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Surveillance des ordinateurs de travail : les employés sont-ils en droit de s'attendre à la protection de leur vie privée?

Dans la décision récente R. c. Cole, rendue le 19 octobre 2012, la Cour suprême du Canada (CSC) indique que les employés peuvent raisonnablement s’attendre à la protection de leur vie privée à l’égard des renseignements contenus dans leur ordinateur de travail, du moins lorsque l’utilisation personnelle est permise ou raisonnablement attendue.

La décision n’aborde pas le droit de l’employeur de surveiller l’information personnelle contenue dans les ordinateurs de travail : le contexte est celui du droit criminel et de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte), et la CSC indique expressément qu’elle « n’entend pas se prononcer sur les subtilités du droit d’un employeur de surveiller les ordinateurs qu’il met à la disposition de ses employés ». Néanmoins, la décision fournit d’importantes lignes directrices en ce qui concerne ce domaine en évolution.

Les faits

L’accusé, Cole, était enseignant dans une école secondaire et disposait d’un ordinateur fourni par le conseil scolaire qui l’employait. Il était autorisé à utiliser cet ordinateur portatif à des fins personnelles accessoires et avait ainsi navigué sur internet et stocké des renseignements personnels sur son disque dur. M. Cole était également chargé de surveiller l’utilisation par les élèves de leurs ordinateurs portatifs branchés sur le réseau de l’école et, conséquemment, avait des droits d’accès aux disques durs des ordinateurs portatifs des élèves.

Le manuel des politiques et procédures du conseil scolaire: a) permettait l’utilisation personnelle des ordinateurs portatifs de façon accessoire; b) indiquait que la correspondance par courriels des enseignants était privée, sujet à certaines conditions; c) indiquait que l’ensemble des données et messages générés et traités avec le matériel du conseil était la propriété du conseil scolaire et d), prévenait les utilisateurs de ne pas s’attendre à la confidentialité de leurs fichiers.

En effectuant des travaux de maintenance, un technicien du conseil scolaire a trouvé un fichier caché contenant des photographies d’une élève nue et partiellement nue sur l’ordinateur portatif de M. Cole. Le directeur de l’école fut informé et les photographies furent copiées sur un disque compact. Le directeur a saisi l’ordinateur portatif et les techniciens du conseil scolaire ont copié les fichiers internet temporaires sur un deuxième disque. L’ordinateur portatif et les deux disques ont été remis à la police, laquelle a créé une image miroir du disque et examiné tout le contenu du matériel sans mandat. M. Cole a été accusé de possession de pornographie juvénile et d’utilisation non autorisée d’un ordinateur.

Le juge du procès a exclu tout le matériel informatique en vertu des articles 8 et 24(2) de la Charte au motif qu’il avait été saisi sans mandat. La Cour d’appel de l’Ontario a écarté cette décision et a exclu tout le matériel de l’ordinateur, à l’exception du disque compact sur lequel se trouvaient les photographies de l’élève.

La CSC a permis l’admission en preuve de tout le matériel informatique et a ordonné la tenue d’un nouveau procès. Elle a reconnu que l’accès sans mandat à l’information relative au contenu de l’ordinateur de M. Cole était une violation de la Charte par la police mais que, dans les circonstances, l’admission en preuve ne déconsidérait pas l’administration de la justice, alors que l’exclusion du matériel aurait une incidence négative marquée sur la fonction de recherche de la vérité que remplit le procès criminel.

Les facteurs à considérer dans le cadre de l’attente raisonnable en matière de vie privée d’un employé à l’égard d’un ordinateur de travail

La CSC a mentionné que M. Cole avait un droit direct et une attente subjective en matière de respect de la vie privée et de la confidentialité de l’information contenue dans son ordinateur de travail, étant donné l’utilisation de cet ordinateur portatif pour naviguer sur internet et stocker de l’information personnelle sur le disque dur.

En évaluant si M. Cole avait un droit direct et une attente objectivement raisonnable en matière de respect de la vie privée, la Cour a relevé quelques éléments pertinents à considérer dans le cadre de l’analyse de l’attente raisonnable de vie privée de l’employé :

  • Plus un sujet se situe au « cœur même de l’ensemble de renseignements biographiques » des informations personnelles, plus ce facteur favorisera une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée;
  • Les ordinateurs utilisés à des fins personnelles, particulièrement ceux servant à naviguer sur internet, vont révéler des informations confidentielles au « cœur de l’ensemble de renseignements biographiques », lesquelles sont protégées par la Charte;
  • Les politiques écrites sont pertinentes mais non déterminantes quant à l’attente raisonnable de respect de la vie privée. Il faut considérer l’ensemble des circonstances afin de déterminer si le respect de la vie privée est une attente raisonnable, incluant les politiques, pratiques et usages, ou les « réalités opérationnelles » du milieu de travail, dans la mesure où cela se rapporte à l’utilisation des ordinateurs par les employés.

Conclusion et recommandations

Alors qu’une attente raisonnable de respect de la vie privée et de la confidentialité du contenu de l’ordinateur de travail a été reconnue par la CSC, il est également noté que cette attente peut être diminuée par les réalités opérationnelles du milieu du travail, y compris les politiques.

Les employeurs devraient :

  • Reconnaître que permettre l’utilisation de l’ordinateur de travail peut conférer aux employés une attente de respect de la vie privée, et considérer les risques spécifiques au poste et au milieu du travail.
  • S’assurer que les politiques écrites sont clairement rédigées, régulièrement communiquées, et qu’elles sont cohérentes avec l’utilisation et les pratiques autorisées par l’employeur dans le milieu du travail.
  • Si les politiques indiquent que l’information est révisée ou surveillée, faire le suivi et s’assurer que cette surveillance est effectivement effectuée.
  • Promptement et constamment gérer toutes violations de la politique.

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