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L’Accord États-Unis-Mexique-Canada : Après un an, de nouvelles modalités ont été convenues pour remplacer l’ALÉNA

Sur le point de dépasser encore une autre date limite, les États-Unis et le Canada se sont entendus sur des modalités permettant au Canada de se joindre aux États-Unis et au Mexique dans une révision de l’Accord de libre-échange nord-américain. Les modalités du nouvel Accord tripartite États-Unis-Mexique-Canada (AEUMC) ont été affichées dimanche soir par le représentant au commerce des États-Unis (USTR).

L’AEUMC a déjà fait couler beaucoup d’encre chez les experts, les « experts », et les partisans concernant qui a gagné, qui a perdu et quels seront les effets de l’AEUMC. Le Groupe du droit du commerce et de l’investissement internationaux de McCarthy Tétrault offrira une analyse des principaux changements apportés par l’AEUMC, de ses points communs avec le Partenariat transpacifique (PTP) et l’ALÉNA ainsi que de la meilleure façon dont vous et votre société pourrez naviguer dans ce nouveau paysage du commerce international.

L’AEUMC aura un effet sur les chaînes d’approvisionnement à travers l’Amérique du Nord. Plusieurs mesures doivent être prises immédiatement par les sociétés afin de se préparer aux risques affectant la chaîne d’approvisionnement. Par exemple, nous recommandons un examen des règles d’origine de l’AEUMC applicables à vos produits. Ces règles d’origine pourraient différer de celles prévues à l’ALÉNA, sur lesquelles vous vous fondez actuellement, ce qui pourrait nécessiter un changement stratégique dans les intrants ou la production.

Nous publierons des analyses plus approfondies des principaux éléments de cet accord au cours des prochains jours et des prochaines semaines mais, entre-temps, voici un bref sommaire des dispositions suscitent les discussions  :

Augmentation de l’accès des Américains aux industries soumises à la gestion de l’offre; élimination des prix des classes de lait 6 et 7

  • Le Canada a convenu d’accorder un accès accru aux principales industries soumises à la gestion de l’offre.
  • Le plus publicisé est l’ouverture dans le marché canadien des produits laitiers d’un contingent additionnel de 3,6 % pour les fournisseurs américains ainsi que l’élimination absolue de la stratégie de prix de la classe 7 visant la restriction des importations de lait écrémé.
  • Cette augmentation des contingents correspond grosso modo aux concessions faites aux États-Unis en vertu du PTP. Les prix de la classe 7 étaient considérés comme un irritant majeur pour l’administration Trump, et ce, même si son effet global était mineur.
  • Tout aussi important, le Canada a fait des concessions significatives en élargissant l’accès aux marchés des œufs, de la dinde, du poulet, des œufs d’incubation de poulet à chair et des poussins.
  • Alors que cette mesure fait manifestement l’objet d’opposition des producteurs nationaux, elle devrait contribuer à réduire les prix de certains aliments de consommation de base. Le gouvernement du Canada a également annoncé que les agriculteurs soumis à la gestion de l’offre seraient indemnisés pour cette augmentation des contingents.
  • D’un autre côté, le Canada a augmenté son accès aux marchés américains de sucre raffiné, de produits contenant du sucre et de certains produits laitiers (y compris le fromage, la crème, les boissons lactées et le beurre).

Taxe de vente : Augmentation des seuils de minimis

  • Bonne nouvelle pour les acheteurs canadiens: grâce à l’augmentation des seuils de minimis, les consommateurs n’auront pas à payer de droits de douane ou de taxes sur les produits importés dont la valeur totale est inférieure à 40 $.
  • Ce seuil représente un délicat équilibre entre les consommateurs et les commerçants. Le niveau de minimis précédent de 20 $ n’avait pas été augmenté en plus de 40 ans. Cette augmentation facilitera les opérations de commerce électronique pour les consommateurs canadiens. Ceci dit, l’augmentation du seuil est beaucoup moindre que celle de 800$US exigée par les négociateurs américains.

Exigences de contenu nord-américain pour les automobiles plus élevées qu’en vertu de l’ALÉNA

  • L’exigence de contenu en valeur régionale figurant dans les règles d’origine relatives aux produits automobiles augmente, et passe de 62,5 % (prévue par l’ALÉNA) à 75% en vertu de l’AEUMC. Cette augmentation de 20 % du contenu régional ajoutera au coût des véhicules en Amérique du Nord et augmentera les coûts de conformité pour la plupart des fabricants.
  • De plus, l’AEUMC introduit une exigence relativement nouvelle – l’admissibilité d’une automobile aux fins des règles d’origine nécessitera que 30 % des coûts de main-d’œuvre (relatifs aux coûts de fabrication, d’assemblage, de recherche et développement et de technologies de l’information) soient engagés par des travailleurs gagnant au moins 16 $ l’heure. Ce pourcentage sera augmenté jusqu’à 40 % d’ici 2023. Il s’agit manifestement d’un « gain » pour les travailleurs du secteur manufacturier aux États-Unis et au Canada, qui risque par contre d’entraîner des prix plus élevés pour les consommateurs.

Le Canada « récupère le contrôle » de l’énergie

  • Les restrictions à l’exportation de produits énergétiques prévues au chapitre 6 de l’ALÉNA ont été éliminées dans l’AEUMC. Initialement incluses dans l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis et répétées dans l’ALÉNA, ces dispositions de proportionnalité limitaient la capacité du Canada de restreindre ses exportations de pétrole et de gaz vers les autres pays de l’ALÉNA, garantissant ainsi aux États-Unis un niveau d’accès à ces ressources.
  • Ces mesures limitatives ont été imposées aux termes de l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis à la demande des États-Unis suite à la mise en œuvre par le Canada de la Politique nationale de l’énergie dans les années 1970. Depuis, les États-Unis dépendent moins des ressources énergétiques canadiennes, de sorte que l’élimination du chapitre 6 de l’ALÉNA est devenue politiquement acceptable pour toutes les parties.

Le Chapitre 11 de l’ALÉNA considérablement atténué – Règlement des différends entre investisseurs et États

  • Sans doute l’une des dispositions les plus mal comprises de l’ALÉNA, le chapitre 11 encourageait l’investissement transfrontalier en assurant la protection des droits des investisseurs et l’accès pour les investisseurs à un arbitrage impartial et contraignant. Ces dispositions sont maintenant énoncées au chapitre 14 de l’AEUMC.
  • Le Canada conservera un tel mécanisme avec le Mexique, puisque les deux pays sont partis au PTP, lequel comporte un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États. Toutefois, le mécanisme du chapitre 11 entre le Canada et les États-Unis a été presque entièrement éliminé, à l’exception de certaines réclamations relatives à des investissements déjà faits (soit les investissements antérieurs à l’entrée en vigueur de l’AEUMC). Le consentement des parties de permettre en vertu du chapitre 14 de l’AEUMC l’arbitrage des réclamations fondées sur des investissements antérieurs expire trois ans après la résiliation de l’ALÉNA.
  • Historiquement, les États-Unis ont été considérés comme le principal « bénéficiaire » du chapitre 11 puisqu’aucun investisseur ayant poursuivi les États-Unis en vertu du chapitre 11 n’a eu gain de cause, alors que les investisseurs américains ont un bilan de gains raisonnable contre le Canada et le Mexique. La conservation de la protection des investissements avec le Mexique conjuguée à la perte de cette protection avec les États-Unis est considérée par certains comme un « gain ». En effet, les investisseurs canadiens continuent de bénéficier de protection dans un contexte d’investissement relativement « risqué » tandis que le gouvernement du Canada, cible relativement fréquente des litiges liés au chapitre 11, ne risque plus d’être poursuivi par les entreprises américaines.
  • Toutefois, ce changement relève d’une incompréhension de l’objet du chapitre 11 – son utilité principale consistait à garantir aux investisseurs que leurs investissements seraient traités équitablement et protégés. Certaines mesures prises par les gouvernements provinciaux ont démontré que cette garantie est effectivement nécessaire pour certains types d’investissement.
  • Il faut mentionner que les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États demeurent en place entre le Mexique et les États-Unis, à l’égard de certains secteurs seulement, notamment les télécommunications, l’énergie et le transport. Ces réclamations font l’objet d’un cadre de règlement des différends modifié, énoncé à l’annexe 14-D de l’AEUMC.
  • Les investisseurs pourraient envisager de faire des investissements par l’intermédiaire d’autres filiales ou membres du même groupe afin de continuer de bénéficier de l’arbitrage contraignant entre investisseurs et États.

Élargissement de l’exception relative à la sécurité nationale

  • La nouvelle exception relative à la sécurité nationale prévue à l’article 32.2 de l’AEUMC énonce que rien dans l’Accord n’empêche une partie d’appliquer des mesures qu’elle considère nécessaires pour la protection de ses propres intérêts essentiels en matière de sécurité.
  • Contrairement à l’ALÉNA (article 2102) ainsi qu'à l’exception de sécurité de l’OMC (article XXI du GATT 1994), l’AEUMC n’exige nullement que de telles mesures soient liées au trafic d’armes, à la non-prolifération des armes nucléaires ou qu’elles soient appliquées en temps de guerre ou en cas de grave tension internationale.
  • L’affaiblissement des limites applicables à l’utilisation de l’exception de sécurité nationale reflète vraisemblablement les tentatives accrues de l’administration Trump de justifier davantage de mesures protectionnistes pour des motifs de sécurité nationale.

Négociations d’un ALE avec des pays ne pratiquant pas l’économie de marché

  • L’article 32.10 de l’AEUMC prévoit que si une partie conclut un accord de libre-échange (« ALE ») avec un pays ne pratiquant pas l’économie de marché, les autres parties peuvent résilier l’AEUMC suivant un préavis de six mois et le remplacer par un accord bilatéral.
  • Certains considèrent cette mesure comme un avertissement des États-Unis envers le Canada et le Mexique de ne pas négocier d’accord de libre-échange avec la Chine, ou à tout le moins de le faire avec prudence.
  • Dans les faits, cette disposition risque d’être peu utile, puisque l’AEUMC prévoit que toute partie peut, à tout évènement, décider de se retirer de l’AEUMC suivant un préavis de six mois aux autres parties.
  • Cette clause a probablement pour but d’assurer que le Canada examine attentivement toute concession lors de négociations avec la Chine et s’assure que des protections convenables soient mises en place pour protéger l’intégrité du marché nord-américain.

Chapitre 19 – Gain canadien en matière de règlement des différends?

  • Au cours des années 1980, il y avait des doutes considérables quant à l’intégrité des mécanismes d’examen internes aux États-Unis pour la révision des déterminations de droits antidumping et compensateurs, généralement considérés comme insuffisants et favorisant les industries américaines.
  • Par conséquent, le chapitre 19 est devenu un point de non-retour pour le gouvernement Mulroney. Son inclusion dans l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis fut un gain majeur pour le Canada et ses exportateurs, quoiqu’une l’élimination des recours commerciaux dans la zone de libre-échange aurait pu être une meilleure solution. Ce chapitre faisait en sorte que toutes les révisions des décisions rendues en matière de droits antidumping et compensateurs pouvaient être effectués par un groupe impartial d’experts indépendants.
  • Les groupes spéciaux ont été utilisés fréquemment dans les conflits du bois d’œuvre entre le Canada et les États-Unis et ont été considérés comme essentiels pour l’application par les États-Unis de règles et de normes de commerce international appropriées.
  • Le chapitre 19 est devenu une source majeure de conflits entre les deux parties, l’administration Trump étant particulièrement hostile au maintien de son existence sous quelque forme.
  • Le maintien du chapitre 19 (maintenant le chapitre 10 de l’AEUMC), plus ou moins intact, constitue une victoire politique majeure pour le Canada et le gouvernement Trudeau.

Augmentation de la protection des brevets et des droits d’auteur

  • L’AEUMC reproduit en grande partie les dispositions que les États-Unis réclamaient dans le PTP, notamment l’ajout d’une période additionnelle de 20 ans aux droits d’auteur (soit la vie de l’auteur plus 70 ans), ce qui constitue une victoire pour les titulaires de droits, mais pourrait entraîner des coûts plus élevés pour les consommateurs.
  • Le Canada a fait une concession majeure relativement aux produits pharmaceutiques biologiques, soit les produits pharmaceutiques fabriqués à partir de composés biologiques, et non les produits à petites molécules. Le Canada, au moyen d’une politique de Santé Canada et des autres accords commerciaux, avait procuré une protection des données de 18 ans, limitant la capacité par les fabricants de médicaments génériques d’utiliser les données des innovateurs pour justifier l’approbation de leurs propres versions identiques. Cette protection a été augmentée à 10 ans. Une augmentation de deux ans peut sembler mineure, mais elle sera extrêmement utile aux sociétés innovatrices et contribuera à stimuler la recherche et développement. Elle pourrait également faire augmenter les prix de ces produits.
  • L’AEUMC comprend aussi des dispositions portant sur les indications géographiques – des droits qui garantissent que seuls les produits fabriqués à certains endroits et selon certaines méthodes peuvent porter des appellations, par exemple « Tennessee whiskey », « Tequila » et « Mezcal ».

Préservation de la protection culturelle pour les médias canadiens

  • Les dispositions de l’ALÉNA limitant la propriété étrangère des médias canadiens, notamment des journaux, des stations de télévision et des réseaux de télévision, demeurent.
  • Il existe toujours un flou quant à l’application de ces exemptions dans l’espace numérique.

Les tarifs sur l’acier et l’aluminium demeurent inchangés

  • Le 31 mai 2018, les États-Unis ont annoncé la mise en place de tarifs en vertu de l’article 232 de la Trade Expansion Act of 1962, contre les importations d’acier et d’aluminium provenant du Canada et du Mexique. Le Canada a rapidement annoncé des tarifs en représailles. Cette ronde de tarifs « œil pour œil » a porté ombrage à l’ensemble des renégociations de l’ALÉNA.
  • L’AEUMC ne renferme aucune disposition d’abrogation ou d’atténuation de ces tarifs sur l’acier et l’aluminium.
  • Toutefois, selon des rumeurs persistantes, les parties ont convenu que ces tarifs seront réduits ou éliminés après la signature de l’AEUMC.

Exemption obtenue pour les exportations de l’industrie automobile canadienne

  • Contrairement aux tarifs sur l’acier et l’aluminium, l’AEUMC répond directement à la menace d’imposition de tarifs similaires en vertu de l’article 232 (sécurité nationale) à l’industrie de l’automobile. Les tarifs faisant l’objet des menaces du Président Trump correspondaient à des droits de 25 % pour un secteur représentant plusieurs milliards de dollars, de sorte que cette concession soulage une pression majeure sur les intérêts canadiens et mexicains.
  • Le Canada a obtenu une exemption de tout tarif futur imposé en vertu de l’article 232 sur (1) les véhicules de passagers jusqu’à concurrence de 2,6 millions par année, (2) sur tous les camions légers et (2) sur les pièces jusqu’à concurrence de 32,4 milliards de dollars US.
  • Ces montants sont supérieurs à la capacité actuelle d’expédition entre le Canada et les États-Unis et offrent un potentiel de croissance considérable au cours de la prochaine décennie.
  • Cette mesure représente à la fois un gain et une perte pour le Canada. Concrètement, cette mesure consacre une position privilégiée pour les véhicules canadiens sur le marché américain et protège le Canada contre les actes d’une administration américaine imprévisible. D’ailleurs, les exigences de contenu accrues susmentionnées devraient encourager les fournisseurs de pièces qui dépendent de la capacité de l’industrie automobile de situer la production d’un côté ou de l’autre de la frontière. Par ailleurs, même si la concession canadienne est mineure sur le plan pratique, elle envoie possiblement le message non-souhaité que l’intimidation unilatérale peut engendrer des résultats à la table de négociation.
  • L’AEUMC ne saurait être considéré comme mettant fin à la menace que représentent les États-Unis pour l’ordre du commerce international traditionnel. D’ailleurs, comme il a été mentionné, l’AEUMC semble avoir élargi la portée de l’exception relative à la sécurité nationale.

Examen et prolongation de la durée

  • L’AEUMC ne prévoit pas de « clause crépusculaire », du moins pas comme celle que le Président Trump a tenté d’imposer pendant les négociations. Toutefois, l’AEUMC inclut des modalités de révision et de prolongation.
  • En bref, la durée initiale de l’AEUMC de 16 ans est assortie d’un processus complexe d’examen et de prolongation. Particulièrement, une commission conjointe composée de représentants de chaque partie entamera un « examen conjoint » de l’application de l’Accord après six ans. Selon ce processus d’examen, le chef du gouvernement de chaque partie sera tenu d’indiquer s’il désire prolonger l’Accord pour une durée supplémentaire de 16 ans.
  • Si toutes les parties indiquent qu’elles désirent maintenir l’Accord, l’AEUMC est renouvelé pour une période additionnelle de 16 ans, soumis à un nouvel examen conjoint après six ans.
  • Si l’une des parties est dissidente, les parties entameront immédiatement la révision et les négociations en vue d’une prolongation. Ces négociations se poursuivront jusqu’à l’expiration de l’Accord. Si les parties concluent un accord, l’AEUMC sera renouvelé sous réserve de toute modification requise par les parties.

À venir ?

Cet accord illustre de façon générale l’intention du Canada, des États-Unis et du Mexique de maintenir leur engagement envers le libre-échange. L’AEUMC pourrait être signé avant le 1er décembre, mais il doit encore être soumis au Congrès américain pour une période d’examen obligatoire de 60 jours.

Au cours des prochains jours et des prochaines semaines, le Groupe du droit du commerce et de l’investissement internationaux de McCarthy Tétrault procurera de plus amples renseignements sur ces secteurs et vous donnera des indications pour vous aider, vous et votre société, à maximiser les occasions et à répondre aux menaces découlant du remplacement de l’ALÉNA par l’AEUMC.

 

Sources

Énergie : https://www.thestar.com/opinion/contributors/thebigdebate/2018/06/18/should-canada-give-up-on-nafta-yes.html

Culture/médias : https://www.cbc.ca/news/politics/nafta-culture-politics-1.4822117

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