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Résidence d’une fiducie — « Centre de gestion et de contrôle »

La Cour d’appel fédérale (la « CAF ») a récemment1 confirmé que, afin d’établir la résidence d’une fiducie aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (la « Loi »), le critère du centre de gestion et de contrôle (le « CGC ») établi par la common law à l’égard de la résidence des sociétés par actions devrait être appliqué de sorte qu’une fiducie soit considérée comme étant résidente du pays dans lequel son CGC est effectué. La CAF a confirmé le rejet par le tribunal inférieur du point de vue couramment exprimé dans la communauté fiscale selon lequel la résidence d’une fiducie est établie uniquement sur la base de la résidence du fiduciaire.2

Les faits dans l’affaire Garron sont décrits dans notre article intitulé Le point sur la fiscalité. La question en litige consistait à déterminer si deux fiducies constituées en vertu des lois de l’île de Saint-Vincent étaient assujetties à l’impôt canadien sur les gains réalisés à la suite de la disposition de certains biens. Les deux fiducies avaient comme fiduciaire une société de fiducie qui était constituée, licenciée et résidait à la Barbade, ainsi que des bénéficiaires qui étaient des résidents canadiens. Les fiducies ont procédé à la disposition d’actions de sociétés de portefeuille canadiennes qui, à leur tour, possédaient des actions de PMPL Holdings Inc. (« PMPL »), réalisant ainsi des gains en capital substantiels. Pour les non-résidents du Canada, les actions de la société de portefeuille constituaient un « bien canadien imposable » en vertu de la Loi, de sorte que les gains à leur disposition étaient assujettis à l’impôt sur le revenu canadien. Toutefois, le paragraphe XIV(4) de l’Accord entre le Canada et la Barbade tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et la fortune (le « Traité ») prévoyait une exemption de l’impôt sur le revenu canadien sur ces gains pour les personnes qui étaient considérées comme résidents de la Barbade aux fins du Traité.

La question clé dans le cadre de l’appel visait à déterminer si les fiducies étaient des résidentes du Canada en vertu des principes de la common law. Si elles ne l’étaient pas, la CAF devait alors se pencher sur d’autres questions, soit i) si elles étaient réputées être des résidentes du Canada en vertu de l’article 94 de la Loi (de sorte que les fiducies seraient assujetties à l’impôt en vertu de la Partie I de la Loi); ii) dans le cas où elles étaient réputées être des résidents du Canada, si le Traité avait préséance sur les dispositions de la Loi et les assujettissait à l’impôt; et iii) si la règle générale anti-évitement (la « RGAÉ ») s’appliquait, étant donné qu’il y aurait abus du Traité si les fiducies étaient en mesure de réclamer une exemption de l’impôt canadien en vertu du paragraphe 4) de l’article XIV.

Critère de résidence de la common law

Il existe très peu de cas de jurisprudence portant sur l’établissement de la résidence aux fins de l’impôt et les quelques cas qui existent sont peu pertinents, du moins selon la juge de la Cour canadienne de l’impôt (la « CCI »). Pour cette raison, elle a jugé bon de se tourner vers les critères judiciaires de résidence dans d’autres contextes afin d’aider à déterminer la résidence des fiducies dans cette affaire.

La CAF a entamé son analyse en affirmant que la résidence de toute personne est une question de faits et qu’elle doit être établie en tenant compte de facteurs qui supposent ou non un lien économique ou social entre la personne et le pays concerné. Des principes juridiques spécifiques permettant d’établir la résidence peuvent s’appliquer dans certaines circonstances mais, malgré ces règles spécifiques, il est essentiel de tenir compte de tous les faits pertinents.

Dans le cas d’un particulier, les facteurs pertinents dont il faut tenir compte afin d’établir la résidence comprennent la nationalité, la présence physique, le lieu de travail ou la résidence familiale, le mode de vie familial et les liens sociaux.

La principale décision ayant abordé la question de la résidence d’une société est l’affaire DeBeers3, dans laquelle la Chambre des lords a conclu que la jurisprudence relative à la résidence d’un particulier pouvait servir à déterminer la résidence d’une société, de la façon suivante :

[Traduction] En appliquant le concept de résidence à une société, nous devons, je crois, procéder de la façon qui se rapproche le plus de l’analogie avec un particulier. Une société ne peut manger ni dormir, mais peut tenir un établissement et exercer des activités. Nous devons, par conséquent, savoir où elle tient réellement son établissement et exerce ses activités... les activités qu’elle exerce sont à l’endroit où se situe son centre de gestion et de contrôle.

Par conséquent, la résidence d’une société est établie principalement en déterminant l’emplacement de son CGC, qui est habituellement l’endroit où les administrateurs de la société s’acquittent de leurs responsabilités en matière de gestion et de contrôle de la façon envisagée par les lois régissant les sociétés. Si les fonctions des administrateurs de la société sont limitées et que la gestion et le contrôle sont exercés en fait par une personne qui n’est pas un administrateur, la société peut être reconnue résider à l’endroit où cette personne réside ou exerce ses activités.4

La CAF s’est ensuite penchée sur la résidence d’une fiducie. Même si elle reconnaît qu’il existe des cas où il a été décidé qu’une fiducie réside à l’endroit où le fiduciaire réside, la CAF a noté qu’aucun de ces cas ne considère la résidence du fiduciaire comme un « critère juridique invariable » afin d’établir la résidence d’une fiducie. La CAF a également conclu que les passages pertinents de la décision rendue par la Cour fédérale dans l’affaire Thibodeau (qui sont couramment cités à titre de motif de rejet du critère du CGC pour établir la résidence d’une fiducie) s’appliquaient à une question plus restreinte d’établissement de résidence de plusieurs fiduciaires ou étaient tout simplement incorrects.

La CAF a préféré adopter un critère de résidence propre aux fiducies s’apparentant à celui s’appliquant aux sociétés par actions établi dans l’affaire DeBeers afin de déterminer où la fiducie [traduction] « tient un établissement et exerce ses activités », c’est-à-dire où les pouvoirs des fiduciaires sont réellement exercés, l’endroit où le CGC de la fiducie est réellement situé. La résidence du fiduciaire peut, dans la plupart des cas, être celle de la fiducie, mais pas nécessairement, et le fait d’imposer un critère juridique aussi rigide ne cadrerait pas avec le thème central de la jurisprudence, c’est-à-dire que la résidence constitue essentiellement une question de faits.

Ayant décidé que le CGC constituait la norme appropriée pour établir la résidence d’une fiducie, la CAF a ensuite examiné si la CCI avait correctement appliqué le critère aux faits. La CAF a énuméré les facteurs examinés5 et a conclu que le fiduciaire n’avait effectivement pas exercé les principaux pouvoirs au sein des deux fiducies. Ces pouvoirs avaient plutôt été exercés par des résidents canadiens, de sorte que le CGC de chacune des fiducies était au Canada. La CAF a reconnu que chaque facteur, examiné seul, n’était pas suffisant pour situer le CGC des fiducies ailleurs qu’à l’endroit de la résidence du fiduciaire, mais que l’ensemble des facteurs examinés globalement pointait dans la même direction :

[Traduction] Toutefois, une ligne doit être tracée. D’un côté de la ligne se trouvent les recommandations, certaines étant très strictes, de la part des bénéficiaires au fiduciaire, permettant au fiduciaire de décider de quelle façon exercer ses pouvoirs au sein de la fiducie. Dans ce cas, le fiduciaire continue d’assurer la gestion et le contrôle de la fiducie. De l’autre côté de la ligne se trouvent les bénéficiaires qui exercent réellement les pouvoirs au sein des fiducies, gérant et contrôlant les fiducies, et supplantant le fiduciaire désigné. Tel que mentionné ci-dessus, le côté de la ligne auquel appartient une affaire est une question de faits, exigeant l’examen de la preuve dans son ensemble.

La CAF a conclu que, compte tenu du manque de preuve quant à la formation et à l’exploitation des fiducies et le défaut de présenter des témoins clés qui auraient pu éclaircir ces questions, la preuve ne menait à aucune autre conclusion.

Par conséquent, la CAF a rejeté les appels. Toutefois, étant donné que des arguments subsidiaires avaient été présentés, la CAF a exprimé son opinion sur ces sujets, même si sa conclusion à l’égard de la question de résidence en vertu de la common law réglait la question soulevée par l’appel.

Critère de résidence en vertu de la Loi

Le premier argument subsidiaire visait à déterminer si les fiducies étaient réputées être des résidentes du Canada en vertu du paragraphe 94(1) de la Loi. La CCI a conclu que la présomption ne s’appliquait pas étant donné qu’une des exigences de la disposition ne s’appliquait pas aux fiducies dans cette affaire, c’est-à-dire qu’il n’y avait aucune acquisition directe ou indirecte de biens par l’une des fiducies auprès d’un bénéficiaire résidant au Canada ou de certaines catégories de personnes résidant au Canada qui étaient liées à un bénéficiaire.

Au moment où les parties ont intégré les fiducies à la structure de propriété de PMPL, une opération de gel a été entreprise aux termes de laquelle les actionnaires existants de PMPL ont échangé leurs actions ordinaires contre des actions privilégiées de catégorie A dont le prix de rachat global fixé s’élevait à 50 millions de dollars, montant que les parties croyaient être la valeur courante de PMPL. Les fiducies, par l’intermédiaire de leurs sociétés de portefeuille canadiennes respectives, ont alors fait l’acquisition d’autres catégories d’actions de PMPL (soit les catégories B et C) moyennant une contrepartie symbolique à partir de laquelle la valeur future de PMPL augmenterait.

La CCI a conclu que, dans les faits, la valeur globale de PMPL au moment où les actions ont été émises aux deux fiducies s’élevait à plus de 50 millions de dollars, étant donné que l’opération a donné lieu à un transfert de la valeur des actionnaires initiaux de PMPL aux fiducies, par l’intermédiaire de leur participation indirecte dans les actions de catégories B et C, d’un montant correspondant à la différence entre la valeur véritable de PMPL à ce moment et 50 millions de dollars. Toutefois, la CCI a conclu que l’exigence relative à l’acquisition d’un bien n’a pas été remplie étant donné que le transfert de la valeur est survenu au sein de la société de portefeuille canadienne plutôt qu’au sein de la fiducie. Afin de conclure à un transfert indirect de propriété dans les circonstances, il faudrait lever le voile corporatif.

La CAF n’est pas arrivée à la même conclusion que la Cour canadienne de l’impôt. La CAF a interprété la phrase « a acquis des biens, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit » dans le contexte de l’alinéa 94(1)b) de façon très générale afin de couvrir « tous les moyens possibles par lesquels » il y a eu un changement dans l’avantage économique. La CAF a noté que cette interprétation n’entrainait pas de changements au principe juridique selon lequel le bien d’une société par actions n’est pas le bien de ses actionnaires. En l’espèce, les sociétés par actions étaient « des instruments » permettant aux fiducies d’obtenir l’avantage économique des actions de la société canadienne. Par conséquent, il a été conclu que l’alinéa 94(1)c) s’appliquait et faisait en sorte qu’une fiducie qui n’était pas par ailleurs résident du Canada était réputée être un résident du Canada.

Préséance du Traité

Malgré la conclusion de la CAF selon laquelle le paragraphe 94(1) de la Loi s’appliquait aux fiducies et faisait en sorte qu’elles soient réputées être des résidentes du Canada aux fins de la Loi, la CAF a confirmé la conclusion de la CCI selon laquelle les fiducies continueraient d’être considérées comme des résidentes de la Barbade aux fins du Traité, conformément aux principes bien établis d’interprétation des traités6 et, par conséquent, qu’elles auraient droit de se prévaloir de l’exemption prévue au paragraphe XIV(4) du Traité au titre de l’impôt sur le revenu canadien sur tout gain découlant de la disposition d’actions de sociétés de portefeuille canadiennes. Il a été conclu que la présomption de résidence prévue au paragraphe 94(1) était essentiellement limitée par ses modalités, c’est-à-dire qu’elle ne faisait pas en sorte qu’une fiducie étrangère soit réputée être une personne résidente au Canada à toutes fins et, par conséquent, qu’elle ne pouvait pas se substituer à la définition de résidence en vertu d’un traité fiscal.

RGAÉ

La RGAÉ constitue le dernier recours sur lequel l’Agence du Revenu du Canada (l’« ARC ») s’est fondée afin d’appuyer l’imposition des gains en capital au Canada. L’unique question soulevée visait à déterminer s’il y avait eu abus dans l’application du Traité. Tel que discuté en détail dans notre mise à jour précédente, la CCI a rejeté chacun des arguments appuyant une conclusion d’abus de l’application du Traité. La CAF, étant en accord, a conclu que si les fiducies étaient résidentes de la Barbade aux termes du Traité, les fiducies ne pouvaient pas être considérées comme ayant abusé de l’application du Traité en réclamant l’exemption prévue par le Traité au titre de l’impôt sur les gains en capital canadiens.

Conclusion

Comme nous l’avons déjà précisé, la décision Garron a provoqué des discussions au sein de la communauté fiscale canadienne, puisqu’elle a mis en doute une question fondamentale qui était généralement acceptée, c’est-à-dire que la résidence d’une fiducie était établie en fonction de la résidence de son fiduciaire. Comme l’a indiqué la CAF, la résidence du fiduciaire peut, dans la plupart des cas, constituer une base suffisante pour établir la résidence de la fiducie. Le défi constituait à déterminer quel autre critère pouvait être appliqué dans les cas comme celui-ci. Sous réserve d’un appel éventuel, la CAF a confirmé que le critère du CGC était le critère approprié.

Le critère du CGC, tel qu’appliqué à une fiducie, n’est relativement pas nouveau, mais correspond plutôt au véritable critère lié à la résidence d’une personne, soit le lien entre la personne et le pays en particulier. Nous osons espérer que la plupart des fiscalistes ne se sont pas appuyés exclusivement sur la résidence du fiduciaire au moment d’établir des fiducies à l’étranger, et qu’ils ont pris les mesures nécessaires afin de s’assurer que les décisions étaient, en fait, prises à l’extérieur du Canada.

Même si la discussion relative à l’interprétation des traités et à la RGAÉ ne constituait qu’un obiter, nous croyons que les fiscalistes s’inspireront grandement de cette analyse. En fait, les deux tribunaux ont conclu que, si une personne peut établir qu’elle réside dans un pays aux termes d’un traité fiscal, le contribuable devrait avoir le droit de se prévaloir de tous les avantages du traité fiscal dont peut bénéficier un résident de ce pays, sous réserve de toute restriction spécifique exprimée dans le traité, telles que les clauses de restrictions apportées aux avantages (les « RAA »). En l’absence de clauses RAA et sous réserve d’un autre appel dans le cadre de cette affaire, les arguments de l’ARC selon lesquels un contribuable ferait le chalandage de conventions seront de moins en moins convaincants. Le ministère des Finances devra déterminer si les clauses RAA sont toujours nécessaires. Compte tenu du nombre de traités fiscaux et de la lente évolution des négociations des traités, ce type de politique serait difficile à mettre en œuvre.

L’affaire Antle confirmée

Le point sur la fiscalité qui portait sur la décision Garron décrivait les détails de la décision rendue par la CCI dans l’affaire Antle, qui a également eu recours à une fiducie non résidente afin d’éviter l’impôt sur le revenu au Canada. La décision Antle a récemment été confirmée par la CAF, qui a convenu que la fiducie dans ce cas n’avait pas été dûment constituée. Toutefois, la CAF n’était pas d’accord avec l’obiter de la CCI selon lequel l’opération n’était pas un trompe-l’œil. La CAF a conclu que le critère pour déterminer s’il s’agissait d’un trompe-l’œil avait été rempli étant donné que les parties à l’opération [traduction] « l’ont présentée comme étant différente de ce qu’elle était réellement ».7

 


1St. Michael Trust Corp. v. R., 2010 CAF 309, publié le 17 novembre 2010, confirmant la décision 2009 DTC 1568 (CCI), sous le nom Fiducie familiale Garron c. La Reine.

2Thibodeau Trust v. Canada, 78 DTC 6376 (FCTD) est l’affaire habituellement citée à titre d’autorité judiciaire sur cette question.

3De Beers Consolidated Mines Ltd. v. Howe, [1906] AC 455 (HL).

4Unit Constructions Ltd. v. Bullock, [1960] AC 351 (HL).

5 Voir Le point sur la fiscalité (volume 1, numéro 5).

6 Voir Crown Forest Industries Ltd. c. Canada., [1995] 2 R.C.S. 802.

7 Antle v. The Queen, 2010 FCA 280 au par. 20.

 

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