Règlement d'une action collective : gare aux disparités entre l'indemnité destinée au représentant et celles destinées aux autres membres du groupe
Dans la récente décision Salazar Pasaje c. BMW Canada inc. dont la permission d’en appeler a été rejetée par la Cour d’appel[1], la Cour Supérieure du Québec approuve l’entente de règlement intervenue entre les parties, à l’exception de la portion du règlement concernant la réclamation individuelle de la demanderesse-représentante du groupe, laquelle prévoyait le paiement d’un montant près de 10 fois plus élevé que celui auquel les autres membres du groupe avaient droit.
Résumé des faits
En 2018, la demanderesse a déposé une action collective pour le compte des propriétaires et des locataires de véhicules BMW contre la défenderesse BMW Canada inc., en raison d’allégations de défauts de sécurité des véhicules qui ont fait l’objet de rappels en 2017. Les parties ont convenu d’un règlement.
L’entente de règlement prévoyait l’octroi aux membres du groupe de crédits et d’indemnités monétaires variant, selon leur situation personnelle, de 141 $ à 977 $ pour les coûts de remplacement de pièces et certaines dépenses admissibles. Quant à la réclamation individuelle de la demanderesse, l’entente prévoyait le paiement d’une somme de 7 103,12 $, représentant les coûts de location d’un véhicule, d’un chauffeur, d’une chambre d’hôtel, de repas et de taxis encourus au cours d’un séjour aux États-Unis lors duquel la demanderesse a appris que son véhicule faisait l’objet d’un rappel. Les parties avaient également prévu que l’entente globale de règlement n’était pas conditionnelle à l’approbation par le tribunal du règlement de la réclamation individuelle de la demanderesse et que toute ordonnance à cet égard n’aurait pas pour effet de résilier ou d’annuler l’entente de règlement.
L’entente de règlement a été soumise à la Cour supérieure pour approbation, après l’autorisation de l’action collective uniquement pour les fins d’un règlement. Or, le mis en cause, le Fonds d’aide aux actions collectives (le « FAAC »), demandait à ce que la Cour rejette la demande d’approbation de l’entente de règlement de la réclamation individuelle de la demanderesse.
Selon le FAAC, la réclamation individuelle de la demanderesse ne pouvait être approuvée en raison du risque sérieux de conflit d’intérêts. Le FAAC prétendait que, par le règlement individuel de sa réclamation, la demanderesse aurait des avantages indus et bénéficierait d’une indemnité additionnelle n’étant pas offerte aux autres membres du groupe.
En réponse, la demanderesse soumettait que le règlement de la réclamation individuelle de la demanderesse ne contrevenait pas à l’article 593 du Code de procédure civile (« C.p.c. »), qui permet de verser une indemnité à un représentant d’une action collective. En second lieu, la demanderesse prétendait conserver son intérêt pour agir en vertu de l’article 589 C.p.c. même si sa créance personnelle devait être éteinte suite au règlement de sa réclamation individuelle.
La décision
D’entrée de jeu, l’honorable Suzanne Courchesne écarte l’application de l’article 589 C.p.c., soulignant que l’enjeu n’est pas celui de déterminer si la demanderesse peut continuer à agir comme représentante suivant l’extinction de sa créance personnelle en raison du règlement concernant sa réclamation individuelle. En fait, il s’agit d’apprécier le caractère juste et raisonnable d’une transaction ainsi que la réclamation individuelle de la représentante du groupe par rapport à l’indemnité à laquelle auront droit les autres membres du groupe.
Ensuite, bien l’article 593 C.p.c. permette qu’un représentant soit autorisé à recevoir une indemnité pour ses débours en frais de justice, cela ne lui donne pas le droit de recevoir des traitements additionnels ou préférentiels, autres que les indemnités offertes aux autres membres du groupe. Dans le cas présent, la demanderesse se verrait accorder, pour sa réclamation individuelle, une somme largement supérieure à celle des autres membres du groupe. Ce faisant, elle n’agit plus dans l’unique intérêt des membres et démontre une apparence de conflit d’intérêts que la Cour ne peut cautionner.
La Cour d’appel, sous la plume de l’honorable Marie-Josée Hogue[2], a rejeté la demande de permission d’appeler de la décision de la Cour supérieure de la demanderesse. Selon la Cour d’appel, la Cour supérieure ne tranche pas la question de savoir si un représentant peut, dans le cadre du règlement global d’une action collective, régler sa propre réclamation selon des termes différents de ceux applicables à l’ensemble des membres. C’est plutôt la disparité entre l’indemnité des membres du groupe et celle de la demanderesse, donnant lieu à une apparence de conflit d’intérêts, que la juge Courchesne, exerçant sa discrétion, a refusé de cautionner.
Analyse
La présente affaire est l’une des rares décisions concernant le cadre légal relatif au règlement de la réclamation individuelle d’un représentant d’une action collective.
La Cour d’appel souligne que le jugement de la Cour supérieure ne tranche pas la question de savoir si le représentant peut, dans le cadre du règlement d’une action collective, régler sa propre réclamation selon des termes différents de ceux applicables à l’ensemble des membres. Les parties qui voudront dans le futur envisager une telle possibilité devront, à tout le moins, s’assurer que, l’indemnité destinée au représentant vise bel et bien à le compenser pour un préjudice personnel subi, ne constitue pas une récompense pour avoir simplement agi à titre de représentant dans le dossier, ce qui est proscrit par l’article 593 C.p.c. et ne semble pas disproportionnée par rapport à l’indemnité prévue pour les autres membres du groupe.
En effet, une disparité importante entre l’indemnité destinée au représentant et celle destinée aux autres membres du groupe peut faire naitre une apparence de conflit d’intérêts susceptible de faire échec à l’approbation du règlement. Vu cet enjeu, il devient important pour les parties de prévoir dans l’entente de règlement que l’entente de règlement global n’est pas conditionnelle à l’approbation du règlement de la réclamation individuelle du représentant, afin que le refus d’approuver cette indemnité ne mette pas en péril l’ensemble du règlement négocié, tout comme les parties à la présente affaire l’avaient d’ailleurs fait.
[2]Salazar Pasaje c. Fonds d'aide aux actions collectives, 2021 QCCA 1107.