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Commentaire sur la décision Collège des médecins du Québec c. Limoges – La limite entre les conseils sur les « styles de vie santé » et l'exercice illégal de la médecine

EYB2021REP3290

Repères, Juin, 2021

Catherine BÉLANGER PÂQUET*

Commentaire sur la décision Collège des médecins du Québec c. Limoges – La limite entre les conseils sur les « styles de vie santé » et l'exercice illégal de la médecine

Indexation

PROFESSIONS ET DROIT DISCIPLINAIRE ; COLLÈGE DES MÉDECINS DU QUÉBEC ; LOI MÉDICALE ; CODE DES PROFESSIONS ; INFRACTIONS PÉNALES ; EXERCICE ILLÉGAL DE LA PROFESSION

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

I– LES FAITS

II– LA DÉCISION

La médecine est une profession d'exercice exclusif

La preuve de l'exercice illégal de la médecine

La culpabilité des défendeurs

III– LE COMMENTAIRE DE L'AUTEURE

CONCLUSION

Résumé

L'auteure commente cette décision du 23 mars 2021 dans laquelle la Cour du Québec, sous la plume de l'honorable juge Nathalie Duchesneau, j.c.q., traite de l'importante limite entre les conseils sur les « styles de vie santé » et l'exercice illégal de la médecine.

INTRODUCTION

Le fait de discuter de problèmes de santé, de chercher à identifier les déficiences et de recommander des produits naturels et des techniques de « détox » pour les traiter constitue-t-il un exercice illégal de la médecine au sens de l'article 32 du Code des professions1 (« C. prof. ») ?

Dans la décision Collège des médecins du Québec c. Limoges2, la Cour du Québec répond par l'affirmative à cette question et déclare les défendeurs coupables des chefs d'infraction qui leur sont reprochés en vertu de l'article 188 C. prof.

LES FAITS

Le Collège des médecins du Québec, ci-après « le Collège », poursuit les défendeurs Christian Limoges, Actumus inc. et Maison Jacynthe inc., leur reprochant d'avoir agi de manière à donner lieu de croire qu'ils étaient autorisés à exercer la médecine, contrairement à l'article 32 C. prof. L'infraction prévue à l'article 188 C. prof. aurait été commise dans le cadre de deux vidéos publiées sur la page Facebook de Maison Jacynthe inc. en 2018. Le Collège reproche la même infraction au défendeur Actumus inc., faisant affaire sous le nom de Clinique L'Aube, mais cette fois-ci en raison d'informations et d'offre de services d'hydrothérapie du colon se retrouvant sur le site Internet de la clinique.

Jacynthe René est l'une des actionnaires et présidente de Maison Jacynthe inc. Christian Limoges est naturopathe et iridologue. Il est actionnaire de la compagnie Actumus inc. Il est le directeur général, président fondateur de la Clinique L'Aube. La Clinique L'Aube est exploitée par deux naturopathes formées en hydrothérapie et possède deux salles d'irrigation.

Dans les deux vidéos faisant l'objet des reproches, Jacynthe René et Christian Limoges répondent aux questions des auditeurs sur leur état de santé et discutent des bienfaits de leur programme de « détox », de la consommation de produits Bioflex et de l'irrigation du colon.

  1. LA DÉCISION
  2. La médecine est une profession d'exercice exclusif

L'article 32 C. prof. prévoit que la médecine est une « profession d'exercice exclusif ». Cet article interdit différents comportements aux non-médecins, notamment : agir de manière à donner lieu de croire qu'une personne est autorisée à exercer la médecine, si elle n'est pas titulaire d'un permis valide et approprié et si elle n'est pas inscrite au tableau de l'ordre habilité à délivrer ce permis.

La Loi médicale3 établit le champ d'exercice exclusif de la médecine. L'article 31 de la Loi médicale définit l'exercice de la médecine comme consistant à « évaluer et à diagnostiquer toute déficience de la santé chez l'être humain en interaction avec son environnement, à prévenir et à traiter les maladies dans le but de maintenir la santé, de la rétablir ou d'offrir le soulagement approprié des symptômes ». Cet article prévoit, entre autres, que le diagnostic de maladies, la détermination du traitement médical, la prescription de médicaments et autres substances et de traitements, et l'utilisation de techniques ou l'application de traitements invasifs sont des actes réservés aux médecins.

Aux yeux de la juge, le fait de chercher à déceler et à identifier des maladies ou des déficiences équivaut à diagnostiquer. Celle-ci ajoute que de soigner ou de prétendre soigner une personne qui croit ou prétend souffrir d'un problème de santé en recommandant un traitement quelconque lorsque l'on n'est pas médecin constitue un exercice illégal de la médecine.

  • La preuve de l'exercice illégal de la médecine

L'article 188 C. prof. prévoit l'infraction pénale qui découle d'un exercice illégal de la médecine. Il s'agit d'une infraction de responsabilité stricte qui nécessite une preuve hors de tout doute raisonnable de sa commission.

La juge rappelle que l'infraction reprochée n'est pas de se faire passer pour un médecin ou de prétendre l'être ni d'avoir exercé une activité réservée, mais d'avoir agi, par des gestes et des propos ambigus, de manière à laisser croire à une personne raisonnable que l'on est autorisé à exercer la médecine. La preuve d'une intention de tromper n'est pas nécessaire, et l'absence d'une telle intention ne fait pas échec à la démonstration de l'infraction.

La juge écrit qu'une mention d'avertissement dans une vidéo ou sur un site n'est pas un « paravent » susceptible de permettre tout propos ou comportement laissant croire qu'une personne est autorisée à exercer la médecine.

  • La culpabilité des défendeurs

La juge conclut à la culpabilité des trois défendeurs hors de tout doute raisonnable. La preuve circonstancielle démontre que les défendeurs laissent croire à une personne raisonnable, par leurs propos tenus dans les deux vidéos et sur le site de la clinique, qu'ils peuvent diagnostiquer, prescrire et prodiguer des traitements, alors qu'ils ne sont pas médecins, et que, par conséquent, ils exercent illégalement la médecine.

Dans le cas d'Actumus inc., plusieurs extraits de son site Internet sont problématiques. Notamment, on y offre des services d'hydrothérapie exécutés par des hygiénistes du colon « certifiées » ainsi que l'iridologie. Le vocabulaire utilisé et les informations se retrouvant sur le site portent la personne raisonnable à croire qu'Actumus et son personnel possèdent les connaissances nécessaires et une autorité à fournir lesdits traitements. Se basant sur la jurisprudence, la juge rappelle que la pratique de l'iridologie est un processus médical menant à poser un diagnostic, soit un acte médical réservé.

Quant à Christian Limoges, son emploi répété de termes scientifiques et médicaux, son utilisation d'explications complètes et les références aux conférences et enseignements qu'il donne à l'extérieur du pays sont des éléments qui peuvent amener une personne raisonnable à croire à une apparence d'autorité et à une légitimité de diagnostiquer et de recommander des traitements. La juge est d'avis que M. Limoges pose des diagnostics sur les problèmes de santé des auditeurs, leur fournit des conseils et recommande des traitements, le tout en contravention de l'article 32 C. prof. Au surplus, l'irrigation du colon, que M. Limoges recommande afin d'améliorer l'état de santé des auditeurs, est considérée comme un traitement invasif et, corollairement, une technique exclusive aux médecins.

La juge conclut que dans les vidéos en cause, Jacynthe René fournit des conseils, attribue des bienfaits à l'irrigation et la recommande. Elle s'associe aux affirmations de M. Limoges en l'introduisant sur sa propre plateforme et recommande divers produits naturels ou des changements au style de vie des auditeurs, tous des gestes revêtant le caractère d'acte médical réservé. Bien qu'elle se soit entourée de médecins ou de scientifiques dans certains cas, cela ne l'exonère pas et peut, au contraire, avoir pour effet de lui donner une certaine légitimité et de laisser ensuite l'impression qu'elle possède les connaissances suffisantes pour proposer des traitements.

III– LE COMMENTAIRE DE L'AUTEURE

La juge souligne que ce litige ne concerne pas le modèle d'affaires des défendeurs ; il s'agit bien d'un procès à l'égard de gestes et de propos spécifiques formulés et publiés à des dates précises sur un site Internet et sur Facebook. Avec raison, la protection du public est au coeur de l'interprétation de la juge de la Cour du Québec, particulièrement à l'ère des réseaux sociaux et de la profusion d'informations qui y circulent. Bien qu'il ne revienne pas au public de départager les actes et propos qui relèvent de l'exercice exclusif de la médecine ni de savoir quelle personne est ou n'est pas autorisée à tenir ces propos, les consommateurs doivent faire preuve de prudence à l'égard des informations trouvées en ligne. Une simple recherche dans les bottins des divers ordres professionnels permet de vérifier les compétences d'un individu à poser des actes réservés.

Cette décision permet également de rappeler que l'exercice illégal de la médecine ne consiste pas uniquement à se prétendre médecin ou à se présenter comme tel, mais aussi à laisser croire, par son comportement ou ses propos, que l'on est autorisé à poser des actes qui relèvent des médecins. Étant donné que la preuve d'une intention de tromper le public n'est pas nécessaire pour engager sa culpabilité, certains intervenants devront redoubler de prudence et faire preuve de réserve dans la présentation de leurs services, produits et programmes. On peut penser que le secteur des produits naturels, des régimes, de la détox et du style de vie est particulièrement sous la loupe du Collège.

CONCLUSION

La décision commentée suscite également une réflexion entourant l'encadrement légal de certaines « professions » au Québec, dont la naturopathie et l'ostéopathie, pour ne nommer que celles-là. Comme le souligne le juge Lavergne dans Collège des médecins du Québec c. Collège d'études en ostéopathie inc., alors que d'une part, tout ce qui n'est pas réservé aux membres d'un ordre professionnel peut être fait par des personnes non membres, d'autre part, l'acte réservé aux membres d'un ordre professionnel ne peut être posé par un non-membre. Le juge ajoute que « [s]eule une intervention du législateur peut y remédier »4.

* Me Catherine Bélanger Pâquet, avocate chez McCarthy Tétrault, concentre sa pratique en litige civil, commercial et contractuel ainsi qu'en matière de responsabilité professionnelle et médicale. Elle désire remercier Mme Isabelle Chouinard, stagiaire au sein du même bureau, pour sa précieuse aide à la rédaction du présent texte.

RLRQ, c. C-26.

2021 QCCQ 1874, EYB 2021-381706.

RLRQ, c. M-9.

Collège des médecins du Québec c. Collège d'études en ostéopathie inc., 2019 QCCQ 3442, EYB 2019-312555, par. 254-258.

Date de dépôt : 8 juin 2021

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