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Nouvelle LNT: Étude détaillée d'une "nouvelle" disparité

L’entrée en vigueur de la Loi modifiant la Loi sur les normes du travail[1], ayant eu lieu officiellement le 12 juin dernier, alimente nombre de conversations entre spécialistes en ressources humaines, relations industrielles et juristes relativement aux modifications apportées à cette loi d’ordre public. Les modifications analysées plus en profondeur à ce jour concernent davantage les nouvelles dispositions concernant la conciliation travail-famille et celles relatives au harcèlement sexuel en milieu de travail, lesquelles s’inscrivent dans l’objectif du législateur d’offrir une meilleure qualité de vie aux travailleurs, d’une part, ainsi qu’en marge du mouvement planétaire #MeToo, d’autre part.

Il peut ainsi paraitre moins attirant de traiter des modifications législatives liées aux nouvelles restrictions imposées aux employeurs lorsqu’ils ont recours à des agences de placement de personnel, ou du fait que dorénavant, les employés n’auront plus à avoir cinq années de service continu pour obtenir trois semaines de vacances continues, mais plutôt trois ans.

Une modification qui ne devrait cependant pas passer sous l’ombre sied dans la modification de l’article 87.1 de la Loi sur les normes du travail[2], visant les disparités de traitement, et ce, plus précisément à l’égard des droits de participation aux régimes de retraite offerts par l’employeur.

Selon le nouvel article 87.1 LNT, il est désormais interdit à tout employeur de modifier le droit des employés embauchés après une date déterminée de participer au régime de retraite offert par l’employeur ou de bénéficier de certains droits en découlant, et ce, sans affecter pareillement les employés embauchés avant cette date qui effectuent les mêmes tâches dans le même établissement.

En guise d’exemple, illustrons le cas d’un employeur offrant uniquement un régime à prestations déterminées à ses employés, qui souhaite atténuer l’impact financier de ce dernier en créant un régime à cotisations déterminées. Présumant que l’employeur ne peut modifier les droits de participation de ses employés actuels sans leur consentement, ce qu’il n’obtient pas, l’employeur souhaite néanmoins assujettir les nouveaux employés, soit ceux embauchés après une date précise, au régime à cotisations déterminées qu’il a nouvellement créé, et ce, sans également leur permettre de participer au régime à prestations déterminées déjà existant. Les employés existant, détenant le même titre d’emploi dans le même établissement, maintiendront néanmoins leurs droits de participation au régime à prestations déterminées, l’employeur estimant qu’il s’agit d’un droit qui leur est acquis et qu’il ne peut modifier.

Alors que cette situation était récemment considérée comme ne constituant pas une disparité de traitement prohibée par l’article 87.1 LNT[3], la nouvelle terminologie employée par l’article 87.1 LNT est claire : nul ne peut effectuer de distinction fondée uniquement sur une date d’embauche, relativement à des régimes de retraite, qui affecte des salariés effectuant les mêmes tâches dans le même établissement.

La situation susmentionnée sera ainsi désormais considérée comme contraire au nouvel article 87.1 LNT, et tout employé s’estimant lésé disposera désormais d’un recours offert par l’article 121.1 LNT, également de droit nouveau, lequel prévoit que tel employé pourra déposer une plainte auprès de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail dans les 12 mois suivant sa connaissance de l’existence de telle distinction. Une série d’ordonnances, visant à remédier à cette disparité, est également prévue dans la Loi.

Donc, si en 2015 la Cour d’appel[4] considérait que la notion de « salaire » prévue à l’article 87.1 LNT comme motif de distinction prohibée n’englobait pas les droits de participation aux régimes de retraite, le législateur a changé la donne en imposant cet ajout législatif, et en contournant judicieusement les conclusions du plus haut tribunal de la province du Québec.

Il est également à noter que la Loi prévoit que toute modification aux droits de participation aux régimes de retraite effectuée avant le 12 juin 2018 fera l’objet de droits acquis pour les employeurs, écartant de ce fait toute possibilité d’effet rétroactif de ces modifications. Les « clauses orphelins » existant à cette date seront par conséquent maintenues et considérées valides, et ce, malgré les critiques décelées dans les débats parlementaires entourant l’adoption de la Loi, où l’opposition soulevait les contradictions existant entre cette décision et l’objectif même de la Loi, ainsi qu’avec la décision passée d’imposer des modifications rétroactives et non seulement prospectives à certains régimes de retraite existant dans le domaine municipal.

Cela étant, les employeurs n’ayant pas effectué avec empressement les modifications souhaitées aux droits de participation pour les nouveaux employés à l’aube de l’entrée en vigueur de la Loi se trouvent désormais les mains liées par la nouvelle disposition, et ne peuvent traiter des employés qui effectuent les mêmes tâches dans le même établissement différemment à l’égard de ces droits simplement sur la base de leur date d’embauche.

Les employeurs ne seront toutefois pas sans ressources pour modifier et/ou transformer un régime de retraite existant; ils pourront continuer de procéder aux modifications/transformations souhaitées conformément à la Loi sur les régimes complémentaires de retraite[5], laquelle prévoit des modalités précises pour ce faire, ainsi qu’aux dispositions de tout règlement de régime et/ou convention en vigueur. 

Les employeurs avertis devront néanmoins se rappeler que les salariés nouvellement embauchés ne peuvent faire l’objet d’une distinction fondée sur leur date d’embauche en ce qui concerne leur éligibilité au régime de retraite en place chez l’employeur, si les autres employés effectuant les mêmes tâches dans le même établissement ne sont pas également affectés. Il en va de même de leurs droits aux avantages sociaux.

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[1]              Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres dispositions législatives afin principalement de faciliter la conciliation famille-travail, 2018, c. 21 (ci-après, “la Loi”).

[2]              RLRQ, c. N-1.1 (ci-après, « LNT »).

[3]              Voir à cet effet l’arrêt Syndicat des employées et employés professionnels et de bureau, section locale 574, SEPB, CTC-FTQ c. Groupe Pages jaunes Cie, 2015 QCCA 918. La Cour d’appel y déclarait précisément que l’accessibilité aux régimes de retraite ne constituait pas une disparité prohibée au sens de l’article 87.1 LNT (sous son ancien libellé). En effet, la Cour d’appel confirme la décision rendue par l’arbitre Harvey Frumkin et déclare que les droits afférents à un régime de retraite ne constituent pas du « salaire » au sens de la disposition.

[4]              Idem.

[5]              RLRQ, c. R-15.1.

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