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La preuve, un principe élémentaire en matière d’autorisation d’une action collective

La croyance répandue en matière d’actions collectives reflète l’image de notre juridiction québécoise comme étant un paradis pour tout demandeur à l’étape de l’autorisation. Dans l’affaire Homsy c. Google 2022 QCCS 722[1], la Cour supérieure apporte une nuance importante à cet égard. S’il est vrai que la jurisprudence de la Cour suprême[2] a réitéré le seuil peu élevé afin de permettre l’autorisation d’une action collective, cette récente décision rappelle que l’étape de l’autorisation n’est pas un passe-droit, et que l’étude de la preuve demeure cardinal pour déterminer si le demandeur présente une cause défendable.

Les faits

Le demandeur reproche à Google LLC (ci-après « Google ») d’avoir procédé, depuis octobre 2015, via Google Photos, à l’extraction, à la collecte, à la conservation et à l’utilisation des données biométriques faciales des résidents du Québec, sans fournir de préavis suffisant, sans obtenir le consentement éclairé et sans publier de politiques de conservation des données biométriques.

Au soutien de son action, le demandeur invoque de nombreux articles, notamment, ceux qui ont a trait à la protection du droit à la vie privée et à l’inviolabilité au sens de la Charte des droits et libertés de la personne ainsi que du Code civil du Québec. Le demandeur allègue également plusieurs manquements en matière de protection des renseignements privés en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé. Finalement, le demandeur évoque les articles qui visent les représentations trompeuses en vertu de la Loi sur la protection du consommateur.

Le demandeur poursuit Google afin d’obtenir l’octroi de dommages-intérêts non-pécuniaires pour compenser les inconvénients et l’anxiété subis. Des dommages-intérêts pécuniaires équivalent aux sommes dépensées par les membres du groupe à la suite de l’extraction de leurs données biométriques sont également réclamés. Le demandeur réclame en sus des dommages-intérêts punitifs dans le but de dissuader Google ainsi que d’autres sociétés technologiques d’utiliser intentionnellement ou illicitement l’image de leurs utilisateurs.

Google s’oppose principalement à l’action au motif que le demandeur n’aurait fait la démonstration d’aucune apparence de droit, contrairement à l’article 575 (2) C.p.c.

Précision sur l’état du droit en matière d’apparence de droit

Le juge Donald Bisson débute son analyse par une précision fort importante sur l’état du droit au sujet de l’apparence de droit. S’il est vrai que la Cour ne doit pas se pencher sur le fond du litige au stade de l’autorisation, il serait faux de prétendre que les hypothèses, opinions, spéculations et inférences qui ne sont pas supportées par de la preuve puissent être tenues pour avérées. C’est d’ailleurs sur ce point que repose le cœur de la décision. La Cour rappelle que les allégations générales et imprécises d’une demande introductive d’instance sont insuffisantes afin de satisfaire à la condition préliminaire d’avoir une apparence de droit. Le critère de l’apparence de droit requiert qu’une certaine preuve soit présentée au soutien de la demande. Le seuil peu élevé à l’étape de l’autorisation ne peut pas avoir pour effet de pallier à l’absence de preuve ou de démonstration qu’il y a bel et bien une cause défendable. Ce raisonnement de la Cour supérieure se fonde sur les décisions Oratoire Saint-Joseph, Infineon et Ehouzou[3]

À ce sujet, le juge Bisson fournit des exemples d’allégations qui, sans aucune preuve, ne peuvent être tenues pour avérées :« les défendeurs ont fait un complot pour augmenter le prix de tel produit » ou encore « ma bouilloire ne fonctionne pas, car le fabricant a installé volontairement un élément chauffant défectueux »[4]. Il faut donc qu’une allégation portant sur les agissements d’une partie soit supportée par une certaine preuve.

Également, le juge Bisson souligne que si une allégation portant sur un élément factuel peut généralement être tenue pour avérée, elle ne peut l’être si elle est invraisemblable.

Analyse

La Cour rejette la demande d’autorisation, car aucune preuve n’est présentée au soutien des allégations concernant les agissements de Google. Le juge Bisson note plutôt que les allégations décrivent la théorie de la cause du demandeur, sans plus.

Notamment, la Cour critique certains documents produits par le demandeur, en ce que ceux-ci ne contiennent aucune référence spécifique à Google.

Au surplus, un article présenté par la demande ne saurait constituer une preuve suffisante étant donné que la Cour décrit l’auteur comme une personne « dont on ne sait rien »[5]. L’auteur ne fournirait pas assez de détails spécifiques pour que son article dépasse le stade d’un article d’opinion. La Cour conclut que ce type d’article ne saurait être suffisant pour remplir l’exigence de présenter une certaine preuve, car « [c]onclure autrement signifierait qu’il serait possible de déclencher une action collective sur de simples soupçons ou d’articles d’opinion d’auteurs inconnus et invérifiables »[6].

Conclusion

Cette décision de la Cour supérieure réitère un principe élémentaire à l’effet que le demandeur se doit d’établir une apparence sérieuse de droit, soit une cause défendable soutenue par une certaine preuve. Ainsi, le seuil dit « peu élevé » en matière d’autorisation collective est tout de même un seuil sérieux qui ne saurait être pris à la légère.

Il est à noter que cette décision fait l’objet d’un appel. Il sera donc intéressant de suivre le dénouement de l’instance et bénéficier des enseignements de la Cour d’appel sur la qualité de la preuve qui doit être présentée pour démontrer un caractère défendable du syllogisme juridique. L’approche souple et flexible qui doit être adoptée au stade de l’autorisation d’une action collective sera-t-elle interprétée comme permettant des allégations qui ne supportent pas en soi une cause d’action.

[1]Homsy c. Google, 2022 QCCS 722. Cette décision n’a, pour l’instant, pas été portée en appel.

[2]Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59; Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1; L’Oratoire Saint‑Joseph du Mont‑Royal c. J.J., 2019 CSC 35; Desjardins Cabinet de services financiers inc. c. Asselin, 2020 CSC 30

[3]Ehouzou c. Manufacturers Life Insurance Company, 2021 QCCA 1214, par. 40.

[4]Homsy c. Google, 2022 QCCS 722, para. 20-22.

[5]Homsy c. Google, 2022 QCCS 722, para. 45.

[6]Homsy c. Google, 2022 QCCS 722, para. 47.

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