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Pas de Ferrari pour toi : La Cour supérieure de l’Ontario analyse le droit des obligations fiduciaires et de la fraude dans les contrats de construction

Des allégations de fraude, des contrats verbaux, des paiements en argent comptant et la propriété contestée d’une Ferrari sont au cœur d’une récente décision de la Cour supérieure de l’Ontario qui clarifie l’application de plusieurs questions en litige liées aux contrats et au délit dans le cadre d’un projet de construction.

Dans l’affaire 1814219 Ontario Inc. c. 2225955 Ontario Ltd., 2023 ONSC 4672, la Cour a traité d’un grand nombre de questions contestées, dont l’obligation fiduciaire (ou le manquement à celle-ci) d’un surveillant de chantier envers l’entrepreneur général, les exigences de preuve en matière de fraude civile, la portée des dommages-intérêts pour rupture de contrat et les réclamations pour manque à gagner par suite du non-respect d’un contrat.

Principaux points à retenir

  • En l’absence de documentation contemporaine, il est difficile de prouver, après l’écoulement de plusieurs années, des contrats verbaux, des réclamations pour travaux achevés ou des allégations selon lesquelles les travaux étaient insuffisants, incomplets, incorrects, qu’ils comportaient des erreurs ou qu’ils ne respectaient pas aux normes du secteur.
  • Pour déterminer si un surveillant de chantier constitue un fiduciaire d’un entrepreneur général, les tribunaux se pencheront sur le processus de prise de décision du surveillant de chantier, la connaissance du secteur de la construction et la disponibilité des références aux fins de détermination de leur caractère « particulièrement vulnérable » par rapport à l’entrepreneur général.
  • Les tribunaux traitent la fraude civile comme une allégation sérieuse de malhonnêteté et celle-ci devra être invoquée avec précision et méticulosité. La partie qui fait valoir une fraude déploiera des efforts raisonnables pour évaluer le montant de ses pertes, à moins que ce calcul ne soit trop complexe.
  • Les dommages-intérêts pour rupture de contrat dans le secteur de la construction visent à mettre la partie lésée dans l’état où elle se serait trouvée si le contrat avait été exécuté, sous réserve de toute circonstance particulière ou entente entre les parties.

Contexte

En 2010, 2225955 Ontario Ltd. (« 222 Ontario ») et son mandant, John Duca, ont acheté un terrain vacant à Vaughan dans le but d’y ériger un bâtiment commercial destiné à l’exploitation de la concession de voitures de sport de luxe d’occasion de M. Duca. M. Duca a agi comme son propre entrepreneur général et a embauché 1814219 Ontario Inc. (« 181 Ontario ») et son mandant, Umberto Mauti, pour lui fournir des services d’excavation, ainsi que Giuseppe Villano en tant que surveillant de chantier.

Avant le début des travaux, des rapports géotechniques ont révélé que le bâtiment requérait une fondation de 5,5 à 6,5 mètres sous le niveau du sol pour atteindre un sol porteur. M. Duca n’a pas pris connaissance des rapports, et les dessins architecturaux du bâtiment ne prévoyaient une fondation qu’à 2,6 mètres sous le niveau du sol. Au début du projet, le sol excavé était rempli de débris qui devaient être transportés hors du site, malgré l’insistance de M. Duca de l’étendre ailleurs sur le terrain. Des différends ont également surgi à l’égard de la profondeur de la fondation du bâtiment et du responsable des paiements pour l’installation des trottoirs, des voies d’accès et des rampes. L’accumulation des retards a engendré une augmentation du coût du projet. M. Duca a prétendu avoir conclu de nombreuses ententes verbales avec M. Mauti et M. Villano. Les demandes de paiement ont souvent été faites par messagerie texte et M. Duca a fait bon nombre de ses paiements en argent comptant. M. Duca a même convenu qu’une partie de la rémunération de M. Villano à titre de superviseur de chantier comprendrait une des Ferraris du concessionnaire. À la fin, 222 Ontario et M. Duca n’ont pas pu honorer les factures et MM. Mauti et Villano ont tous deux enregistré des privilèges sur la propriété. Quatre actions distinctes ont été introduits entre M. Duca, M. Mauti et M. Villano[1].

Motifs de la Cour

La Cour a divisé ses motifs en huit « principales questions en litige », dont trois donnent une idée du traitement de circonstances semblables dans le cadre de litiges relatifs à la construction :

Question en litige no 1 : M. Villano était un surveillant de chantier, mais n’avait pas d’obligation fiduciaire envers 222 Ontario

La Cour a cité la décision de la Cour suprême du Canada (« Cour suprême ») dans l’affaire Alberta c. Elder Advocates of Alberta Society énonçant qu’une « obligation fiduciaire » exige que le fiduciaire agisse avec « loyauté absolue » envers le bénéficiaire dans la gestion de ses affaires[2]. Une obligation fiduciaire peut forcément naître en raison de la nature même d’une relation particulière (comme celle entre l’exécuteur et le bénéficiaire, le mandataire et le mandant et l’administrateur et la société) ou de toute relation dans laquelle :

  1. le fiduciaire peut exercer un certain pouvoir discrétionnaire;
  2. le fiduciaire peut unilatéralement exercer ce pouvoir discrétionnaire de manière à avoir un effet sur les intérêts juridiques ou pratiques du bénéficiaire;
  3. le bénéficiaire est particulièrement vulnérable ou à la merci du fiduciaire;
  4. le fiduciaire a convenu d’agir dans l’intérêt véritable du bénéficiaire;
  5. il existe une personne ou un groupe de personnes définies vulnérables au contrôle de ce fiduciaire[3].

En l’espèce, M. Duca a soutenu que M. Villano était un fiduciaire de la société en raison de ses responsabilités, qui consistaient notamment à commander des équipements et des matériaux sans demander l’approbation de M. Duca ni le tenir au courant des factures à payer. La Cour est d’avis contraire et conclu que M. Villano n’était pas un fiduciaire de la société du fait qu’il fixait ses propres heures de travail ou qu’il avisait M. Duca des factures à payer que ce dernier payait la plupart des factures sans protestation[4]. La Cour conclut également que M. Duca avait demandé à M. Villano d’occuper le poste de superviseur de chantier, malgré son entourage de professionnels compétents à qui il aurait pu demander des références, mais qu’il a choisi de ne pas le faire[5].

Question en litige no 2 : Ni M. Mauti, ni M. Villano ni aucun des autres entrepreneurs n’a fraudé M. Duca

La Cour a cité la Cour suprême dans l’affaire Bruno Appliance and Furniture, Inc. c. Hryniak, 2014 CSC 8 énonçant que la fraude civile exige une preuve « précise et méticuleuse »[6] des éléments suivants :

  1. Le défendeur a fait une fausse déclaration;
  2. Le défendeur savait, jusqu’à un certain point, que sa déclaration était fausse (sciemment ou par insouciance);
  3. la fausse déclaration a incité le demandeur à agir;
  4. les actes du demandeur ont entraîné une perte[7].

La Cour a rejeté les allégations de M. Duca selon lesquelles M. Villano, M. Mauti et 181 Ontario ont collaboré pour maximiser frauduleusement les dépenses du projet, concluant que M. Duca n’était pas contraint d’embaucher M. Villano et que M. Duca a assisté au transport par camion de la terre excavée hors du site et qu’il en a payé les frais sans protestation, jusqu’au début du litige[8].

Dans les affaires de fraude civile, le demandeur n’a qu’à déployer des efforts raisonnables pour estimer le montant des pertes qu’il a subies par suite de la fraude alléguée, à moins que ce calcul ne soit trop compliqué. Toutefois, la Cour a conclu que M. Duca n’avait pas suffisamment essayé d’estimer sa perte, malgré l’accès à chaque bordereau de livraison, à la totalité des tickets de pierre et au nombre de camions chargés de terre excavée hors du terrain[9].

Question en litige no 3 : 181 Ontario et M. Mauti ont droit au paiement intégral de la part de 222 Ontario et de M. Duca

La Cour a conclu que les dommages-intérêts pour rupture de contrat visent à mettre une partie dans l’état où elle se serait trouvée si le contrat avait été correctement exécuté, à condition que la perte invoquée découle « inévitablement » de la rupture de contrat[10]. En revanche, les dommages-intérêts pour un manque à gagner seront fondés sur ce que l’on peut raisonnablement et équitablement s’attendre de la rupture du contrat, ainsi que sur ce que les parties ont compris et anticipé au moment de la formation du contrat[11].

En l’espèce, M. Duca a allégué que 181 Ontario et M. Mauti ont fabriqué des extras, qu’ils ont facturé des travaux non effectués et que les travaux qu’ils ont effectués ont été largement surfacturés et ne respectaient pas les normes du secteur[12]. La Cour a rejeté toutes ces allégations. Elle a conclu que 181 Ontario avait achevé la totalité des travaux et fourni les matériaux qu’elle avait facturés, et M. Duca n’a contesté aucune facture avant que 181 Ontario n’ait inscrit son privilège par application de la Loi sur la construction, L.R.O. 1990, c. C.30. Aucun élément de preuve n’indique que les travaux de 181 Ontario étaient incorrects, qu’ils comportaient des erreurs ou qu’ils ne respectaient pas aux normes du secteur[13].

Finalement, la Cour a ordonné à 222 Ontario et à M. Duca de dédommager pleinement 181 Ontario et M. Mauti pour le montant du privilège de plus de 347 000 $, près de 30 000 $ pour manque à gagner, une facture de 22 000 $ qui n’était pas incluse dans le privilège ainsi que des intérêts avant et après jugement[14].

Conclusions

Cette longue décision souligne l’importance de la documentation contemporaine à l’appui de réclamations dans le cadre de projets de construction afin d’éviter les rejets au cours d’un procès. La force relative ou la faiblesse relative des réclamations sont mieux appréciées sur le fondement d’un dossier documentaire, et non sur la preuve orale contestée au banc des témoins.

 

[1] 1814219 Ontario Inc. c. 2225955 Ontario Ltd., 2023 ONSC 4672, par. 8.

[2] 1814219 Ontario Inc. c. 2225955 Ontario Ltd., 2023 ONSC 4672, par. 306 citant Elder Advocates of Alberta Society, 2011 CSC 24, par. 22 (Elder)

[3] 1814219 Ontario Inc. c. 2225955 Ontario Ltd., 2023 ONSC 4672, par. 311 à 315 citant Frame c. Smith, [1987] 2 RCS 99, p. 136, Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 RCS 574 et Winter c. Sherman, 2017 ONSC 5492, par. 38.

[4] 1814219 Ontario Inc. c. 2225955 Ontario Ltd., 2023 ONSC 4672, par. 319 à 331.

[5] 1814219 Ontario Inc. c. 2225955 Ontario Ltd., 2023 ONSC 4672, par. 321 à 334.

[6] 1814219 Ontario Inc. c. 2225955 Ontario Ltd., 2023 ONSC 4672, par. 341 citant J.A.L. Developments Inc. c. Residences of Springhill Inc., 2019 ONSC 177, par. 36.

[7] 1814219 Ontario Inc. c. 2225955 Ontario Ltd., 2023 ONSC 4672, par. 337 citant Bruno Appliance and Furniture, Inc. c. Hryniak, 2014 CSC 8, par. 21.

[8] 1814219 Ontario Inc. c. 2225955 Ontario Ltd., 2023 ONSC 4672, par. 366, 369 et 382.

[9] 1814219 Ontario Inc. c. 2225955 Ontario Ltd., 2023 ONSC 4672, par. 349.

[10] 1814219 Ontario Inc. c. 2225955 Ontario Ltd., 2023 ONSC 4672, par. 404 citant Cornelius Grey Construction Inc. c. Folz, 2018 ONSC 647, par. 15.

[11] 1814219 Ontario Inc. c. 2225955 Ontario Ltd., 2023 ONSC 4672, par. 409 citant Hadley c. Baxendale (1854), 9 Exch 341, par. 3.

[12] 1814219 Ontario Inc. c. 2225955 Ontario Ltd., 2023 ONSC 4672, par. 405.

[13] 1814219 Ontario Inc. c. 2225955 Ontario Ltd., 2023 ONSC 4672, par. 407.

[14] 1814219 Ontario Inc. c. 2225955 Ontario Ltd., 2023 ONSC 4672, par. 415.

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