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La Cour du Québec reconnait que la migration de contaminants n’est pas un rejet au sens de la Loi sur la qualité de l’environnement

Dans un jugement récent, la Cour du Québec a clarifié dans l’affaire Société de développement du fonds immobilier du Québec c. Couche-Tard[1], certains enjeux relatifs à la migration de contaminants dans l’environnement et la responsabilité pouvant en découler.

Contexte

Au Québec, l’article 20 de la Loi sur la qualité de l’environnement[2] (LQE) prohibe le rejet de contaminants, à certaines conditions. L’expression « rejet de contaminants » est définie par la loi comme : tout dépôt, tout rejet, tout dégagement ou toute émission de contaminants dans l’environnement.

Dans l’affaire en cause, la Société de développement du fonds immobilier du Québec poursuivait sa voisine Couche-Tard, à la suite de la migration d’hydrocarbures pétroliers dans les sols de son immeuble. La demanderesse réclamait des dommages pour les travaux requis afin de retirer les contaminants résiduels laissés par la défenderesse, après la réhabilitation des sols conformément à la règlementation applicable[3].

La Cour du Québec s’est posé trois questions : si la défenderesse avait commis une faute ayant mené à la contamination des sols, si la migration de contaminants constituait un trouble de voisinage selon l’article 976 CcQ, et si la demanderesse était en droit d’exiger une réhabilitation complète des sols.

Le jugement

Dans le jugement rendu le 17 août 2020, la Cour du Québec analyse le contexte dans lequel la demanderesse est devenue propriétaire d’un immeuble à vocation commerciale, et la preuve d’expertise sur sa contamination par des produits pétroliers ayant migré du site voisin appartenant à Couche-Tard, reliés à l’utilisation antérieure par une station-service.

Cette preuve révèle essentiellement que la propriété de la demanderesse contient des concentrations d’hydrocarbures supérieures au critère « C » de la politique environnementale[4] applicable pour un terrain commercial. Se basant sur les recommandations de ses consultants, la défenderesse a suggéré une réhabilitation des sols par oxydation chimique in situ, en fonction du critère « B » pour tenir compte de la possibilité d’un usage mixte (commercial et résidentiel) de la propriété. Insatisfaite de cette proposition, la demanderesse intente en 2018 un recours pour réclamer le coût de la décontamination complète des sols, par excavation. Sans préjudice à la position de la demanderesse, les travaux de décontamination proposés par la défenderesse sont complétés en 2019, et la preuve confirme que les sols respectent le critère « B ».

Après analyse, la Cour du Québec retient que la migration de contaminants chez un voisin ne constitue pas une faute en soi, au sens de l’article 1457 CcQ. À ce sujet, la Cour se demande si la migration d’hydrocarbures dans les sols de l’immeuble pouvait être assimilée à un « rejet de contaminants » en contravention de l’article 20 LQE. Après avoir remarqué que la LQE ne définit pas le terme « migration », la Cour indique que c’est en raison du principe du « pollueur-payeur » que celui qui rejette un contaminant dans l’environnement s’expose à des sanctions. Ainsi, la migration de contaminants postérieure à leur rejet initial ne saurait qualifier comme « rejet de contaminants » prohibé au sens de la LQE.

En l’espèce, la Cour conclut donc que Couche-Tard ne peut être tenue responsable du rejet initial d'hydrocarbures pétroliers qui ont migré dans les sols du terrain de sa voisine, puisqu'elle n'en est pas l'auteure. Le tribunal souligne que la preuve révèle que la défenderesse a plutôt tenté, dès qu’elle est devenue propriétaire du site, de régler la problématique de migration de contaminants.

Abordant le régime de l’article 976 CcQ, la Cour du Québec rappelle qu’une condamnation pour trouble de voisinage requiert la preuve d’inconvénients anormaux, d’une certaine gravité. Or, la Cour retient que puisque la défenderesse a déjà réhabilité les sols du terrain en fonction du critère « B » pour accommoder un éventuel usage commercial et résidentiel, soit au-delà de la vocation commerciale actuelle de l’immeuble, il n’y avait pas de trouble anormal du voisinage. À ce sujet, la Cour note qu’au moment d’acquérir la propriété, la station-service adjacente était en opération et que la demanderesse aurait dû envisager un risque de migration de contaminants. En fonction de la preuve, la Cour conclut que la décontamination au critère « B » par traitement in situ était raisonnable, et que la demande visant la réhabilitation complète par excavation n’était pas justifiée.

Nos commentaires

Le jugement de la Cour du Québec dans l’affaire Société de développement du fonds immobilier du Québec c. Couche-Tard établit que la migration de contaminants postérieurement au rejet initial dans l’environnement n’est pas un « rejet de contaminants » au sens de la LQE. Cette conclusion est compatible avec l’application du principe du « pollueur-payeur », qui est reconnu dans la Loi sur le développement durable[5].

Cette décision illustre combien les normes environnementales, tel l’article 20 LQE et l’article 976 CcQ, requièrent un examen factuel, contextualisé et individualisé de chaque situation. La preuve technique à ce sujet exige souvent l’éclairage d’experts, comme ce fut ici le cas sur les enjeux du mode de restauration des sols et les critères associés. Dans l’analyse de la responsabilité, le tribunal tiendra aussi compte de la conduite du défendeur. En l’espèce, la décontamination du terrain de façon proactive par le défendeur, selon les critères applicables en fonction du zonage, a été retenue comme un facteur déterminant dans la conclusion du tribunal de rejeter l’action. La demande pour exiger une décontamination résiduelle des sols n’était pas justifiée.

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[1] 2020 QCCQ 3080.

[2] RLRQ c Q-2.

[3] Règlement sur la protection et la réhabilitation des terrains, RLRQ c Q-2, r. 37.

[4] Politique de protection des sols et de réhabilitation des terrains contaminés du Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques.

[5] RLRQ c D-8.1.1.