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La Cour d’appel de l’Ontario juge discriminatoire l’exigence d’une détention minimale de statut de résidence permanente comme condition d’embauche

Le Canada, de même que le Québec, accueillent, chaque année un nombre croissant de personnes immigrantes dans le contexte notamment d’un important besoin de main-d’œuvre. Le droit de travailler de ces personnes migrantes prend assise en vertu de leur citoyenneté canadienne (éventuelle), de leur résidence permanente, ou encore suivant un programme provincial et/ou fédéral. En lien avec ce qui précède, il est par ailleurs acquis qu’un droit de travailler obtenu en vertu d’un permis travail est de facto temporaire, puisque la permanence du droit de travailler est quant à elle sujette à l’obtention, à tout le moins, de la résidence permanente.

En lien avec ce qui précède, certains employeurs pourraient parfois tentés d’imposer une condition à l’embauche de résidence permanente et/ou de citoyenneté. Cette condition à l’embauche, en vigueur à tout le moins en 2017 chez l’employeur Imperial Oil pour un poste en Ontario, a récemment été débattue dans la récente décision de la Cour d’appel d’Ontario, Imperial Oil Limited c. Haseeb, 2023 ONCA 364.

Analyse de la décision

Les faits sous-jacents à cette affaire peuvent être succinctement résumés comme suit :

  • Muhammad Haseeb, un étudiant en génie mécanique à McGill, est sur le point de compléter sa formation académique ; au terme de la complétion de celle-ci, il sera en mesure de travailler pour un maximum de trois (3) ans partout au Canada, et ce, en vertu du programme fédéral Permis de Travail Post-Diplôme (le « PTPD »);
  • Fait à noter, le PTPD vise et donne l’accès à la résidence permanente canadienne après avoir travaillé pendant un (1) an à temps plein. Ainsi, M. Haseed pourra éventuellement obtenir la résidence permanente, voire la citoyenneté canadienne (qu’il a d’ailleurs obtenues respectivement en 2017 et en 2022);
  • Haseed a reçu une offre conditionnelle d’emploi par Imperial Oil Limited laquelle pose comme condition la détention du statut de résidence permanente. Cette exigence avait d’ailleurs été discutée dans le cadre des entrevues préembauche, mais M. Haseeb a dans ce contexte menti quant à sa situation d’immigration, c’est-à-dire, sa non-détention d’un statut de résidence permanente, par crainte que le poste ne lui soit pas proposé sur la foi de ce motif;
  • Ce n’est que suivant la réception de l’offre d’emploi conditionnelle que M. Haseeb a divulgué son véritable statut (détention anticipée du PTPD) ce qui a entraîné le retrait de l’offre d’emploi;
  • Les faits dans cette affaire ne remettent pas en question l’éligibilité de M. Haseeb au PTPD et son droit imminent de pouvoir travailler légalement pour l’employeur Imperial Oil Limited, le cas échéant.

Ainsi, après s’être vu retirer l’offre d’emploi, M. Haseeb a intenté un recours en vertu du Code des droits de la personne[1] (du « Code ontarien des droits de la personne »), et plus précisément en vertu de son article 5, lequel interdit toute discrimination, directe ou indirecte, en matière d’emploi basée sur les motifs protégés, y compris le motif de citoyenneté.

De son côté, l’employeur Imperial Oil Limited a essentiellement argué que l’exclusion de M. Haseeb n’avait pas trait au motif de citoyenneté, mais plutôt au statut d’immigration, lequel n’est pas protégé par la Code ontarien des droits de la personne. Dans le même ordre d’idées, Imperial Oil Limited a également mis de l’avant que la condition d’emploi attaquée, soit la détention minimale d’un statut de résidence permanente, englobe également la notion de non-citoyen; partant, il serait inadéquat de conclure que la condition d’emploi est discriminatoire en vertu du motif protégé de citoyenneté.

Fait à noter, Imperial Oil Limited n’a par contre en aucun temps mis de l’avant, de façon subsidiaire par exemple, que si la condition visait effectivement la notion de citoyenneté, celle-ci serait à tout égard justifiée au sens du paragraphe 16(1) du Code ontarien des droits de la personne qui aurait pu être l’assise d’une défence eu égard à la condition d’embauche en litige:

«  Par 16 (1) Ne constitue pas une atteinte à un droit, reconnu dans la partie I, à un traitement égal sans discrimination fondée sur la citoyenneté le fait que la citoyenneté canadienne constitue une exigence, une qualité requise ou une considération lorsque la loi impose ou autorise une telle exigence »[2].

En lien avec ce qui précède, la Cour d’appel de l’Ontario a finalement conclu ce qui suit :

  • Les faits révèlent l’existence prima facie de discrimination à l’embauche basée sur la citoyenneté, étant entendu que cette conclusion ne présupposait pas non plus qu’il s’agissait du seul motif, ou même du motif prédominant de discrimination, qui a entraîné le retrait de l’offre conditionnelle d’emploi;
  • Imperial Oil Limited n’a pas été en mesure de renverser cette présomption de discrimination. Dans le même contexte, la Cour d’appel de l’Ontario a rappelé qu’une discrimination partielle d’un groupe protégé est une discrimination tout court;
  • Il n’est pas opportun de discuter de la défense possible en vertu de l’article 16 du Code ontarien des droits de la personne, car Imperial Oil Limited a (stratégiquement) décidé de ne pas le faire.

Parallèles possibles avec le cadre juridique du Québec ?

Le motif protégé de citoyenneté, qui était central dans l’affaire Imperial Oil Limited c. Haseeb, 2023 ONCA 364, n’en est pas un protégé en vertu de la l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne (la « Charte québécoise »)[3].

Cela étant dit, il serait certainement pertinent de voir comment le motif de « condition sociale » protégé par la Charte québécoise serait reçu dans un contexte similaire aux faits discutés ci-haut. En effet, la Commission des Droits de la Personne et des Droits de la Jeunesse a déjà considéré, dans une étude datant de 2011, qu’une discrimination fondée sur un permis de travail pourrait être analysée en vertu de ce motif[4].

Par ailleurs, nous notons qu’il est possible de déceler de certaines discussions issues des tribunaux québécois une intention de promouvoir un système législatif plus inclusif ; par exemple, dans les décisions Henriquez (Re), 2006 CanLII 65957 (QC C.L.P.) et Enriquez c. M.R.N., 2019 CCI 114, des travailleurs sans permis ont pu bénéficier de la protection des lois du travail québécoises, telle que la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[5].

 

[1] Code des droits de la personne (du « C.d.p. »), R.S.O. 1990, c. H.19.

[2] Art. 16 C.d.p.

[3] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, C-12, art. 10.

[4] Commission des Droits de la Personne et des Droits de la Jeunesse, La discrimination systémique à l’égard des travailleuses et travailleurs migrants, Montréal, 2011, p. 48.

[5] Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, R.L.R.Q., chap. A-3.001.

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