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Nouveau projet de Loi concernant l’expropriation

Le 25 mai 2023, la ministre des Transports a présenté le Projet de loi 22 : Loi concernant l’expropriation visant à remplacer la Loi sur l’expropriation de 1973. L’intention du gouvernement est de moderniser et transformer le cadre procédural de l’acquisition forcée de propriétés privées pour la réalisation de fins publiques, souvent par les villes, et les règles de fixation des indemnités aux propriétaires. Ainsi, par son Projet de loi 22, le gouvernement propose une refonte majeure du droit applicable.

À cet égard, l’introduction du concept de « valeur marchande » a fait grand bruit. Ce changement a été perçu comme une victoire par le milieu municipal et comme un recul du droit des propriétaires d’être indemnisés pour la valeur réelle actuelle et non pour la valeur potentielle de leurs propriétés.

Quoiqu’il soit prématuré d’anticiper l’impact à venir des changements complexes mis de l’avant par le Projet de loi 22, nous pouvons déjà tenter d’en baliser la portée.

Indemnité – des règles détaillées qui vont au-delà de la distinction entre la valeur marchande et la valeur au propriétaire

À première vue, le Projet de loi 22 propose que les indemnités aux propriétaires expropriés soient basées sur les valeurs marchandes des propriétés et non sur leurs « valeurs aux propriétaires », tel que prévu depuis au moins 1973.

Ce faisant, le Projet de loi 22 semble exaucer le souhait mainte fois répété des villes, qui cherchent, sans surprise, à réduire les indemnités versées pour les expropriations sur leurs territoires.

Toutefois, le concept de valeur marchande est strictement encadré. Le Projet de loi 22 ne fait pas référence aux méthodes d’évaluation. Il prévoit plutôt que l’indemnité définitive doit être établie en fonction de l’approche qui, parmi plusieurs, accordera, sauf exception d’intérêt public, la « moindre des indemnités ». Ces approches comprennent le réaménagement d’un immeuble, le déplacement d’une construction, la cessation d’exploitation d’une entreprise, le déménagement et la réinstallation. Dans le cas d’une expropriation où la propriété ne sera pas réaménagée, déplacée, déménagée ou réinstallée, cette approche sera vraisemblablement celle du « coût d’acquisition du droit exproprié ».

Ensuite, le Projet de loi 22 prévoit que les composantes de l’indemnité définitive comprennent l’indemnité immobilière, qui est « constituée de la valeur marchande du droit exproprié » et de toute indemnité de réaménagement, déplacement, déménagement, réinstallation ou fermeture d’entreprise

La définition de « valeur marchande » comprend ses attributs habituels, dont le prix de vente le plus probable à la date d’expropriation, selon l’usage le meilleur et le plus profitable de la propriété sur un marché libre et ouvert à la concurrence.

La notion d’usage le meilleur et le plus profitable demeure donc au cœur de la fixation de l’indemnité pour la valeur actuelle des possibilités futures des propriétés expropriées, plus particulièrement lors d’expropriation de terrains vacants ou qui ne sont pas développés à leurs pleins potentiels.

Le Projet de loi 22 est beaucoup moins laconique que la loi qu’il remplace et cherche à interdire que l’indemnité tienne compte de tout usage qui, à la date de l’expropriation, contrevient à un règlement municipal et n’est pas protégé par des droits acquis. De plus, la concrétisation de tout tel usage doit être probable – et non possible – dans les trois ans qui suivent la date de l’expropriation.

De plus, malgré l’introduction du concept de valeur marchande, lorsque l’usage le meilleur et le plus profitable correspond à celui en cours sur la propriété, le Projet de loi 22 reconnaît que l’indemnité doit comprendre la réparation des préjudices matériels directement causés par l’expropriation et balise cette indemnité par une période de 10 ans suivant le transfert des droits. Dans certaines circonstances, cette indemnité pourra comprendre la perte de bénéfices liés à un projet d’entreprise.

Le Projet de loi 22 comprend aussi des règles détaillées quant aux indemnités fixées dans des contextes de réaménagement, de déplacement, de déménagement, de réinstallation ou de fermeture d’entreprise.

Il est intéressant de noter, qu’en réponse à une décision récente, le Projet de loi 22 plafonne l’augmentation de certaines indemnités pour les pertes d’appréciation des droits expropriés lorsque le transfert de propriété s’opère après un délai fixé à plus de 6 mois après la date de l’expropriation[1]. Un mécanisme similaire plafonne l’indemnité pour inconvénients associés à la durée de la procédure d’expropriation, lorsque le transfert de propriété s’opère après un délai de 18 mois pour un immeuble faisant l’objet d’un droit de réserve, ou après trois ans de la date de l’expropriation pour les autres cas[2].

Le Projet de loi 22 autorise, suite à l’expropriation de résidences, une indemnité d’au plus 20 000 $ pour la valeur personnelle au propriétaire et d’au plus 5 000 $ pour troubles, ennuis et inconvénients.

Procédure – simplification et accélération

Le Projet de loi 22 vise à simplifier la procédure d’expropriation, y compris en réduisant le nombre d’actes juridiques, en précisant de nouveaux délais en favorisant la collaboration entre les parties et en accordant des nouveaux pouvoirs au Tribunal administratif du Québec.

La contestation au droit à l’expropriation demeure juridiction de la Cour supérieure. Toutefois, la demande n’opérera plus sursis de la procédure d’expropriation, à moins d’une ordonnance de la Cour. Tout appel ne sera autorisé que sur permission de la Cour d’appel et devra être entendu par préférence.

Le Projet de loi 22 autorise la réalisation de travaux préparatoires, examens ou analyses par la partie expropriante avant la procédure d’expropriation, avec préavis et sous réserve de la remise en état des lieux et de la réparation de tout préjudice, le cas échéant.

Le Projet de loi 22 prévoit également que les recours en expropriation déguisée se prescrivent trois ans après l’acte municipal, dont une modification au règlement de zonage, par exemple.

Conclusions

L’exercice du pouvoir d’exproprier constitue un droit exorbitant du droit commun par l’atteinte exceptionnelle qu’il porte aux droits des propriétaires. La possibilité d’exproprier ne doit pas être tenue pour acquise, comme la possibilité d’indemniser adéquatement les propriétaires.

Dans ce contexte, les tribunaux ont reconnu que toute loi sur l’expropriation doit recevoir une interprétation large, libérale et compatible avec son objet afin d’indemniser pleinement les propriétaires.

Ce principe, combiné aux faits inévitables que le droit de propriété est reconnu par la Charte des droits et libertés de la personne et que le Code civil du Québec prévoit que toute indemnité doit être juste, devrait pousser les tribunaux qui auront à mettre en œuvre la nouvelle Loi concernant l’expropriation à respecter le principe de la réparation intégrale enchâssé dans notre droit à une indemnité pleine et entière, déterminée de façon juste et équitable.

La réforme actuelle du droit d’expropriation au Québec peut sembler suivre, à certains égards, la trajectoire du droit ontarien de l’expropriation, lequel modifiait en 2020 et 2021 un cadre législatif issu des années 1970, afin d’accélérer la construction de projets d’infrastructures. Le calcul de l’indemnité ne se limite pas qu’à la valeur marchande, mais également à d’autres facteurs qui peuvent sembler analogues à ceux proposés au Projet de loi 22.

Malgré tout, dans sa forme actuelle, le Projet de loi 22 crée plusieurs zones d’ombre, particulièrement en matière d’indemnité. Nous espérons que ces incertitudes et imprécisions seront éclaircies par des débats constructifs à venir entre toutes les parties prenantes.

L’équipe de McCarthy Tétrault continue de suivre de près l’évolution du doit de l’expropriation au Québec. Si vous souhaitez obtenir plus d’informations sur les amendements législatifs à prévoir, nous sommes là pour vous aider. Veuillez communiquer avec les auteurs ou avec les membres du groupe de droit de l’immobilier et de la planification de McCarthy Tétrault pour toute question.

[1]      Article 118.

[2]      Ibid.

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