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Les pratiques commerciales sont brevetables en « un clic » au Canada

Dans une décision rendue par la Cour fédérale du Canada le 14 octobre 2010 dans l’affaire Amazon.com, Inc. c. Canada (Procureur général), la Cour a accueilli un appel de la décision de la Commissaire aux brevets (la « commissaire ») qui avait initialement rejeté une demande de brevet présentée par Amazon.com, Inc. (« Amazon ») à l’égard de sa technologie de commande en ligne en un clic extrêmement populaire. La commissaire avait conclu que l’objet de la demande d’Amazon ne constituait pas un objet brevetable au sens de la Loi sur les brevets. En infirmant cette conclusion, la Cour a plutôt conclu que la commissaire n’avait pas appliqué les bons critères juridiques en rejetant la demande de brevet d’Amazon et a formulé un nouveau critère n’empêchant pas les innovations et les pratiques commerciales dans le secteur de l’informatique d’être brevetées au Canada si elles visent l’objet respectant le critère général d’une « invention » en vertu de l’article 2 de la Loi sur les brevets.

La demande de brevet d’Amazon est intitulée « Procédé et système permettant d’effectuer une commande d’achat via un réseau de communication ». L’invention telle que revendiquée permet à un client d’acheter un article en ligne en un simple clic. C’est pour cette raison que la demande a été appelée à plusieurs reprises la demande de brevet « en un clic ».

En rejetant les revendications de la demande, la commissaire a appliqué une démarche à quatre volets visant à déterminer si l’objet était admissible au brevetage. Cette démarche à quatre volets reposait en grande partie sur la jurisprudence étrangère, notamment celle du Royaume-Uni. Ce recours à la jurisprudence étrangère a suscité des critiques de la part de la Cour, laquelle a soutenu que la commissaire n’avait pas tenu compte des « différences fondamentales entre les régimes étrangers et le régime canadien » s’appliquant aux brevets et qu’elle n’avait pas tenu compte des « principes juridiques canadiens ». La Cour a conclu que la commissaire n’avait pas le droit de dévier de la législation canadienne sur les brevets et de son interprétation faite par les tribunaux, et que la commissaire a commis une erreur en adoptant un rôle d’élaboration de politiques non conforme aux principes de droit canadien.

Afin d’établir si la demande de brevet d’Amazon revendiquait un objet admissible, la Cour s’est employée à déterminer si les réclamations constituaient une réalisation brevetable au sens de la définition d’« invention » en vertu de l’article 2 de la Loi sur les brevets. En s’appuyant sur une décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Shell Oil Co. of Canada c. Commissaire des brevets, la Cour a conclu que le critère permettant de déterminer si l’objet de la réclamation était une « réalisation brevetable » comporte trois éléments soit : a) la réalisation ne doit pas être une idée désincarnée, mais comporter une méthode d’application pratique; b) elle doit constituer une façon nouvelle et innovatrice d’appliquer des compétences et des connaissances; et c) elle doit produire des résultats ou des effets utiles de façon commerciale.

Par conséquent, comme l’a formulé la Cour, les motifs de la commissaire pour avoir exclu les brevets visant des pratiques commerciales ne peuvent plus faire obstacle aux demandes de brevet visant une pratique commerciale au Canada. De même, au Canada, un objet admissible ne doit plus nécessairement avoir un « caractère technique » ni démontrer qu’il appuie une « contribution technique », comme l’a soutenu la commissaire.

Lorsque la Cour a décrit le critère à trois volets mentionné ci-dessus, elle s’est concentrée sur son premier élément, soit l’exigence relative à l’« application pratique ». La Cour a expliqué que selon cette exigence, une chose qui n’est qu’une simple idée ou découverte n’est pas brevetable — il faut qu’elle soit concrète et tangible.

Conformément à la Cour, il doit y avoir une manifestation, un effet ou un changement de nature quelconque. Cependant, il importe de mettre l’accent sur la condition d’application pratique plutôt que simplement sur le caractère physique de l’invention. Un « simple projet commercial » n’aura aucune concrétisation pratique et, comme toute idée abstraite ou théorie, il serait non brevetable.

De plus, la Cour a conclu qu’il n’est pas nécessaire que l’objet matériel change physiquement en une autre chose afin de remplir l’exigence relative à l’objet en vertu de l’article 2 de la Loi sur les brevets. Ce faisant, la Cour a en quelque sorte suivi les conclusions de la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire Bilski, qui a récemment rejeté le critère de « machine ou transformation » à titre d’unique critère, lequel s’apparente au critère relatif à l’objet en vertu de l’article 2 de la Loi sur les brevets.

La Cour a déterminé que la commissaire avait commis une erreur de droit en appliquant le mauvais critère, a procédé à l’examen des revendications de nouveau et a conclu que l’objet revendiqué était brevetable. Pour les revendications liées à un système aux termes de la demande, la Cour a conclu que les éléments énumérés comprenaient des machines (p. ex., un ordinateur) qui constituaient les éléments essentiels permettant de mettre en œuvre le processus de commande en ligne pour lequel la protection était revendiquée. De plus, la Cour a conclu que les revendications liées à une méthode en question visaient l’application pratique du concept en un seul clic, qu’elles avaient recours à des « témoins », à des ordinateurs, à Internet et aux gestes mêmes du client. Selon la Cour, l’effet physique dont il est question dans ces revendications découlait du fait que le client utilisait son ordinateur et passait une commande. Du point de vue de la Cour, il n’était pas pertinent que les biens commandés n’aient subi aucun changement physique.

Dans l’ensemble, Amazon est un arrêt clé qui devrait annoncer une nouvelle ère marquée par l’augmentation des acceptations de brevets visant des inventions et des pratiques commerciales dans le secteur de l’informatique au Canada. À l’heure actuelle, on ne sait pas encore de quelle façon le Bureau des brevets et les tribunaux interpréteront et appliqueront cette importante décision.

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