Nouveaux pouvoirs de vérification proposés par l’ARC : Plus de discrétion, plus de temps pour émettre une nouvelle cotisation, moins de contrôle judiciaire
Le budget de 2024 inclut plusieurs propositions visant à octroyer à l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») des pouvoirs additionnels afin d’obtenir des informations et renforcer le respect des exigences en matière d’information. Les mesures proposées s’appliqueraient aux demandes d’informations en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu[1], de la Loi sur la taxe d’accise et de certaines autres lois fiscales[2].
L’objectif annoncé des modifications proposées consiste à « améliorer l’efficience et l’efficacité des vérifications fiscales et à faciliter la perception des revenus fiscaux en temps opportun[3] ». Cependant, les changements proposés ont pour effet de faire pencher la balance en faveur de l’ARC lorsqu’il s’agit de recueillir des informations auprès des contribuables, et menacent de limiter les protections raisonnables dont disposent actuellement les contribuables pour refuser la communication de renseignements privilégiés et confidentiels[4].
Cet article aborde trois changements majeurs : i) une nouvelle pénalité pour ordonnances d’exécution; ii) un avis de non-conformité; et iii) la possibilité d’interroger sous serment ou affirmation solennelle.
Pénalité pour ordonnances d’exécution
La première modification clé proposée est l’imposition d’une pénalité lorsque le ministre obtient une ordonnance d’exécution.
Actuellement, si une personne ne fournit pas l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents demandés, le ministre peut demander à la Cour fédérale de rendre une ordonnance d’exécution[5].
Lorsqu’elle rend une telle ordonnance, la Cour fédérale dispose déjà d’un large pouvoir discrétionnaire afin d’imposer « à l’égard de l’ordonnance, les conditions qu’il estime indiquées[6] ». Si une personne refuse ou fait défaut de se conformer à une ordonnance, un juge peut la déclarer coupable d’outrage au tribunal et cette personne sera alors assujettie aux procédures et aux sanctions du tribunal l’ayant reconnu coupable[7]. En vertu des Règles des Cours fédérales, un juge peut ordonner qu’une personne reconnue coupable d’outrage soit incarcérée pour une période inférieure à cinq ans jusqu’à ce qu’elle se conforme à l’ordonnance ou peut lui ordonner de payer une amende[8].
En vertu des paragraphes 231.7(6) et (7) proposés, le contribuable serait automatiquement passible d’une pénalité si une ordonnance est émise contre lui parce qu’il ne s’est pas conformé à la Loi. La pénalité :
- ne s’applique que si l’impôt payable par le contribuable pour l’année d’imposition est d’au moins 50 000 $ en ce qui concerne l’ordonnance d’exécution;
- est égal à 10 % du montant total de l’impôt payable par le contribuable pour chaque année d’imposition à laquelle l’ordonnance se rapporte.
La pénalité proposée soulève plusieurs questions. Premièrement, la pénalité proposée ne fait pas la distinction entre les contribuables qui s’engagent dans une non-conformité frivole et les contribuables qui, de bonne foi, font valoir leurs droits contre l’ARC[9]. Par exemple, un contribuable peut invoquer le caractère privilégié d’un document ou ne pas être en mesure d’obtenir les informations demandées. Dans le cadre du régime actuel, les conséquences négatives ne surviennent qu’en cas de défaut de se conformer à une ordonnance d’exécution. Toutefois, en vertu des propositions, un contribuable sera automatiquement assujetti à une pénalité potentiellement élevée. La proposition de pénalité a été critiquée comme étant arbitraire et potentiellement inconstitutionnelle[10].
Deuxièmement, le libellé des dispositions est trop large – la pénalité s’applique à l’ensemble de l’impôt payable pour l’année, plutôt que seulement à l’impôt payable qui se rapporte aux informations demandées par l’ordonnance d’exécution.
Troisièmement, la possibilité d’une pénalité risque d’avoir un effet dissuasif sur la volonté des contribuables à invoquer le caractère privilégié de certains documents. Le risque d’une ordonnance d’exécution survient généralement en cas de litige concernant des documents privilégiés. Les contribuables pourraient désormais se sentir obligés de produire des documents pour lesquels ils auraient autrement invoqué ce privilège. Cela pose des problèmes constitutionnels, puisque la Cour suprême du Canada a statué que le secret professionnel de l’avocat doit être « jalousement protégé » et qu’il a un statut quasi constitutionnel en vertu du droit canadien[11].
Avis de non-conformité
L’article 231.9 proposé donnera à l’ARC le nouveau pouvoir d’émettre un « avis de non-conformité » si elle détermine qu’un contribuable ne s’est pas conformé à une demande de renseignements. Lorsqu’un avis de non-conformité est en suspens :
- la période normale de nouvelle cotisation du contribuable et de chaque personne ayant un lien de dépendance avec le contribuable sera suspendue pour toute année d’imposition à laquelle l’avis se rapporte;
- une pénalité de 50 $ par jour s’appliquera, jusqu’à concurrence de 25 000 $.
Un processus de révision en deux étapes est prévu à l’égard d’un avis de non-conformité: d’abord, une révision est effectuée par le ministre. Ensuite, si une personne n’est pas satisfaite de la décision du ministre, elle peut demander une révision judiciaire par la Cour fédérale.
Cette proposition modifie le rapport de force en donnant à l’ARC des pouvoirs importants sans surveillance judiciaire immédiate. Dans le cadre du régime actuel, l’ARC doit présenter une demande à la Cour fédérale pour obtenir une ordonnance d’exécution. Selon les propositions, l’ARC aurait le pouvoir d’émettre un avis de non-conformité sans autorisation judiciaire. Il appartiendrait alors au contribuable de contester cet avis. Il en résulterait des coûts et des retards importants, pendant que la période de nouvelle cotisation serait suspendue non seulement pour le contribuable, mais aussi pour les personnes avec qui il a un lien de dépendance qui pourraient ne pas savoir que leur période de nouvelle cotisation est également suspendue.
Fournir des informations sous serment ou affirmation solennelle
L’article 231.41 proposé permettra à l’ARC d’exiger des contribuables qu’ils répondent aux demandes de renseignements, par écrit ou oralement, sous serment ou affirmation solennelle, ou par affidavit. Cette disposition s’applique aux mises en demeure ou avis signifiés ou envoyés en vertu des articles 231.1, 231.2 et 231.6.
Cette proposition est très problématique, car elle permet à l’ARC de procéder à un quasi-interrogatoire au préalable par le biais d’un processus dépourvu des garanties procédurales nécessaires et des règles qui régissent normalement les interrogatoires préalables[12]. Par exemple, cette disposition ne prévoit pas d’obligation de notifier la personne à qui les renseignements sont demandés et aucune limite n’est fixée quant au moment et à la manière dont l’interrogatoire se déroulera. Il n’y a pas non plus de précisions sur la manière dont les preuves peuvent être utilisées par la suite dans le cadre d’un litige.
Les contribuables doivent se préparer soigneusement à toute rencontre avec les vérificateurs de l’ARC, demander conseil si nécessaire et répondre à toute question en gardant à l’esprit la possibilité d’un litige ultérieur.
[1] L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la « Loi »); tous les renvois législatifs sont des renvois à la Loi.
[2] La Loi sur le droit pour la sécurité des passagers du transport aérien, L.C. 2009, ch. 9, art. 5; la Loi sur la taxe sur les logements sous-utilisés, L.C. 2002, ch. 5, art. 10; et la Loi sur la taxe sur certains articles de luxe, L.C. 2022, ch. 10, art. 135.
[3] Ministère des Finances, « Budget 2024 Mesures fiscales : Renseignements supplémentaires », p. 35.
[4] Cet article réfère aux contribuables, mais nous relevons que les sections pertinentes peuvent également s’appliquer à des personnes autres que le contribuable.
[5] Paragraphe 231.7(1).
[6] Paragraphe 231.7(3).
[7] Paragraphe 231.7(4).
[8] Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, article 472.
[9] Tax Executives Institute, « Letter to Minister Chrystia Freeland, RE: Budget 2024 Proposal to Expand CRA Audit Powers », 29 mai 2024, p. 7 (« lettre »).
[10] Lettre à la p. 7.
[11] R. c. McClure, 2001 CSC 14, au par. 2; Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), 2004 CSC 31, au par. 17; DODEK, Adam M., « Solicitor-Client Privilege in Canada: Challenges for the 21st Century », Association du Barreau canadien, 14 février 2011, accessible sur SSRN : https://ssrn.com/abstract=1761668 ou https://dx.doi.org/10.2139/ssrn.1761668.
[12] Lettre p. 19-20.