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S’agit-il réellement d’intelligence artificielle? Législation émergente sur le blanchiment à l’intelligence artificielle

Cette publication fait partie de notre série Perspectives sur l’intelligence artificielle, rédigée par le groupe du droit de l'IA de McCarthy Tétrault – vos partenaires de choix pour vous aider à mieux vous y retrouver dans cet environnement complexe et dynamique. Cette série vous présente des perspectives pratiques et intégratives sur la façon dont l'IA transforme les secteurs industriels, et vous explique comment vous pouvez garder une longueur d'avance. Vous pouvez consulter les autres publications de cette série en cliquant ici ou en visitant notre page Web consacrée à l'intelligence artificielle en cliquant ici.

 

L’intelligence artificielle (« IA ») fait son entrée dans une grande variété de produits, services et modèles commerciaux. Vous avez probablement vu des publicités de produits intégrant l’IA, par exemple pour des ordinateurs portables, des réfrigérateurs et peut-être même des mangeoires à oiseaux. Les services alimentés par l’IA sont également de plus en plus répandus. On trouve aujourd’hui des publicités pour divers services d’investissement qui prétendent utiliser de nouveaux modèles et algorithmes d’apprentissage fondés sur l’IA. Lorsqu’il est confronté à un nouveau produit ou service d’intelligence artificielle, le consommateur avisé se demande souvent comment l’intelligence artificielle est utilisée. Il n’est pas toujours facile de répondre à cette question. Lorsqu’une affirmation franchit la ligne de la déclaration fausse ou trompeuse, il est possible de conclure que cette affirmation a fait l’objet d’un « blanchiment à l’IA ».

Le blanchiment à l’IA désigne la pratique consistant à faire de la publicité mensongère ou utiliser exagérément l’IA dans les produits et les services afin d’attirer les investissements ou les consommateurs. Un exemple non précis de « blanchiment à l’IA » consisterait à annoncer un produit comme étant fondé sur l’IA ou alimenté par l’IA, alors qu’en réalité, le produit utilise à peine quelques fonctions d’IA et des algorithmes de base, ou que l’apprentissage automatique, et non l’IA, a été mis à profit. Autrement dit, ce serait aussi du « blanchiment à l’IA » que d’exagérer la fonctionnalité de l’IA dans un produit, un service ou un modèle d’entreprise. En résumé, le blanchiment à l’IA consiste à survendre les fonctionnalités d’IA d’un produit ou d’un service ou à faire des promesses irréalisables à cet égard pour susciter un intérêt et profiter de l’engouement actuel pour les développements et les investissements dans le domaine de l’IA.

Le blanchiment à l’IA est essentiellement une version IA de l’« écoblanchiment », qui est une pratique similaire où on exagère ou annonce faussement la durabilité environnementale ou l’empreinte carbone d’un produit ou d’un service. L’écoblanchiment est une pratique dont de nombreux Canadiens ont déjà entendu parler, puisqu’elle a vu le jour dans les années 1980 et qu’elle a été réglementée plus rigoureusement au 21e siècle, alors que l’intérêt pour les produits et les investissements durables connaissait une croissance. La Loi sur la concurrence du Canada a été récemment modifiée afin d’y introduire des dispositions sur l’écoblanchiment[1].

Aux États-Unis, une nouvelle loi sur le blanchiment à l’IA a été établie. En mars 2024, la Securities and Exchange Commission (« SEC ») a publié deux mesures d’application à l’encontre de sociétés de conseillers en investissement pour avoir fait des déclarations fausses et trompeuses sur leur prétendue utilisation de l’IA. Les deux mesures d’application prises par la SEC se fondent sur le fait que les deux entreprises ont trompé leurs clients et clients potentiels en décrivant des utilisations de l’IA dans des documents de promotion qui n’étaient pas véridiques. Plus précisément, les ordonnances de la SEC ont pris en compte des déclarations des entreprises faites dans les dossiers de la SEC, dans des communiqués de presse et sur leur site Web concernant l’utilisation de l’IA. La SEC a noté dans son communiqué que « le blanchiment à l’IA nuit aux investisseurs », et a dirigé les lecteurs vers son alerte aux investisseurs portant sur l’intelligence artificielle et la fraude en matière d’investissement.

Au Canada, toute future loi ou tout litige portant sur le blanchiment à l’IA relèveraient probablement du droit des valeurs mobilières ou du droit de la concurrence.

Dans le contexte du droit des valeurs mobilières, les obligations de divulgation prévues dans chaque régime provincial de droit des valeurs mobilières permettraient de détecter les déclarations fausses ou trompeuses. Par exemple, les dispositions relatives à la responsabilité civile de la partie XXIII de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario interdisent les fausses déclarations, définies comme des présentations inexactes des faits importants, dans un prospectus, une notice d’offre et des circulaires. Dans cette loi, en vertu du paragraphe 126.2 (1), les déclarations trompeuses ou erronées constituent un délit puisque :

  1. « Une personne ou une compagnie ne doit pas faire de déclaration si elle sait ou devrait raisonnablement savoir :
    1. d’une part, que la déclaration, sur un aspect important et eu égard à l’époque et aux circonstances, est trompeuse ou erronée ou ne relate pas un fait dont la déclaration est requise ou nécessaire pour que la déclaration ne soit pas trompeuse;
    2. d’autre part, qu’il est raisonnable de s’attendre que la déclaration aura un effet significatif sur le cours ou la valeur de valeurs mobilières, de produits dérivés ou du sous-jacent d’un produit dérivé. »

À l’instar du fondement des mesures d’application de la SEC, la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario vise généralement les déclarations trompeuses et fausses tant sur les marchés primaires que les marchés secondaires. Les obligations d’information prévues dans la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario sont très claires et ont été appliquées par le passé dans des cas d’écoblanchiment. On peut donc raisonnablement s’attendre à ce qu’elles soient aussi appliquées aux cas de blanchiment à l’IA.

En fait, la Nova Scotia Securities Commission (« NSSC ») a déjà publié un article sur son site Web en réponse à l’ordonnance récente de la SEC. L’article aborde des préoccupations concernant le blanchiment à l’IA, met en garde les investisseurs contre cette pratique et les informe sur les risques et les préjudices qui y sont associés[2]. On peut en conclure que le blanchiment de l’IA est maintenant une pratique surveillée par la NSSC.

Dans le contexte de la concurrence, le blanchiment à l’IA pourrait être visé par deux éléments de la Loi sur la concurrence : comportement susceptible d’examen (civil) et infractions relatives à la concurrence (criminel). Il s’agit d’un comportement susceptible d’examen en vertu du paragraphe 74.01(1) de la Loi sur la concurrence de donner au public des indications fausses ou trompeuses sur un point important, ou de donner des indications au public, sous la forme d’une déclaration visant le rendement ou l’efficacité d’un produit, qui ne se fondent pas sur une épreuve suffisante et appropriée. C’est également une infraction en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi sur la concurrence de donner au public, sciemment ou sans se soucier des conséquences, des indications fausses ou trompeuses sur un point important aux fins de promouvoir directement ou indirectement soit la fourniture ou l’utilisation d’un produit, soit des intérêts commerciaux quelconques.

Dans la Loi sur la concurrence, les articles 36 et 52 établissent le fondement d’une cause d’action privée pour toute personne qui a subi une perte ou des dommages en raison d’un comportement allant à l’encontre d’une disposition de la partie VI de la Loi. La cause d’action dont il est question ici peut également faire l’objet d’une action collective, ce qui est particulièrement pertinent lorsqu’une perte ou des dommages sont subis par des actionnaires et des investisseurs dans des sociétés cotées en bourse, entre autres situations.

Ces deux interdictions pourraient s’appliquer aux pratiques de blanchiment à l’IA. De telles représentations pourraient être considérées comme « importantes », car la présence et l’utilisation de l’IA sont étroitement liées à la perception d’une augmentation de la valeur du produit, du service ou de l’intérêt commercial. En ce sens, les références à l’IA joueront un rôle important dans le processus décisionnel des consommateurs. Toutefois, le critère d’importance pour les indications fausses ou trompeuses disparaît pour l’objet des courriels en vertu de l’article 52.01 de la Loi sur la concurrence, ce qui entraîne une responsabilité stricte à l’égard du blanchiment à l’IA employé dans les messages électroniques.

Les obligations de divulgation et les interdictions de déclarations fausses ou trompeuses prévues dans les lois canadiennes sur les valeurs mobilières et la concurrence sont les moyens les plus évidents de faire respecter la loi et ainsi de lutter contre le blanchiment à l’IA. Cela est attribuable en partie aux similitudes entre le blanchiment à l’IA et l’écoblanchiment, ainsi qu’à l’historique d’application de la loi dansce domaine. Toutefois, le droit criminel peut également s’appliquer.

Si le blanchiment à l’IA est utilisé pour escroquer les Canadiens, le droit criminel devient une troisième source de droit qui pourrait être utilisée pour lutter contre cette pratique. La fraude est un acte criminel au sens du paragraphe 380(1) du Code criminel, et englobe le fait de frustrer le public ou toute personne de quelque bien, service, argent ou valeur par supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif. La supercherie au cœur du blanchiment à l’IA pourrait très bien exposer une personne ou une entreprise à une poursuite criminelle.

Étant donné toute l’effervescence entourant l’IA, il est tentant de vouloir tirer parti de cet engouement lors de la promotion de nouveaux produits ou services. La technologie de l’IA peut également être assez complexe, et les équipes de commercialisation et de publicité pourraient ne pas bien comprendre la portée (et les limites) d’une intégration de l’IA. Pour les entreprises canadiennes, les récentes mesures d’application de la SEC doivent servir d’avertissement : une loi sur le blanchiment à l’IA pourrait bien se profiler à l’horizon au Canada. Une telle législation pourrait relever du droit des valeurs mobilières, du droit de la concurrence ou, dans les cas extrêmes, du droit criminel. Par conséquent, la meilleure pratique consiste à faire preuve de prudence et à s’assurer que les déclarations relatives à l’IA sont vraies, exactes et corroborées.

L’équipe de McCarthy Tétrault continue de suivre l’évolution de la réglementation et de la législation relatives à l’IA. Pour toute autre question, nous vous invitons à communiquer avec les membres de nos groupes Valeurs mobilières, Concurrence, Technologie ou Cyber/données.

[1] Pour en savoir plus, consultez l’article intitulé Greener on the Other Side: Environmental Amendments to the Competition Act (en anglais seulement).

[2] Nous notons que les obligations en matière de divulgation énoncées dans la loi sur les valeurs mobilières de la Nouvelle-Écosse sont presque identiques à celles de l’Ontario en ce qui a trait aux déclarations trompeuses ou fausses (voir le paragraphe 132B de la Securities Act, RSNS 1989 de la Nouvelle-Écosse).

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