’appel conclut qu’il existe dans les faits des précédents suffisants établissant que le contrôle de l’aménagement et de l’usage des propriétés publiques fédérales relève exclusivement de l’autorité fédérale, notamment l’arrêt Lafarge dans lequel la Cour suprême a conclu qu’une loi provinciale ne pouvait entraver un élément essentiel des droits de propriété du gouvernement fédéral. La Cour d’appel conclut par conséquent que le mécanisme d’autorisation discrétionnaire édicté par la LQE ne peut s’appliquer aux projets de juridiction fédérale exclusive, car il entraverait autrement les compétences fédérales en matière de transport maritime, de navigation et de propriété publique fédérale. Autrement dit, la Cour d’Appel déclare que les mécanismes provinciaux d’autorisation environnementale doivent se rattacher à des projets relevant des compétences provinciales, ce qui n’était pas le cas des activités d’IMTT.
Qui plus est et de façon subsidiaire, la Cour d’appel confirme la conclusion du juge de première instance quant au fait que le mécanisme d’autorisation prévu à la LQE est constitutionnellement inopérant à l’égard des activités d’IMTT en vertu de la doctrine de la prépondérance fédérale. Cette doctrine reçoit application en présence d’un conflit d’opération entre des lois provinciales et fédérales valides, ou lorsque la législation provinciale contrecarre l’objet de la loi fédérale. En l’espèce, la Cour d’appel a conclu que le mécanisme d’autorisation de la LQE entre en conflit avec la réglementation fédérale, laquelle confère aux autorités fédérales le droit exclusif d’évaluer et d’autoriser les projets portuaires.
Le dossier de l’oléoduc Trans Mountain
Il convient de souligner que la décision de la Cour suprême de ne pas entendre l’appel du PGQ dans le dossier du port de Québec paraît conforme avec d’autres décisions récentes de la Cour.
Le 16 janvier 2020, la Cour suprême a unanimement confirmé les motifs de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt Reference re Environmental Management Act (British Columbia) (2019 BCCA 181) concernant l’oléoduc Trans Mountain.
Les dispositions législatives en question obligeaient essentiellement les sociétés pétrolières à obtenir un permis relatif aux matières dangereuses , dont la délivrance pouvant être refusé ou accordée sous condition, à la discrétion des autorités provinciales. Les objectifs avoués des dispositions contestées comprenaient la protection de l’environnement et la mise en œuvre du principe du « pollueur-payeur » à l’égard des transporteurs de produits pétroliers. Dans cette affaire, la Cour d’appel a rendu jugement sans avoir recours aux doctrines de l’exclusivité des compétences ou de la prépondérance fédérale. Elle a plutôt conclu que les dispositions contestées étaient invalides, car leur caractère véritable n’était pas de règlementer l’environnement de manière générale, mais bien d’imposer des conditions à des entreprises relevant de la juridiction fédérale en matière de transport interprovincial et d’exportation de produits pétroliers.
Le dossier de l’aérodrome de la municipalité de Mascouche
Le 16 avril 2020, la Cour suprême a également rejeté la demande d’autorisation de pourvoi du PGQ dans le dossier 9105425 Canada Association portant sur la construction d’un aérodrome. En 2018, la Cour supérieure du Québec avait conclu que les autorités provinciales ne pouvaient assujettir la construction d’un aérodrome sur le territoire de la municipalité de Mascouche à l’octroi d’une autorisation provinciale, car cette exigence entravait la compétence fédérale en matière d’aéronautique et était donc constitutionnellement inapplicable au projet en vertu de la doctrine de l’exclusivité des compétences. En 2019, la Cour d’appel du Québec a refusé de prendre position en raison du caractère théorique du pourvoi, puisque les promoteurs du projet avaient renoncé à la construction de l’aérodrome. Néanmoins, tant la Cour d’appel que la Cour suprême ont rejeté l’opportunité de reconnaître une certaine juridiction provinciale sur les enjeux environnementaux entourant la construction d’un aérodrome.
Conclusion
Dans l’arrêt Banque canadienne de l’Ouest (2007 CSC 22), la Cour suprême du Canada a mis en garde les tribunaux en garde contre une application trop étendue de la doctrine de l’exclusivité des compétences, préconisant la recherche d’un équilibre entre les compétences fédérales et provinciales particulièrement dans les domaines susceptibles de donner lieu à des chevauchements constitutionnels. Les récentes décisions de la Cour suprême du Canada délimitent les contours de cet équilibre, et mettent en garde les provinces contre les interventions visant des activités et matières de juridiction fédérale sous le couvert de la protection de l’environnement. Ces décisions auront des impacts significatifs pour les entreprises sous juridiction fédérale à travers le Canada et feront vraisemblablement l’objet de discussions importantes au cours des prochains mois dans le contexte où les gouvernements, les industries et les autres parties prenantes chercheront à développer rapidement des projets industriels dans le cadre des efforts de relance économique, tout en favorisant l’acceptabilité sociale de ces projets et une protection accrue de l’environnement.