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Le Canada allège ses sanctions contre l’Iran – Peut-on maintenant y faire des affaires?

Le 5 février 2016, le ministre canadien des Affaires étrangères, Stéphane Dion, a annoncé des modifications aux règlements qui prescrivent les sanctions économiques du Canada contre l’Iran. Ces modifications font suite à des déclarations antérieures à l’effet que le Canada lèverait ses sanctions économiques contre l’Iran pour tenir compte de la confirmation, par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) le 16 janvier 2016, que l’Iran avait rempli les exigences pour une telle levée dans le cadre du Plan d’action global commun (PAGC).

Un certain nombre d’alliés du Canada, dont l’Union européenne, les États-Unis, l’Australie et le Japon, ont déjà annoncé la levée, à divers degrés, de leurs sanctions économiques contre l’Iran. Le gouvernement conservateur précédent au Canada avait clairement indiqué son scepticisme concernant la participation de l’Iran aux négociations du PAGC, et il n’avait donné aucune assurance que le Canada participerait à la levée des sanctions envisagée par les membres du PAGC.

Les mesures maintenant prises par le gouvernement libéral divergent nettement de cette position et constituent un pas vers l’alignement du Canada sur la plupart de ses alliés. Les sociétés canadiennes, surtout celles des secteurs du pétrole et du gaz, de l’aérospatiale, des mines, de l’automobile, des services financiers et de la haute technologie, se doivent de soigneusement évaluer les nouvelles occasions pour le commerce et les investissements en Iran, et s’assurer d’agir conformément au « patchwork » de sanctions et de mesures de contrôle toujours en vigueur.

Sanctions économiques antérieures du Canada

Le Canada maintenait deux types de sanctions contre l’Iran : des sanctions multilatérales en application des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, en vertu de la Loi sur les Nations Unies, et des sanctions unilatérales contenues dans le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant l’Iran. Ces mesures avaient été adoptées par suite de résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU et de la menace représentée par le programme nucléaire iranien ainsi que par le soutien de l’Iran à certains groupes terroristes.

Ces sanctions nommaient plus de 600 personnes et entités classées comme des « personnes désignées ». Toute transaction avec ces personnes désignées, à leur bénéfice ou portant sur un de leurs biens, était strictement interdite. La plupart de ces personnes et entités avaient des liens étroits avec le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), le programme nucléaire iranien ou des groupes terroristes et paramilitaires. Par ailleurs, le Canada a maintenu un large embargo commercial contre l’Iran, notamment des interdictions de s’approvisionner dans ce pays et des prohibitions sur la fourniture ou l’acquisition de services financiers pour des personnes en Iran, auprès de telles personnes ou à leur bénéfice.

Le Canada a modifié ces sanctions. Un nouvel Avis aux exportateurs indique que les modifications sont importantes.

Modifications aux sanctions

Les règlements sur l’Iran ont été profondément révisés. Les sanctions des règlements d’application de la Loi sur les Nations Unies ont été modifiées pour refléter la résolution 2231 qui met en œuvre le PAGC reciblant les sanctions sur les biens et les technologies liées à l’arsenal nucléaire et militaire; cependant, une longue liste demeure de personnes désignées qui sont toujours soumises à un gel de leurs avoirs.

Les modifications au Règlement sur les mesures économiques spéciales visant l’Iran affectent certains termes et définitions essentiels du règlement, remplace l’embargo commercial général contre l’Iran par des restrictions commerciales ciblées, et enlève plus de 400 personnes et entités qui figuraient sur la liste des personnes désignées.

Révision des termes

Concernant les définitions, la plupart des révisions portent sur des termes dont la présence n’est plus nécessaire. Ainsi, les définitions d’« arme et matériel connexe », d’« institution financière iranienne » et d’« intérêt substantiel » ont été retirées.

Il y a deux autres changements terminologiques intéressants. D’abord, le terme « personne désignée » a été retiré. Comme nous le verrons ci-dessous, il y aura toujours des personnes assujetties à des sanctions particulières, mais ces personnes et entités seront qualifiées de « personnes inscrites ». C’est un changement relativement mineur, mais il met le lexique du règlement sur l’Iran en conformité avec celui des interdictions du Code criminel contre les organisations terroristes.

Deuxièmement, la définition de l’Iran est maintenant plus détaillée et inclut explicitement le gouvernement de l’Iran, ses ministères et ses organismes. La différence n’est pas déterminante, mais on y voit que le terme « Iran » dans les sanctions vise le gouvernement de l’Iran à titre d’entité politique et non le seul territoire géographique de l’Iran.

Ajouts et retraits aux personnes inscrites

Le Canada a beaucoup modifié la liste des personnes auparavant appelées « personnes désignées ». On réduit de 530 à seulement 161 le nombre total des entités soumises à un gel général de leurs avoirs et à une interdiction de procéder à des transactions. De même, le nombre des personnes soumises à des sanctions spécifiques a été réduit de moitié, passant de 83 à 41.

Ces personnes et entités sont probablement liées au CGRI ou à la Brigade al-Qods. Dans le communiqué de presse connexe, le ministre souligné que cette dernière organisation est toujours classée comme organisation terroriste aux fins du Code criminel – le gouvernement libéral a annoncé qu’il n’avait pas l’intention de changer ce classement.

Cependant, il y a aussi eu des ajouts aux personnes et entités inscrites et soumises à sanctions. Le Canada a suivi la voie des États-Unis et placé des restrictions sur le programme de missiles balistiques de l’Iran. À cette fin, le Canada a ajouté six personnes et une entité à sa liste de personnes sanctionnées.

Assouplissement de l’embargo commercial

L’embargo commercial a été nettement assoupli. Les interdictions de faire des investissements en Iran, les restrictions sur l’offre de services portuaires aux navires iraniens et sur l’offre de services de signalisation ou de classification aux navires pétroliers ou aux navires de charge iraniens, ont toutes été abrogées. Ont aussi été abrogées les interdictions d’importer ou d’acheter des biens provenant de l’Iran de même que l’interdiction générale sur les services financiers.

L’interdiction sur les marchandises est plus nuancée. Le Canada a levé l’interdiction générale de l’article 4 en abrogeant cet article dans son intégralité mais en le remplaçant par ce qui suit :

4 (1) Il est interdit à toute personne au Canada et à tout Canadien à l’étranger d’exporter, de vendre, de fournir ou d’envoyer des marchandises figurant à l’annexe 2, indépendamment de leur situation, à l’Iran, à une personne qui s’y trouve ou à une personne pour les besoins d’une entreprise exploitée en Iran ou gérée à partir de l’Iran.

(2) Il est interdit à toute personne au Canada et à tout Canadien à l’étranger de transférer, de fournir ou de communiquer à l’Iran ou à toute personne s’y trouvant des données techniques liées aux marchandises figurant à l’annexe 2.

Ces nouvelles dispositions limitent grandement les marchandises et les technologies auxquelles s’applique l’interdiction d’exporter. L’annexe 2 contient 41 produits, y compris les centrifugeuses, les autoclaves, les matériaux fibreux ou filamentaires, les spectromètres gamma et les métaux spéciaux. Il s’agit généralement de produits utilisés dans des programmes d’armes nucléaires, biologiques ou chimiques. Ces nouvelles interdictions sont conformes aux positions du ministre selon lequel le Canada, tout en s’alignant sur la plupart de ses alliés pour alléger les sanctions économiques, maintient les mesures requises pour continuer à restreindre un possible programme nucléaire, compte tenu des soupçons qu’il nourrit toujours à l’égard du régime iranien.

Contrôles des exportations

Les entreprises canadiennes doivent être vigilantes et demander les licences d’exportation appropriées en vertu de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation. Même si les échanges commerciaux avec l’Iran sont aujourd’hui possibles, l’ASFC sera très attentif aux expéditions ou transferts de technologies ou de services d’assistance technique destinés à l’Iran et sera prêt à saisir les expéditions ou transferts de produits figurant sur la Liste des marchandises et technologies d’exportation contrôlée s’ils n’ont pas la documentation adéquate.

À cette fin, toutes les sociétés doivent se rappeler que les produits (y compris les biens, les technologies et l’assistance technique) qui figurent sur la Liste des marchandises et technologies d’exportation contrôlée nécessitent une licence émise par la Direction des contrôles à l’exportation d’Affaires mondiales Canada. Les entreprises doivent aussi savoir que cela concerne non seulement l’exportation et l’expédition de biens mais aussi le transfert de technologies, d’informations techniques et d’assistance technique à une destination hors du Canada.

En outre, l’Avis aux exportateurs no 196 clarifie la politique de la Direction des contrôles à l’exportation. Elle prendra en considération toutes les demandes de licences, mais rejettera probablement toutes celles qui concernent des produits jugés sensibles (la « liste des produits rejetés »). La liste des produits rejetés comprend des produits de chaque groupe de la Liste des marchandises et technologies d’exportation contrôlée , notamment ces produits du Groupe 1 (Biens et technologies à « double usage ») :

  • Équipement d’essai, de contrôle et de production pour des matériaux spéciaux et les équipements connexes, tel qu’ indiqué dans 1-1.B ainsi que le logiciel et la technologie associés
  • Matériaux tels que ceux indiqués dans l'article 1-1.C, ainsi que le logiciel et la technologie associés
  • Équipements d’essai, de contrôle et de production pour le traitement des matériaux tels que ceux indiqués dans l’article 1-2.B ainsi que le logiciel et la technologie associés
  • Équipements d'intrusion incluant les systèmes et les composantes tels qu’indiqués dans 1-4.A.5, ainsi que le logiciel et la technologie associés
  • Équipements d’interception et de brouillage des communications incluant les systèmes et composants tels qu’indiqués dans 1-5.A.1.f, 1-5.A.1.j, ainsi que le logiciel et la technologie associés
  • Capteurs optiques, caméras d'instrumentation à haute vitesse, caméras utilisant des tubes intensificateurs d'image, caméras comportant des matrices plan focal, lasers comme il est indiqué dans 1-6.A.2, 1-6.A.3.a , 1-6.A.3.b .3, 1-6.A.3.b.4, 1-6.A.5, ainsi que le logiciel et la technologie associés
  • Tous les produits de la catégorie 9 du Groupe 1, à l'exception des pièces et des composantes destinées à l' aviation civile, tels que décrits dans 1-9.A.1, 1-9.A.3, 1-9.A.12, ainsi que les logiciels et les technologies liées à 1-9.A.1, 1-9.A.3, 1-9.A.12

Tous les produits dans le Groupe 2 (Liste de matériel de guerre), le Groupe 3 (Liste de non-prolifération nucléaire) et le Groupe 4 (Liste de marchandises à double usage dans le secteur nucléaire) seront également inscrits sur la liste des produits rejetés. Tous les produits dans le Groupe 6 (Liste du régime de contrôle de la technologie des missiles) figurent aussi dans la liste des produits rejetés, à l’exception des composantes, des technologies et des logiciels explicitement visés s’ils sont destinés à l’aviation civile.

Certains produits dans le Groupe 5 (Marchandises et technologies diverses) seront aussi placés sur la liste des produits rejetés, y compris tous les produits 5504 (Marchandises et technologies stratégiques) à quelques exceptions près. Même si les produits contenant du matériel américain, tels ceux dans l’article 5400, ne figurent pas sur la liste des produits rejetés, les entreprises doivent se rappeler que les États-Unis continuent d’appliquer leur embargo commercial en ce qui concerne l’exportation et la réexportation de biens d’origine américaine sans l’autorisation préalable du gouvernement américain. Ces produits exigent également une licence d’exportation canadienne.

Prochaines étapes pour les entreprises canadiennes

Avec la levée même partielle des sanctions économiques internationales, le retour de l’Iran dans l’économie mondiale s’accompagne d’occasions importantes pour les entreprises canadiennes dans un grand nombre de secteurs, y compris le pétrole et le gaz, l’aérospatiale, les mines, l’automobile, les services financiers et la haute technologie.

Les entreprises qui comprennent et atténuent les risques découlant des sanctions économiques qui demeurent en place auront un avantage concurrentiel dans la course à ces débouchés pour le commerce et les investissements.

Le groupe du droit du commerce et de l’investissement international de McCarthy Tétrault suit la situation de près et vous fournira de l’information, des analyses et des mises à jour au fur et à mesure des nouveaux développements, y compris une analyse des changements clés au régime canadien des sanctions contre l’Iran.

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