Le programme de remboursement ne remplace pas le recouvrement par une action collective : décision de la Cour d'appel du Québec
I. Introduction
Dans l'affaire Lachaine c. Air Transat AT inc., la Cour d'appel du Québec a infirmé la décision de la Cour supérieure et a autorisé une action collective pour les consommateurs dont les voyages ont été annulés par les compagnies aériennes canadiennes durant la pandémie de COVID-19.
La Cour d'appel a autorisé l'action collective bien que la mise en œuvre des programmes de remboursement des compagnies aériennes défenderesses pour indemniser leurs clients à la hauteur de la valeur de leurs voyages annulés soit en cours.
II. Faits
Les demandeurs avaient acheté des billets d'avion auprès de compagnies aériennes canadiennes, mais leurs vols ont été annulés en raison de la pandémie de COVID-19 et de la décision du Canada de fermer ses frontières. Les compagnies aériennes défenderesses ont offert des crédits de voyages utilisables lors de réservations futures[i], considérant cette pratique conforme aux termes et conditions des billets annulés[ii] des clients. Par ailleurs, en avril 2021, certaines des compagnies aériennes défenderesses ont conclu des ententes avec le gouvernement fédéral prévoyant le remboursement des billets annulés des clients[iii].
La demande introductive d’instance initiale des demandeurs alléguait qu'il n'y avait aucune base juridique, soit contractuelle, de common law ou encore législative, pour que les compagnies aériennes défenderesses offrent des crédits de voyage au lieu de remboursements[iv]. Les demandeurs cherchaient plutôt à ce que les membres de l'action collective soient remboursés. Cependant, après que les compagnies aériennes défenderesses aient offert des remboursements, les demandeurs ont allégué que les programmes de remboursement n’ont pas d’impact sur leur demande puisque demeure leur réclamation pour les intérêts accumulés depuis le moment de l'achat de leurs billets jusqu'au moment du remboursement, leurs dommages moraux et leurs dommages punitifs[v].
III. Contexte juridique
Avant qu'une action collective ne soit entendue sur le fond lors d’un procès, les demandeurs potentiels doivent démontrer que leur affaire satisfait aux exigences légales d'autorisation d’une action collective. La demande d'autorisation est la première étape de toute action collective. Lors d'une demande d'autorisation au Québec, il incombe aux demandeurs de démontrer que : les demandes des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes (« questions communes »); les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées; la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l’application des règles sur le mandat d’ester en justice pour le compte d’autrui ou sur la jonction d’instance, et; le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres.[vi]
IV. Décision de la Cour supérieure du Québec
La Cour supérieure du Québec (par le juge Bernard Tremblay) a refusé d'autoriser l'action collective contre la majorité des compagnies aériennes défenderesses en juin 2021, soit WestJet, Air Canada et Air Transat, en accueillant toutefois l’autorisation à l’égard de Sunwing en octobre 2021[vii]. Le juge Tremblay a conclu que les demandeurs n'avaient pas satisfait le premier et le deuxième critères pour autoriser les actions collectives en vertu de l'article 575 du Code de procédure civile du Québec, car il ne pourrait identifier de question commune à travers les différences majeures des billets annulés, et que les faits allégués ne paraissaient pas justifier les conclusions recherchées en raison des programmes de remboursement mis en place[viii].
En ce qui concerne les questions communes, le juge Tremblay a conclu que les différences majeures identifiées entre tous les tarifs, termes et conditions des services aériens offerts par les défenderesses font échec à l’identification d’une question commune puisqu’une analyse de chacune des modalités serait nécessaire à la résolution du litige.[ix]
De plus, le juge Tremblay a conclu que l’annonce de la mise en place d’un programme de remboursement volontaire par toutes les défenderesses a éteint la cause d’action du groupe à l’égard du remboursement de leur billet d’avion, et que les demandeurs n’avaient donc plus de cause défendable à faire valoir à l’encontre des défenderesses.[x]
V. Décision de la Cour d'appel
La Cour d'appel du Québec[xi] a renversé la décision de la Cour supérieure, accueillant en partie l'appel des demandeurs, et autorisant l'action collective.
En ce qui concerne l’identification d’une question commune, la Cour d'appel a conclu que le juge de la Cour supérieure avait commis une erreur en se concentrant sur la question de savoir si l'action collective proposée aboutirait à une interprétation commune des termes, tarifs et conditions des contrats. La Cour d'appel a ainsi conclu que l’analyse du juge était erronément fondée sur la recherche de réponses communes aux questions identifiées, plutôt que sur la détermination de l’existence de questions identiques, similaires ou connexes susceptibles de faire progresser le règlement de l’action collective[xii]. La Cour d'appel a conclu que les demandeurs avaient correctement identifié des questions communes, puisque la situation des intimées était somme toute assez similaire, les défenderesses étant des transporteurs aériens ou des compagnies liées ayant vendu des billets d’avion ou des forfaits voyages à des clients et ayant refusé de rembourser certains d’entre eux, ou à tout le moins de payer les intérêts sur les montants de remboursement assumés tardivement et les dommages allégués[xiii].
En ce qui concerne la question de savoir si les demandeurs avaient une cause d'action viable, la Cour d'appel a conclu que le juge de la Cour supérieure avait prématurément conclu que les demandeurs n'en avaient pas. En particulier, la Cour d'appel a souligné que le tribunal ne disposait d’aucun détails sur les programmes de remboursement des compagnies aériennes, notamment sur la question de savoir si les membres putatifs avaient ou allaient effectivement être remboursés et que ces programmes les avaient véritablement tous désintéressés du recours[xiv]. Par exemple, la Cour d'appel a noté que le programme de remboursement volontaire n’a pas éteint toutes les causes d’action accessoires des appelants et des membres putatifs, puisque le remboursement du coût du billet d’avion ou du forfait voyage n’a pas eu pour conséquence d’éteindre leur réclamation relative aux intérêts[xv].
Les demandeurs n'ont cependant pas réussi dans tous les aspects de leur appel. Premièrement, la Cour d'appel a précisé que les demandeurs n'avaient pas démontré l’existence d’un syllogisme juridique à l’égard d’une action collective de portée mondiale ou même nationale. Par conséquent, le groupe a été limité au Québec[xvi]. Deuxièmement, la Cour d'appel a conclu que l'un des demandeurs représentants n'était pas un représentant approprié, puisque l’émetteur de la carte de crédit avec laquelle il avait acheté son forfait voyage l’avait entièrement remboursé avant l’audition sur la demande d’autorisation et plusieurs mois avant la mise en place du programme de remboursement volontaire par Air Transat[xvii].
VI. Pourquoi est-ce important
Cette affaire est un rappel des défis qui attendent les défendeurs s'opposant à l'autorisation d’une action collective. Elle soulève également des considérations stratégiques importantes pour les défendeurs qui essaient de prendre des mesures proactives pour indemniser correctement leurs clients et ainsi éviter les actions collectives.
La décision de la Cour d'appel a réaffirmé que le rôle d’un juge au stade de l’autorisation est limité, en soulignant qu’il consiste uniquement à écarter les demandes insoutenables [xviii]. La Cour d'appel était par conséquent prête à autoriser l'action collective basée sur les réclamations résiduelles des demandeurs liées aux intérêts sur les dommages allégués, et aux dommages punitifs.
Avant tout, cette décision offre une perspective aux défendeurs qui cherchent à indemniser correctement leurs clients et ainsi éviter des actions collectives par le biais de crédits ou de remboursements. L'analyse de la Cour d'appel reflète une préoccupation selon laquelle le programme de remboursement mis en œuvre ne tenait pas compte de tous les dommages qui pourraient être disponibles pour les demandeurs par le biais d'une réclamation civile (en l’espèce, les intérêts et dommages punitifs). La Cour d'appel a souligné que des preuves détaillées démontrant que le programme de remboursement éliminait la nécessité d'une réclamation civile seraient nécessaires pour qu'un défendeur démontre qu'une réclamation ne révélait aucune cause d'action. À l'étape de l'autorisation d’une action collective au Québec, pour que les défendeurs puissent déposer de telles preuves, il faut d'abord obtenir la permission. Les entreprises défenderesses – de toutes les industries – seraient bien avisées de considérer soigneusement et stratégiquement les dommages potentiels des clients dès le début, alors qu'ils envisagent tout programme de remboursement ou de rappel, que ce soit en anticipation ou en réponse à une action collective.
Les défendeurs dans ce dossier ont récemment demandé l'autorisation d’appeler devant la Cour suprême du Canada, mais aucune décision n'a été rendue à présent.
[i] Lachaine c. Air Transat AT inc., 2021 QCCS 2305; Lachaine c. Air Transat AT inc., 2024 QCCA 726 [“Lachaine”] au para 7
[ii] Lachaine c. Air Transat AT inc., 2021 QCCS 2305 au par. 3.
[iii] Lachaine c. Air Transat AT inc., 2021 QCCS 2305 aux par. 23-27; Lachaine au para 12.
[iv] Lachaine c. Air Transat AT inc., 2021 QCCS 2305 au par. 2;
[v] Lachaine c. Air Transat AT inc., 2021 QCCS 2305 au par. 39;
[vi] Voir, Québec, Code de procédure civile, CQLR c C-25.01, a. 575; voir p.e., Ontario, Class Proceedings Act, 1992, SO 1992, c 6, s. 5. Nous notons qu’il y existe des différences significatives entre les processus d’autorisation à travers le Canada, ce qui requiert une analyse spécifique sous les législations pertinentes de chaque province.
[vii] Lachaine aux paras 13-15
[viii] Code of Civil Procedure, CQLR c C-25.01, a. 575
[xi] Composé des juges Gagnon, Beaupré, et Baudouin.
[xiv] Lachaine au paras 30-31
[xvi] Lachaine aux paras 45-46
[xviii] Lachaine au para 21 citant Oratoire Saint Joseph du Mont Royal c. JJ, 2019 SCC 35 aux paras 10-11