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Une nouvelle étape est franchie vers la mise en œuvre de l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’UE

Après presque dix ans de travaux préparatoires et de négociations, le Canada et l’Union européenne ont franchi un pas supplémentaire vers la mise en œuvre de l’Accord économique et commercial global (AECG). Il s’agit de l’accord sur le commerce international et l’investissement le plus exhaustif ayant été conclu par les signataires. Il est souvent présenté comme le premier d’une « nouvelle génération » d’accords commerciaux conçus pour combler les faiblesses perçues d’accords précédents, notamment en ce qui concerne les normes en matière de développement durable, de main-d’œuvre et d’environnement. La mise en œuvre de l’AECG représentera une éclatante réussite dans un contexte où la montée du populisme et des mouvements antimondialisation a entraîné l’échec de l’Accord de Partenariat transpacifique (PTP) et menace la réalisation d’autres initiatives commerciales ambitieuses, tel le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI) entre les États-Unis et l’UE.

Le 15 février 2017, le Parlement européen a voté la ratification de l’AECG. Parallèlement, au Canada, le projet de loi C-30 – Loi portant mise en œuvre de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne et ses États membres et comportant d’autres mesures – a franchi l’étape de la troisième lecture à la Chambre des communes et est en voie d’être adopté par le Sénat. On prévoit que l’AECG pourrait entrer provisoirement en vigueur dès le mois de mai prochain.

Si elles ne l’ont pas déjà fait, les entreprises devraient examiner attentivement les occasions et les menaces créées par l’AECG pour leurs marchés nationaux et internationaux et élaborer une stratégie efficace visant à répondre à la nouvelle dynamique liée au commerce et aux investissements. Le présent article vise à donner un aperçu des principales caractéristiques de l’AECG, ainsi que du processus et du calendrier de sa mise en œuvre. Au cours des prochaines semaines, nous présenterons une analyse plus approfondie des différents aspects de l’AECG, y compris le nouveau régime des marchés publics et le nouveau processus de règlement des différends entre les investisseurs et les États.

Résumé

La réussite de la négociation et de la mise en œuvre de l’AECG reflète deux des principales priorités du Canada : l’investissement étranger et le commerce international de biens et services. L’accord conclu entre le Canada et l’UE facilite l’accès à l’un des plus importants marchés au monde pour les exportateurs, les investisseurs et les fournisseurs de services canadiens. Comme il s’agit d’un accord moderne, il abolit les droits de douane, affirme l’engagement à accroître les débouchés pour les fournisseurs de services étrangers et simplifie grandement la conformité aux normes et pratiques réglementaires.

Nous présentons ici un résumé des principaux champs d’application de l’AECG.

Commerce de biens et services

L’AECG supprimera les droits de douane sur 98 % des biens. Une partie de ces changements s’échelonnera sur une certaine période; c’est le cas, par exemple, des droits de douane sur certains véhicules, navires et produits agricoles. Ce processus sera terminé en 2024, et les seuls droits de douane qui subsisteront viseront surtout les produits en gestion de l’offre.

L’AECG permet aussi aux fournisseurs de l’UE d’augmenter leurs exportations de certains produits en gestion de l’offre au Canada, en particulier le fromage, dont les contingents seront presque doublés. Pour sa part, l’EU accroît l’accès à ses marchés pour les producteurs canadiens de bœuf et de porc.

Étant donné que l’économie canadienne s’appuie fortement sur le secteur des services, l’engagement de l’AECG d’accroître l’accès dans ce secteur revêt une importance cruciale. Contrairement à l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) de l’Organisation mondiale du commerce, l’AECG utilise l’approche de la « liste négative » – c’est-à-dire que les engagements pris par les parties sont tous contraignants, sauf si un service (comme les services juridiques) est explicitement exclu ou l’accès explicitement limité.

Les engagements en matière d’accès aux marchés des services touchent à la fois la fourniture de services à l’intérieur des frontières d’un pays et la fourniture transfrontalière. Cela signifie qu’il est maintenant plus facile pour un fournisseur de services canadien de nouer des relations avec des clients au sein de l’UE à partir de sa base d’opérations au Canada, tout en ayant la possibilité de déployer du personnel et des ressources dans l’UE pour les aider sur place.

Normes techniques et mobilité de la main-d’œuvre

L’un des aspects les plus intéressants de l’AECG est l’attention accordée aux obstacles non tarifaires au commerce. Dans bien des cas, les exigences réglementaires et les normes techniques appliquées après l’entrée peuvent être de nature protectionniste et constituent effectivement des obstacles non tarifaires au commerce. De plus, le fait de devoir se conformer à des réglementations divergentes, même si elles semblent similaires dans l’essentiel, mais qui contiennent des différences importantes, peut forcer les entreprises à établir des installations et des chaînes de production distinctes. La diminution des économies d’échelle qui en découle entraîne ainsi une augmentation des coûts.

Pour y remédier, l’AECG exige que le Canada et l’UE respectent et appliquent le Protocole relatif à la reconnaissance mutuelle des résultats des évaluations de la conformité. Ce protocole force les gouvernements à reconnaître mutuellement les évaluations de la conformité des produits réalisées par les autorités de l’autre partie en vertu de ses propres règlements. Le processus d’évaluation s’en trouve simplifié. Cependant, le Canada et l’UE ne partageront pas pour autant le même ensemble de normes. Les produits qui seront vendus au Canada devront toujours respecter les normes canadiennes. Cela dit, le Canada et l’UE se sont engagés à harmoniser leurs structures réglementaires, de même qu’à entamer des négociations et des consultations à cette fin.

L’AECG prévoit également un mécanisme permettant aux organismes de réglementation professionnelle de faciliter la reconnaissance mutuelle des certifications ou des permis. Si le nouveau mécanisme ne prévoit pas une reconnaissance automatique, il offre néanmoins un cadre qui permet aux parties de négocier rapidement de tels accords, selon un modèle standard. Certaines professions, comme les architectes, ont déjà fait connaître leur intention d’utiliser ce processus.

La mobilité de la main-d’œuvre est également un engagement majeur aux termes de l’AECG. Bien que les dispositions de l’AECG ne s’appliquent pas à la main-d'œuvre ou aux emplois peu spécialisés, l’accord prévoit des droits d’entrée additionnels pour les professionnels indépendants, les gens d’affaires en visite et les personnes mutées au sein d’une société. Le Canada et l’UE s’engagent aussi à ne pas limiter, au moyen de restrictions numériques ou d’examens des besoins économiques, le nombre d’admissions temporaires de gens d’affaires.

Marchés publics

L’engagement envers l’ouverture et l’équité des marchés publics fait partie intégrante des accords de libre-échange conclus par le Canada depuis l’ALENA. Les engagements pris dans ce domaine en vertu de l’AECG sont comparables à ceux que le Canada a déjà acceptés avec l’Accord sur les marchés publics révisé de l’OMC.

Toutefois, ce qui importait le plus pour les deux parties au cours des négociations ne concernait pas tant les engagements précis que les entités visées par ces engagements. Le Canada et l’UE ont étendu, dans une mesure sans précédent, la portée des engagements à un vaste éventail d’entités provinciales et territoriales. En gros, il s’agit des entités des gouvernements provinciaux, des hôpitaux, des municipalités, des services publics, ainsi que d’une large gamme de sociétés d’État fédérales et provinciales. Par conséquent, l’AECG libéralise effectivement les marchés publics, dont la valeur s’élève à plus de trois mille milliards de dollars.

Plus important encore, bon nombre de ces engagements, y compris ceux qui permettent un règlement rapide des différends et qui empêchent toute partialité dans les spécifications techniques, s’adressent aux fournisseurs du Canada et de l’UE. D’où l’importance capitale, si vous souhaitez être un fournisseur des différents gouvernements canadiens et des pays de l’UE, de comprendre vos droits et recours en vertu de l’AECG afin de protéger vos intérêts.

Propriété intellectuelle

L’AECG contient de vastes engagements en ce qui concerne la protection de la propriété intellectuelle. Ces engagements touchent notamment les droits d’auteur, les marques de commerce et les brevets. Deux éléments sont particulièrement dignes de mention : la reconnaissance par le Canada de plus de vingt nouvelles « indications géographiques » (IG) et l’engagement des parties à mettre en place un processus de « restauration des brevets » sur une période de deux ans.

Le premier élément renforce la protection pour les producteurs de spécialités régionales – par exemple, le prosciutto de Parme, le roquefort ou le parmesan reggiano. Ces articles bénéficieront désormais d’une protection supplémentaire contre les produits d’imitation qui ne sont pas originaires de la région indiquée ou fabriqués selon les directives reconnues par la région pour que le produit en question soit officiellement reconnu.

Le deuxième prolonge, sous certaines conditions, la période de protection offerte par les brevets pour les produits pharmaceutiques. Cette protection supplémentaire peut « restaurer » la durée du brevet de nouveaux produits pharmaceutiques jusqu’à deux ans. Le but de compenser les délais requis pour les essais cliniques et les tests qui sont particulièrement chronophages.

Protection des investissements

Caractéristique commune à la plupart des accords commerciaux modernes, sinon tous, la protection des investissements vise à promouvoir les investissements étrangers. Les dispositions de l’AECG concernant les investisseurs et les États seront, dans une large mesure, techniquement inopérantes[1] jusqu’à la ratification finale, et leur inclusion demeure l’un des éléments les plus controversés de l’AECG. Les investisseurs canadiens dans l’UE et les investisseurs de l’UE au Canada bénéficieront d’un traitement juste et équitable de même que de la protection contre l’expropriation sans indemnité, et ils n’auront pas l’obligation d’embaucher localement ni d’utiliser des intrants locaux.

Le processus d’arbitrage initialement prévu par l’AECG pour le règlement de réclamations d’investisseurs était déjà l’un des plus transparents et des plus indulgents à l’égard des mesures prises par les gouvernements. À la suite des changements négociés en février 2016, le mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les États se fondera sur un nouveau « système juridictionnel des investissements », où tous les juges sont sélectionnés par les gouvernements. Ce processus remplace l’ancien système d’arbitrage temporaire utilisé dans les autres accords commerciaux conclus par le Canada, selon lequel les investisseurs avaient des droits égaux en ce qui concerne le choix des arbitres, dans le but d’assurer une audience impartiale.

Mise en œuvre

La mise en œuvre actuelle de l’AECG n’est ni simple ni complète. Toutefois, les mesures prises récemment par les parlements européen et canadien indiquent que l’accord sera probablement mis en œuvre au printemps de 2017.

Mise en œuvre par l’UE

Le 24 janvier 2017, la Commission du commerce international du Parlement européen a voté son approbation de l’AECG. Cette décision a été suivie, le 15 février 2017, par le vote du Parlement européen pour la ratification de l’AECG. Cependant, cela ne met pas fin au processus de mise en œuvre par l’UE. En effet, selon une proposition adoptée en octobre 2016, l’UE reconnaît que certaines parties de l’AECG relèvent à la fois de la compétence de l’Union et de ses États membres. Les éléments qui relèvent des États membres concernent notamment une partie du chapitre sur la protection des investissements, une partie du chapitre sur les services financiers et certaines protections visant la propriété intellectuelle.

Les parlements nationaux de chacun des États membres de l’UE doivent encore se prononcer sur la ratification finale et la mise en œuvre de l’accord. Ce n’est qu’une fois leur approbation donnée que l’AECG entrera en vigueur de façon permanente. Cependant, il est à espérer que les avantages d’une approbation provisoire puissent accroître la pression sur les États membres pour qu’ils ratifient l’accord, faute de quoi ils risquent de perdre tous les avantages dont ils auront profité.

Mise en œuvre par le Canada

Le gouvernement canadien a commencé le processus de mise en œuvre avec la présentation du projet de loi C-30 à la Chambre des communes. La loi fédérale implique non seulement l’incorporation complète de l’AECG à la législation fédérale canadienne, mais aussi de nombreux changements aux lois fédérales qui permettront de respecter intégralement les engagements du Canada en vertu de l’AECG.

Le 14 février 2017, le projet de loi C-30 a franchi l’étape de la troisième lecture à la Chambre des communes et a été soumis à l’examen du Sénat. On s’attend à ce qu’il soit accueilli favorablement, étant donné que la Chambre haute est contrôlée par des personnes nommées par les libéraux et les conservateurs, tous partisans de l’AECG. Le gouvernement vise le printemps de 2017 pour la mise en œuvre finale et la sanction royale.

Toutefois, même lorsque le projet de loi C-30 aura reçu la sanction royale, la mise en œuvre de certains éléments de l’AECG exigera l’engagement des provinces. Par exemple, celles-ci ont convenu de libéraliser l’accès à leurs marchés publics. Compte tenu du partage des compétences entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux, de telles mesures ne peuvent pas être simplement imposées par le Parlement fédéral. Par conséquent, jusqu’à ce que les provinces aient concrétisé leurs engagements, il est difficile de voir comment l’AECG sera entièrement mis en œuvre. Par exemple, en Ontario, aucun débat de fond n’a eu lieu et aucune loi portant explicitement sur la mise en œuvre des engagements de la province n’a été adoptée.

Conclusion

Avec l’adoption du projet de loi C-30 par la Chambre des communes et l’approbation récente de l’AECG par le Parlement européen, l’AECG est sur le point de se concrétiser. Dans un contexte où de mouvements politiques remettant en question l’ordre international, la mondialisation et le commerce, l’AECG créera l’une des plus grandes zones de libre-échange au monde. L’AECG fournit une base solide permettant aux entreprises canadiennes de diversifier le risque en élargissant la clientèle et la chaîne d’approvisionnement à l’échelle mondiale, et tente ainsi de pallier à ce que d’aucuns perçoivent comme une dépendance excessive sur les marchés américains.

En outre, l’AECG place le Canada dans une position potentiellement enviable comme destination pour les investissements étrangers. S’il s’avère exact que les répercussions de la modification de l’ALENA par l’administration Trump seront moins néfastes que prévu, le Canada est susceptible d’être dans une meilleure position que tout autre partenaire commercial majeur des États-Unis. Grâce à sa politique résolument tournée vers l’extérieur lorsqu’il s’agit de négocier les accords de commerce et d’investissement, le Canada dispose d’un atout puissant pour se présenter comme tremplin attrayant vers les marchés américains.

Au cours des prochaines semaines et des prochains mois, le groupe Droit du commerce et de l’investissement international de McCarthy Tétrault publiera des analyses détaillées sur les composantes clés de l’AECG et continuera de surveiller et d’analyser les autres tendances importantes concernant le commerce et les investissements internationaux.


[1] Les obligations réelles de l’AECG relativement à la protection des investissements directs étrangers seront opérantes. Toutefois, le mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les États sera inopérant. De plus, il n’est pas certain que ces obligations seront mises en œuvre. Le pays hôte d’un investisseur peut avoir recours au mécanisme de règlement des différends entre gouvernements prévu au chapitre 29 pour contester une mesure, mais pour cela, l’investisseur doit convaincre son gouvernement de prendre l’initiative de porter plainte, et cette procédure implique que l’investisseur aura un contrôle limité sur le processus et qu’il ne pourra pas réclamer de dommages-intérêts. Compte tenu de ces faiblesses, les obligations n’auront de réelle valeur que lorsque le système juridictionnel de règlement des différends entre les investisseurs et les États sera définitivement mis en œuvre.

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