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L’octroi de dommages purement punitifs

Un recours collectif peut-il être utilisé comme véhicule procédural purement punitif? Oui, si l’on se fie à l’arrêt Brault & Martineau inc. c. François Riendeau et Fédération des caisses Desjardins du Québec, 2010 QCCA 366 (Can LII), une décision dans laquelle la Cour d’appel confirma la décision d’octroyer des dommages punitifs malgré l’absence d’une quelconque preuve établissant l’existence d’un préjudice.

L’affaire Riendeau c. Brault & Martineau à l’autorisation

Dans l’affaire Riendeau, la Cour supérieure était initialement saisie d’une requête pour autorisation d’exercer un recours collectif. Le requérant, après avoir été attiré par une publicité émise par l’intimée, acheta de la marchandise chez Brault & Martineau (BM). Le requérant mit en preuve une annonce publiée un an plus tard, qu’il prétendait être identique à celle qu’il avait vue. Cette annonce offrait deux choix, soit de payer en 24 versements égaux sans frais et sans intérêt, soit de payer un an plus tard sans aucun dépôt, paiement ou intérêt. Les deux options référaient les lecteurs à une note de bas de page qui mentionnait ceci : « Ne payez que la taxe de vente. Sujet à l’approbation du crédit ». Il n’y avait pas de mention d’intérêts ou d’autres frais si jamais les acheteurs manquaient un paiement.

Selon la Cour supérieure, il n’y avait pas d’obligation d’offrir une preuve écrite par le consommateur (s. 263 L.p.c.). L’affirmation ainsi que l’annonce d’un an plus tard étaient suffisantes pour établir une présomption réfutable et constituaient une allégation crédible.

Bien qu’il soit impossible d’échapper au paiement de taxes par voie de contrat, les marchands assument fréquemment ces frais afin d’attirer une clientèle. Donc, les prétentions du requérant à cet égard avaient, selon la Cour, au moins une apparence de crédibilité.

L’article 247 L.p.c. énonce que nul ne peut faire de la publicité concernant les modalités du crédit, à l'exception du taux de crédit, à moins que le message publicitaire ne contienne les mentions prescrites par règlement. Le requérant soutenait, et la Cour était d’accord, qu’un marchand ne peut pas éviter sa responsabilité sous la loi de publier des modalités de crédit même si elles sont offertes par d’autres marchands. BM avait en effet publié un contrat de crédit variable mais n’avait inclus qu’une des modalités dans la publicité, c'est-à-dire le délai pendant lequel un acheteur avait à payer le prix sans engager aucuns frais de crédit.

De plus, la Cour fut d’avis qu’une perte pécuniaire ne devait pas être invariablement établie. L’article 272 L.p.c. comprend des dommages moraux. Il est plausible qu’un consommateur, même si le fait de payer des taxes est d’ordre public, pourrait néanmoins réclamer des dommages moraux, si modestes soient-ils, pour avoir été incité à croire qu’il n’y en avait pas à payer.

Selon la Cour, un consommateur qui paie des frais de crédit sans être informé qu’ils sont inclus dans la publicité peut faire une demande pour que les impositions soient annulées et remboursées. Il peut aussi avoir une réclamation pour dommages-intérêts punitifs, même s’il n’a pas subi de pertes. Après tout, expliqua la Cour, il est possible que le requérant puisse argumenter qu’il ne se serait jamais rendu chez BM s’il avait su qu’il y aurait des frais de crédit à assumer en cas de retard de paiement.

Toutefois, par la suite, le même juge qui décida de la requête en autorisation changea d’opinion. Dans l’affaire Ata c. 9118-8169 Québec inc. et als, sous la rubrique inusitée « Confession d’une erreur », celui-ci expliqua qu’il avait erré dans son jugement précédent. Ce raisonnement se base sur les similarités entre l’article 272 L.p.c. et l’article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne qui, selon la Cour suprême du Canada, ne saurait justifier l’octroi de dommages punitifs en l’absence de dommages moraux ou matériels, dont ils sont accessoires.

La décision Riendeau sur le fond

Malgré cette confession d’erreur de la part du juge Fraiberg, la juge Roy donna partiellement raison au demandeur Riendeau sur le fond. La Cour arriva à la conclusion, à la lumière de la preuve soumise, qu’effectivement la publicité de la défenderesse contrevenait aux dispositions de la Loi sur la protection du consommateur. Selon la Cour, les frais payés par la défenderesse aux sociétés de crédit ne s’avéraient pas des frais de crédit au sens de la loi puisqu’ils étaient inclus dans le capital net des biens et que tous les acheteurs, peu importe qu’ils se prévalent des options de financement et peu importe leur mode de paiement, devaient les supporter. Toutefois, en transformant ainsi le coût du report de paiement du prix de vente en une partie du capital net et en omettant d’informer les consommateurs qu’ils pouvaient obtenir un rabais s’ils payaient comptant, la défenderesse avait fait une représentation trompeuse et omis de divulguer un fait important.

En ce qui a trait au remède auquel les membres du groupe ont droit en cas de pratiques de commerce interdites, la Cour expliqua, d’une part, que l’article 272 L.p.c. (qui a trait aux recours civils que peut intenter le consommateur lors d’une violation de la L.p.c.), s’applique en matière de pratiques de commerce interdites. Cependant, la Cour estima que la preuve ne démontrait pas l’existence probable d’un préjudice chez chacun des membres et ne permettait pas de quantifier le préjudice de ceux qui en auraient subi un.

Concernant les dommages exemplaires, la Cour fut d’avis que l’article 272 L.p.c. permet l’octroi de dommages exemplaires même si les dommages compensatoires ne sont pas accordés. Elle mentionna également que ce type de remède est particulièrement approprié en matière de pratiques de commerce interdites puisqu’il est difficile d’évaluer l’impact de la violation de la Loi sur la protection du consommateur sur les consommateurs. Pour conclure à l’octroi de tels dommages, le consommateur n’a pas à prouver la mauvaise foi du commerçant mais simplement une insouciance de sa part face à la loi et aux comportements qu’elle cherche à réprimer. Dans l’évaluation des dommages exemplaires, la Cour trancha qu’une condamnation de deux millions de dollars était appropriée dans les circonstances.

La décision Riendeau en appel

BM porta cette décision en appel demandant le rejet du recours collectif. Le demandeur s’est porté appelant incident réclamant un montant de 11 859 889,50 $ pour frais de crédit illégalement facturés. La Cour d’appel rejeta le pourvoi et l’appel incident. Selon elle, BM avait en effet commis une pratique prohibée en vertu de la Loi sur la protection du consommateur et du règlement d’application en publiant les annonces en question. Toutefois, la Cour d’appel confirma que le juge de première instance avait eu raison de ne pas considérer les taxes comme des frais cachés.

Elle confirma aussi la décision de la juge de première instance octroyant des dommages punitifs sans avoir accordé de dommages compensatoires. Selon la Cour d’appel, la Loi sur la protection du consommateur est soumise aux principes régissant l’évaluation des dommages et l’intimé n’avait pas démontré l’existence d’un préjudice. Cependant, contrairement à l’article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne, des dommages punitifs peuvent être accordés en vertu de la Loi sur la protection du consommateur même en l’absence de dommages compensatoires. De plus, la Cour rejeta plutôt sommairement l’argument de BM à l’effet que les dommages punitifs ne sont octroyés qu’en cas de mauvaise foi ou de négligence et refusa de réviser le montant octroyé en dommages punitifs par la Cour supérieure.

Remarques de McCarthy Tétrault

L’affaire Riendeau est importante pour au moins trois raisons. Dans un premier temps, elle énonce le principe selon lequel il est possible d’obtenir des dommages punitifs en vertu de la Loi sur la protection du consommateur sans qu’il soit nécessaire d’accorder des dommages compensatoires. Dans un second temps, l’affaire Riendeau laisse entendre que la simple présence d’une faute est susceptible d’établir la responsabilité d’un défendeur alors que personne n’a vu (ni s’est fié sur) les représentations trompeuses de ce dernier. Cela voudrait dire, du moins théoriquement, que quelqu’un qui aurait acheté le produit sujet de la publicité, qui aurait vu la publicité ou qui n’aurait ni acheté ni vu quoi que ce soit, jouirait d’un intérêt suffisant pour intenter une demande afin d’obtenir des dommages punitifs. Enfin, durant les débats parlementaires précédant l’adoption du recours collectif au Québec, le Barreau de la province ainsi que la plupart des membres de l’Assemblée nationale furent d’accord que cette procédure servirait à assurer l’accès à la justice et ne devrait pas être utilisée comme un moyen purement punitif. Or, il est pour le moins discutable que l’affaire Riendeau pourrait dénaturer le recours collectif en le transformant d’un moyen procédural opportun en une arme sociale redoutable.