Projet de loi 96 (Loi 14): quels sont les impacts sur les transactions immobilières?
Le 1er juin 2022, le Projet de loi 96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français a reçu la sanction royale et est devenu la Loi 14 (« Loi 14 »). Plusieurs dispositions affectent dès maintenant certaines transactions immobilières au Québec.
Qu’est-ce qui a changé?
La Loi 14 vise à promouvoir davantage l'utilisation de la langue française au Québec et à réitérer la reconnaissance formelle du français comme seule langue officielle au Québec. Elle modifie particulièrement certaines dispositions du Code civil du Québec qui encadrent la langue des publications au Bureau de la publicité foncière (le « Registre foncier »).
Depuis le 1er juin 2022 (ou à compter du 1er juin 2023 dans le cas des contrats visés au troisième paragraphe ci-dessous) :
- Une déclaration de copropriété, ainsi que les modifications apportées à l’acte constitutif de copropriété et à l’état descriptif des fractions de copropriété, doivent être présentées exclusivement en français au Registre foncier, à moins que ces modifications modifient ou corrigent une déclaration ou un acte publié avant le 1er juin 2022. À noter que la très grande majorité des déclarations de copropriété sont déjà rédigées et publiées en français.
- Les contrats de vente ou d’échange d’une partie ou de l’ensemble d’un immeuble principalement résidentiel de moins de cinq logements ou d’une fraction d’un immeuble principalement résidentiel en copropriété, doivent tous être rédigés en français, à moins que les parties n’expriment expressément leur intention de les rédiger dans une autre langue. Si ces documents sont rédigés en anglais et doivent être publiés au Registre foncier, à partir du 1er septembre 2022 ils devront être traduits pour être admis à la publication au Registre foncier. À noter que bien qu’ils ne soient pas publiés au Registre foncier, la promesse de vente de ces immeubles, le contrat préliminaire fait entre l’acheteur et le constructeur ou promoteur et la note d’information fournie à un acheteur doivent également être rédigés en français, sauf intention expresse des parties de les rédiger dans une autre langue.
- Si un contrat visé au paragraphe précédent (ou tout autre contrat relatif à un immeuble) est un contrat d’adhésion, il sera soumis aux règles de la Loi 14 sur la langue des contrats d’adhésion, règles qui entreront en vigueur le 1er juin 2023. Pour que le contrat puisse être rédigé dans une autre langue que le français, non seulement telle devra être la volonté expresse des parties (comme c’est présentement le cas pour tout contrat d’adhésion), mais il faudra aussi qu’une version française du contrat ait au préalable été remise à l’adhérent. Le Code civil du Québec énonce qu’un « contrat est d’adhésion lorsque les stipulations essentielles qu’il comporte ont été imposées par l’une des parties ou rédigées par elle pour son compte ou suivant ses instructions, et qu’elles ne pouvaient être librement négociées ».
À partir du 1er septembre 2022 :
- Toutes les réquisitions d’inscription, soit les documents qui doivent ou peuvent être publiés au Registre foncier, doivent être en français (incluant les descriptions cadastrales qu’elles contiennent), sans égard à leur date de signature. Si un document est rédigé en anglais, il doit donc être présenté au moyen d’un sommaire en français, auquel sont joints le document anglais et une traduction vidimée en français (certifiée conforme par un traducteur). Il est possible cependant de publier en anglais un acte qui modifie ou corrige un acte publié avant le 1er juin 2022.
- Si un plan, procès-verbal de signification ou autre document accompagnant le document principal est rédigé en anglais, il doit aussi être accompagné d’une traduction vidimée.
Quels sont les impacts sur vos transactions immobilières?
Il arrive bien sûr qu’il ne soit pas envisageable de rédiger la documentation d’une transaction entièrement en français, même si cette façon de faire éviterait toute ambiguïté liée à la traduction des documents rédigés en anglais. Les parties à une transaction devront tenir compte du fait qu’en cas de différence d’interprétation entre les versions anglaise et française d’un document, la portée des obligations convenues entre les parties pourrait différer de celles qui sont publiées au Registre foncier et opposables aux tiers. Les avis juridiques rendus dans le cadre des transactions devront également tenir compte de ce risque additionnel.
L’utilisation d’actes de vente et d’hypothèque simples en anglais ou en français pour fins de publication dans une transaction immobilière commerciale où les intervenants choisissent l’anglais comme langue des conventions de la transaction principale semble constituer la pratique actuelle dans bien des cas, en particulier avec l’adoption de la Loi 14.
Compte tenu des nouvelles contraintes résultant de la Loi 14, afin de minimiser les coûts et risques de traduction, il semble y avoir consensus entre plusieurs cabinets d’avocats de privilégier encore davantage la signature et publication de tels actes de vente et d’hypothèque simples en français, lesquels réfèrent aux droits et obligations additionnels des parties prévus dans des ententes non publiées et rédigées en anglais.
Une pratique qui pourrait également se développer serait la préparation d’un acte rédigé principalement en anglais, mais dont les clauses essentielles à la publication seraient rédigées en français, lesquelles seraient publiées par extrait au Registre foncier (soit au moyen de la présentation de seulement certaines parties d’un acte); ainsi, seules les clauses en français feraient partie de la réquisition d’inscription et que les clauses en anglais en seraient omises.
Il faudra porter une attention particulière à la description des immeubles, notamment ceux grevés par une hypothèque immobilière et qui sont aussi décrits ou mentionnés dans une convention de crédit rédigée en anglais, pour éviter toute ambiguïté quant à leur identification. Il pourrait être d’ailleurs plus approprié d’obtenir les descriptions techniques des immeubles en français.
Délai additionnel
Si les parties préfèrent rédiger leur acte en anglais, un délai additionnel pourrait être requis pour obtenir la traduction vidimée de cet acte après sa signature, avant de pouvoir le publier (avec le sommaire qui constituera la réquisition d’inscription), ce qui dans plusieurs cas, doit être complété pour procéder à la clôture ou décaisser les fonds. Il faudra analyser le risque causé par ce délai dans le cadre d’une transaction et déterminer si la protection offerte par une assurance-titres peut être appropriée ou disponible pour mitiger le risque dans ces circonstances.
Marché résidentiel
Dans le marché résidentiel, bien que l’usage du français était déjà plus répandu en raison des règles déjà en place, les promoteurs, constructeurs et développeurs devront faire preuve de prudence additionnelle lorsqu’ils voudront utiliser l’anglais dans leurs documents juridiques, afin de bien documenter l’intention expresse des parties d’utiliser l’anglais, en plus des enjeux de traduction décrits plus haut et des règles applicables aux contrats d’adhésion. Par exemple, un contrat d’achat d’un immeuble (y compris une unité de copropriété) qui est un contrat d’adhésion, sans égard à son usage résidentiel ou au nombre de logements dans l’immeuble, doit être rédigé en français, sauf si les parties ont expressément convenu qu’il soit rédigé en anglais et, à compter du 1er juin 2023, si une version française du contrat a au préalable été remise à l’adhérent .
Marché locatif commercial
Au Québec, les baux commerciaux ne sont généralement pas publiés au Registre foncier dans leur intégralité, mais seulement par un avis de bail conformément à l’article 2999.1 du Code civil du Québec, cet avis contenant seulement certaines modalités du bail. Les nouvelles règles prévues par la Loi 14 font en sorte qu’un tel avis de bail doit (à partir du 1er septembre 2022) être rédigé et publié en français, même si le bail lui-même est rédigé en anglais; aucune traduction vidimée ne sera toutefois requise.
Solutions
- Actes simples: Les parties souhaitant transiger en anglais peuvent envisager de rédiger un acte en français en format simplifié qui serait utilisé pour fins de publication et qui contiendrait seulement les mentions requises pour rendre leurs droits opposables leurs droits, mais qui référerait aussi à des ententes non publiées pour la détermination des autres droits et obligations des parties. Ces ententes non publiées ne requièrent alors pas de traduction, sauf si elles constituent des contrats d’adhésion, comme nous l’avons expliqué plus haut. Cette solution sera utile pour les actes de vente et d’hypothèque, mais ne sera pas applicable dans tous les cas, comme les servitudes plus complexes par exemple. Cette pratique ressemble à la publication au moyen du dépôt d’un formulaire contenant un résumé des modalités particulières de la transaction (méthode étant en vigueur dans plusieurs autres juridictions).
- Modèles standards: Une autre solution serait, pour tout acte rédigé et signé en français pour lequel une inscription au Registre foncier est requise, de préparer et de fournir aux parties avant la signature de l’acte, pour fins d’information et de consultation seulement, une traduction en anglais du projet d’acte. Dans le cas d’une hypothèque selon un formulaire standard où le créancier possède déjà une version anglaise du formulaire standard en français, cette version pourrait être celle qui serait remise au constituant. Cette approche viserait à s’assurer que le constituant comprenne bien ce qu’il a signé en français, et non pas à faire en sorte que le document liant les parties soit la version anglaise.
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Nous anticipons que le Registre foncier communiquera de plus amples précisions quant à l’application de la Loi 14 et nous suivrons de près ces mises à jour. Nous demeurons disponibles pour discuter avec vous des impacts que ces nouvelles dispositions auront sur vos transactions immobilières au Québec.