Esclavage moderne : Sécurité publique Canada apporte des modifications importantes à ses lignes directrices relatives à la Loi sur les chaînes d’approvisionnement
Le 15 novembre 2024, Sécurité publique Canada (« SPC ») a publié une nouvelle version de ses lignes directrices (les « Lignes directrices ») relatives à la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement (la « Loi sur les chaînes d’approvisionnement »), qui contient des changements importants dans son interprétation du champ d’application de l’obligation de déclaration et de nouveaux renseignements sur le contenu et la remise des rapports.
Comme indiqué dans notre Avis aux clients [available in English only] publié lors de l’adoption initiale de la Loi sur les chaînes d’approvisionnement en 2023, cette loi impose une obligation de grande portée aux entreprises ayant un lien avec le Canada de rendre compte des mesures qu’elles ont prises au cours de leur exercice précédent pour lutter contre le risque de recours au travail forcé ou au travail des enfants dans leur chaîne d’approvisionnement. Les Lignes directrices ont été publiées pour la première fois le 20 décembre 2023 afin d’aider les entreprises à interpréter la Loi sur les chaînes d’approvisionnement, compte tenu du caractère général du libellé de la législation elle-même. Toutefois, comme nous l’avons indiqué dans nos précédents Avis aux clients sur les Lignes directrices (accessibles ici et ici, en anglais seulement), malgré les révisions ultérieures, les Lignes directrices ont continué à laisser en suspens un certain nombre de questions sur la manière dont la Loi sur les chaînes d’approvisionnement s’applique aux entreprises.
Les dernières modifications apportées aux Lignes directrices tentent de répondre à certaines de ces questions en suspens. Comme indiqué dans notre dernier Avis aux clients sur le sujet [available in English only], SPC a engagé des discussions avec les parties prenantes sur la manière d’améliorer les Lignes directrices en fonction de l’expérience acquise au cours de la première année de mise en œuvre de la Loi sur les chaînes d’approvisionnement. En mettant à jour les Lignes directrices, SPC a cherché à intégrer certains de ces commentaires et à fournir des précisions aux entreprises canadiennes sur le champ d’application de leurs obligations de déclaration au titre de la Loi sur les chaînes d’approvisionnement et, le cas échéant, sur le contenu et la présentation de leur rapport. Nous résumons ci-dessous quelques-uns des principaux changements apportés aux Lignes directrices.
1) Champ d’application des obligations de déclaration
Comme de nombreux lecteurs le savent, le test visant à déterminer si une entreprise est soumise aux obligations de déclaration au titre de la Loi sur les chaînes d’approvisionnement comporte deux volets importants : 1) déterminer si l’entreprise tombe sous le coup de la définition d’« entité » au sens de la Loi sur les chaînes d’approvisionnement et 2) déterminer si elle exerce l’une des activités pertinentes énoncées à l’article 9 de la Loi sur les chaînes d’approvisionnement. Les mises à jour des Lignes directrices fournissent des renseignements supplémentaires sur la manière dont ces deux volets du test sont appliqués.
(a) Êtes-vous une « entité »?
Le terme « entité » est défini comme suit dans la Loi sur les chaînes d’approvisionnement :
Personne morale ou société de personnes, fiducie ou autre organisation non constituée en personne morale :
a) soit dont les actions ou titres de participation sont inscrits à une bourse de valeurs canadienne;
b) soit qui a un établissement au Canada, y exerce des activités ou y possède des actifs et qui, selon ses états financiers consolidés, remplit au moins deux des conditions ci-après pour au moins un de ses deux derniers exercices :
(i) elle possède des actifs d’une valeur d’au moins 20 000 000 $,
(ii) elle a généré des revenus d’au moins 40 000 000 $,
(iii) elle emploie en moyenne au moins 250 employés;
c) soit qui est désignée par règlement.
Les alinéas a) et c) de la définition soulèvent rarement des difficultés (en ce qui concerne l’alinéa c), il n’y a toujours pas de règlement adopté en vertu de la Loi sur les chaînes d’approvisionnement). Toutefois, l’interprétation de l’alinéa b) a suscité de nombreuses questions.
La première question à laquelle de nombreuses entreprises sont confrontées en ce qui concerne l’alinéa b) consiste à savoir comment déterminer si elles ont un lien suffisant avec le Canada (c’est-à-dire, si elles ont un établissement au Canada, si elles y exercent des activités ou si elles y possèdent des actifs) pour être soumises aux obligations de déclaration. Deux mises à jour importantes des Lignes directrices aident à interpréter cet aspect de la définition :
- Pour aider à déterminer si une entreprise « exerce des activités au Canada », les Lignes directrices font désormais explicitement référence au Guide de l’Agence du revenu du Canada sur « l’exploitation d’une entreprise au Canada », qui est assez détaillé et fournit des exemples utiles.
- Pour déterminer si une organisation est considérée comme « possédant des actifs au Canada », les Lignes directrices précisent désormais que les actifs se limitent aux « actifs corporels » et n’incluent pas les actifs incorporels tels que la propriété intellectuelle, les titres et le goodwill. Cela permettra d’apaiser les inquiétudes des entreprises étrangères dont les seuls « actifs » au Canada sont des participations dans des sociétés canadiennes et qui craignaient que ces titres puissent être considérés comme des actifs au Canada aux fins de la définition d’entité.
La deuxième question à se poser lors de l’examen de l’alinéa b) consiste à savoir si votre entreprise atteint ou non les seuils financiers pertinents. La substance des Lignes directrices sur cet aspect du test demeure largement inchangée : les organisations mères sont censées utiliser des états financiers qui comprennent les chiffres globaux, les actifs bruts et les bénéfices pour elles-mêmes et leurs filiales afin d’évaluer si les seuils applicables sont atteints (c’est-à-dire, des états consolidés). Les filiales, quant à elles, doivent évaluer leurs propres états financiers séparément de ceux de leur entité mère afin de déterminer si une filiale est soumise à l’obligation de déclaration (indépendamment du fait que l’entité mère le soit ou non). Le seul changement significatif concerne ce qui doit être inclus dans le calcul de la valeur des actifs aux fins du seuil prévu au sous-alinéa b)(i). Les Lignes directrices mises à jour prévoient désormais que seuls les actifs « corporels » doivent être utilisés pour ce calcul, et que les actifs incorporels tels que la propriété intellectuelle, les titres et le goodwill doivent être exclus.
(b) Exercez-vous l’une des activités pertinentes?
Si une entreprise est une « entité » au sens des articles 9 et 11 de la Loi sur les chaînes d’approvisionnement, elle est soumise à l’obligation de déclaration, dans la mesure où elle exerce au moins une des activités énumérées. Plus précisément, l’article 9 de la Loi est libellé comme suit :
La présente partie s’applique à toute entité qui, selon le cas :
a) produit, vend ou distribue des marchandises, au Canada ou ailleurs;
b) importe au Canada des marchandises produites à l’extérieur du Canada;
c) contrôle l’entité qui se livre à une activité décrite aux alinéas a) ou b).
Notons que les mises à jour des Lignes directrices indiquent clairement que SPC entend interpréter l’alinéa 9a) de manière restrictive afin d’exclure la vente et la distribution de biens du champ d’application de l’obligation de déclaration. Les Lignes directrices prévoient expressément ce qui suit :
Les entités qui s’occupent uniquement de distribution et de vente ne sont pas tenues de produire une déclaration en vertu de la [Loi sur les chaînes d’approvisionnement]. Sécurité publique Canada ne cherchera pas à prendre de mesures d’application de la Loi dans ces cas.
Cette mise à jour des Lignes directrices rassure les entreprises qui vendent et distribuent des biens, mais sans en produire ou en importer, en leur indiquant que, malgré le libellé de la disposition législative, SPC n’attend pas d’elles qu’elles produisent un rapport.
SPC a également revu son interprétation de la notion d’« importation » au sens de l’alinéa 9b). Les Lignes directrices indiquaient précédemment que l’importation au sens de la Loi sur les chaînes d’approvisionnement était limitée aux entreprises qui déclaraient des marchandises en vertu de la Loi sur les douanes (c’est-à-dire, l’importateur officiel). Toutefois, les mises à jour des Lignes directrices sont venues moduler cette interprétation, en indiquant que la notion d’importation vise le « véritable importateur qui a en réalité causé l’importation des marchandises au Canada ». Cette interprétation plus ambiguë pourrait s’avérer plus difficile à appliquer pour les entreprises et semble élargir le champ des activités susceptibles de déclencher l’obligation de déclaration.
Quant à l’alinéa 9c), la notion de contrôle au sens de la Loi sur les chaînes d’approvisionnement est ouverte. Les Lignes directrices indiquaient déjà que les normes comptables (comme les principes comptables généralement reconnus) sont utiles pour déterminer si une entité en contrôle une autre. Les mises à jour ajoutent également une référence précise aux consignes du Bureau du surintendant des institutions financières sur le contrôle, lesquelles fournissent des précisions au sujet des facteurs utilisés pour établir le contrôle de fait dans un tel contexte.
Enfin, en ce qui concerne les activités en cause, les Lignes directrices précisent que SPC n’interprète pas l’article 9 comme s’appliquant aux « transactions très mineures ». Les mises à jour des Lignes directrices développent ce point en précisant que ces transactions doivent être « interprétées conformément aux principes de minimis généralement acceptés et évaluées dans le contexte des activités de chaque entité ». La notion de « transactions très mineures » est donc propre à chaque entreprise et doit être examinée au cas par cas.
2) Contenu et remise des rapports
Outre les changements à l’interprétation du champ d’application de l’obligation de déclaration au titre de la Loi sur les chaînes d’approvisionnement, les Lignes directrices mises à jour fournissent également des renseignements supplémentaires sur l’obligation de déclaration elle‑même.
L’une des principales préoccupations de nombreuses entreprises lors du dépôt de rapports était de savoir si elles étaient tenues de faire état d’allégations précises liées au travail forcé ou au travail des enfants ou de divulguer des informations susceptibles d’engager leur responsabilité. Les Lignes directrices mises à jour sont rassurantes à cet égard et précisent que les entités « ne sont pas tenues de signaler des cas ou allégations spécifiques de travail forcé ou de travail des enfants ». En outre, les Lignes directrices indiquent que l’obligation de déclaration n’exige pas des entreprises qu’elles divulguent des renseignements susceptibles d’engager leur responsabilité, en énonçant très clairement que les entreprises ne doivent pas « divulgue[r] de renseignements personnels ou commercialement sensibles qui pourraient créer un risque juridique ou compromettre la vie privée de quiconque ».
Les révisions des Lignes directrices apportent également de nouvelles précisions concernant les documents à fournir dans le cadre des déclarations, dont les éléments suivants :
- La formulation d’attestation fournie dans les Lignes directrices constitue un exemple du libellé d’une attestation d’un rapport, mais elle peut être modifiée au besoin en fonction du dépôt en cause.
- Bien que les signatures manuscrites et électroniques soient toutes deux acceptables pour SPC, la simple mention « Signé » dans le bloc de signature du rapport ne suffit pas.
- Une entité tenue de communiquer un rapport à ses actionnaires peut le faire en utilisant les « moyens de livraison standard », précision qui pourrait s’avérer utile aux entreprises qui n’étaient pas sûres de l’interaction entre l’exigence de communiquer ces rapports aux actionnaires et les autres obligations d’information applicables en matière de valeurs mobilières.
Les Lignes directrices mises à jour décrivent également certaines fonctionnalités supplémentaires intégrées dans le système d’acceptation des rapports de SPC. Plus précisément, des courriels de confirmation seront désormais transmis aux entreprises à la réception d’une déclaration, et les entreprises pourront télécharger une copie de leurs réponses au questionnaire qui est rempli lors du dépôt du rapport à des fins d’archivage. Enfin, les Lignes directrices mises à jour précisent que SPC acceptera les révisions des rapports jusqu’à un an après la date limite de présentation des rapports.
3) Conclusion
À l’heure où les entreprises se préparent à la prochaine ronde de déclarations, il est impératif qu’elles examinent attentivement les nouvelles Lignes directrices afin de s’assurer de bien comprendre les attentes de SPC. Bon nombre d’entre elles constateront vraisemblablement que les mises à jour auront une incidence sur leur décision quant à savoir si elles doivent ou non déposer un rapport. Cette analyse doit être effectuée plus tôt que tard afin de disposer de suffisamment de temps pour préparer le rapport, le cas échéant. Certaines entreprises qui avaient déjà soumis un rapport pourraient déterminer qu’elles ne sont plus tenues de le faire à la lumière des dernières révisions des Lignes directrices, tandis que d’autres entreprises qui n’ont pas produit de rapport auparavant pourraient maintenant conclure qu’elles entrent dans le champ d’application et qu’elles doivent préparer et soumettre leur rapport avant la date limite de l’année prochaine, à savoir le 31 mai 2025.
Le Groupe du droit du commerce et de l’investissement international de McCarthy Tétrault a conseillé un grand nombre de clients de différents secteurs au sujet de la Loi sur les chaînes d’approvisionnement et ses membres cumulent une vaste expérience quand il s’agit d’aider les clients à élaborer des stratégies et des politiques en matière d’esclavage moderne et, plus généralement, de conformité en ce qui a trait à leur chaîne d’approvisionnement. Nous demeurerons à l’affût et continuerons à rendre compte des nouveautés dans ce domaine. Notre Guide sur les obligations de déclaration sera également mis à jour pour tenir compte de ces nouvelles lignes directrices administratives, qui seront publiées prochainement.