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Les nouvelles règles canadiennes sur les offres publiques d’achat visent à équilibrer le rapport de force

Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières confirment l’adoption d’un régime canadien harmonisé des offres publiques d’achat et de rachat (y compris un délai minimal de dépôt de 105 jours), entrant en vigueur le 9 mai 2016

Le 25 février 2016, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont publié un Avis de publication des ACVM sur la modification du régime des OPA confirmant l’adoption d’un régime harmonisé des offres publiques d’achat et de rachat pour toutes les provinces et tous les territoires canadiens (nouveau régime des OPA)[1], entrant en vigueur le 9 mai 2016[2].

Le 25 février 2016, les ACVM ont aussi publié un Avis de publication des ACVM sur la modification du système d’alerte, qui confirme l’adoption des modifications apportées au système d’alerte du Canada. Ces modifications au système d’alerte entreront en vigueur en même temps que le nouveau régime des OPA et se traduiront par des modifications au Règlement 62‑104 et au Règlement 62‑103 sur le système d’alerte et questions connexes touchant les offres publiques et les déclarations d’initiés, et refléteront en grande partie la mise à jour des modifications au système d’alerte publiées par les ACVM le 10 octobre 2014. Un article distinct sur ces modifications suivra.

Le nouveau régime des OPA reflète généralement l’Avis de consultation des ACVM publié par les ACVM il y a un peu moins d’un an, soit le 31 mars 2015 (proposition antérieure), sauf un changement important – plutôt que de hausser le délai minimal de dépôt à 120 jours comme le décrivait la proposition antérieure, les ACVM ont fixé un délai minimal de dépôt de 105 jours. La principale raison expliquant la fixation du délai minimal de dépôt à 105 jours (plutôt qu’à 120 jours) est le désir des ACVM de préserver l’utilité des dispositions d’acquisition forcée prévues par les lois canadiennes sur les sociétés par actions.

Sommaire du nouveau régime des OPA

Le nouveau régime des OPA constitue le point culminant de nombreux efforts, de la part des ACVM, en vue de moderniser les règles régissant les offres publiques d’achat canadiennes et de rééquilibrer le rapport de forces entre les sociétés cibles canadiennes, leurs conseils d’administration, leurs actionnaires et les initiateurs éventuels. Voici les trois principaux éléments du nouveau régime des OPA :

  • la prolongation du délai minimal de dépôt à 105 jours;
  • l’obligation de dépôt minimal irrévocable de plus de 50 %;
  • l’obligation de prolonger la période de dépôt d’au moins 10 jours après que l’obligation de dépôt minimal a été respectée et que les autres conditions de l’offre ont été respectées ou ont fait l’objet d’une renonciation.
  1. Prolongation du délai minimal de dépôt à 105 jours

Toutes les offres publiques d’achat non dispensées doivent être maintenues pendant un délai minimal de dépôt de 105 jours (au lieu des 35 jours prévus par le régime actuel), sous réserve de la possibilité par le conseil d’administration de la société cible de réduire le délai de dépôt. La prolongation du délai minimal de dépôt à 105 jours vise à répondre aux préoccupations selon lesquelles les conseils d’administration des sociétés cibles ne disposent actuellement pas de suffisamment de temps pour répondre aux offres publiques d’achat hostiles.

En vertu du nouveau régime des OPA, le conseil d’administration de la société cible peut réduire le délai de dépôt :

  • en publiant un communiqué annonçant un délai de dépôt plus court afférent à une offre publique d’achat donnée (délai qui ne peut pas être inférieur à 35 jours), auquel cas les offres publiques d’achat en cours ou postérieures sont assujetties au délai minimal de dépôt plus court (un initiateur peut naturellement décider de maintenir son offre pendant un délai supérieur);
  • en publiant un communiqué indiquant qu’il a convenu de conclure ou décidé de réaliser une opération de remplacement (généralement, un plan d’arrangement ou une autre opération de changement de contrôle nécessitant l’approbation des actionnaires), auquel cas toutes les offres publiques d’achat en cours ou subséquentes doivent être maintenues pendant un délai d’au moins 35 jours.

La fixation d’un délai minimal de dépôt de 105 jours permet aux initiateurs dont l’offre est acceptée de continuer d’utiliser les dispositions d’acquisition forcée prévues par les lois sur les sociétés dans toutes les provinces et tous les territoires canadiens. Ces dispositions procurent à l’initiateur retenu un mécanisme efficace pour évincer les actionnaires minoritaires et acquérir la totalité d’une société cible canadienne, dans la mesure où au moins 90 % des actions de cette société sont déposées en réponse à l’offre dans un délai de 120 jours du lancement de l’offre. Le délai minimal de dépôt de 105 jours (plus la prolongation obligatoire de 10 jours) procure à l’initiateur qui désire effectuer une acquisition forcée une marge de manœuvre de cinq jours supplémentaires afin d’atteindre le seuil de 90 % s’il ne réussit pas à le faire dans le délai initial de 115 jours (c.-à-d. le délai de dépôt de 105 jours plus la prolongation obligatoire). S’il ne peut pas se prévaloir de la procédure d’acquisition forcée, l’initiateur qui acquiert plus des deux tiers des actions d’une société cible serait encore en mesure d’évincer les actionnaires minoritaires en effectuant une fusion avec éviction de deuxième étape en vertu du droit canadien des sociétés.

  1. Obligation de dépôt minimal irrévocable

Toutes les offres publiques d’achat non dispensées doivent être assujetties à une obligation de dépôt obligatoire selon laquelle plus de 50 % des titres en circulation de la société cible, à l’exclusion des titres dont l’initiateur et toute personne agissant de concert avec lui a la propriété véritable ou sur lesquels il exerce une emprise, soient déposés et non retirés avant que l’initiateur puisse en prendre livraison dans le cadre de l’offre publique d’achat. Cette obligation a comme objet de garantir que l’acquisition du contrôle d’une société cible au moyen d’une offre publique d’achat se produira seulement si la majorité des actionnaires indépendants appuie l’opération.

  1. Prolongation obligatoire de 10 jours

Toutes les offres publiques d’achat non dispensées doivent être prolongées par l’initiateur d’au moins 10 jours supplémentaires après que l’initiateur a satisfait à l’obligation de dépôt minimal et que les autres conditions de l’offre ont été respectées ou ont fait l’objet d’une renonciation. Cette obligation vise à atténuer la crainte que les actionnaires de la société cible ne soient forcés de déposer leurs actions avant l’expiration initiale de l’offre (par exemple, pour éviter le risque de se retrouver actionnaire minoritaire d’un émetteur ayant un actionnaire contrôlant).

Les incidences prévues du nouveau régime des OPA

Le nouveau régime des OPA a fait naître plusieurs considérations importantes pour les sociétés cibles canadiennes, leurs conseils d’administration, leurs actionnaires et les initiateurs éventuels, notamment des considérations liées à la présentation d’une OPA, à l’utilisation future des régimes de droits des actionnaires et à l’avenir des autres tactiques défensives, à la capacité d’obtenir l’engagement ferme de porteurs de blocs de titres, aux attributions des conseils d’administration des sociétés cibles ainsi qu’aux batailles de procurations.

La présentation d’offres publiques d’achat

Le régime actuel des offres publiques d’achat continue de régir :

  • les offres publiques d’achat lancées avant le 9 mai 2016 (une première offre);
  • les offres publiques d’achat relatives aux titres d’une société cible déjà visée par une première offre (une offre subséquente) même si l’offre subséquente est lancée le ou après le 9 mai 2016, dans la mesure où elle est lancée avant la date d’expiration de la première offre; et
  • les offres publiques d’achat relatives aux titres d’une société cible qui a publié avant le 9 mai 2016 un communiqué annonçant qu’elle a l’intention d’effectuer une opération de remplacement entreprise le ou après le 9 mai 2016 et avant sa réalisation ou son abandon (conformément à une convention ou autrement).

Ainsi, les initiateurs qui envisagent de présenter une offre visant une cible canadienne, mais qui préfèrent le régime actuel assorti du délai minimal de dépôt de 35 jours (souvent prolongé pour atteindre de 40 à 60 jours par l’application d’un régime de droits), peuvent, si possible, prendre la décision stratégique de lancer une offre avant le 9 mai 2016.

Une fois que le nouveau régime des OPA sera en place, le nouveau délai minimal de dépôt de 105 jours atténuera l’avantage des initiateurs au bénéfice des conseils d’administration des sociétés cibles, procurant à ces derniers et à leurs conseillers davantage de temps pour chercher une opération de remplacement ou négocier une amélioration d’une offre non sollicitée. De plus, il est possible pour le conseil d’administration d’une société cible de réduire le délai minimal de dépôt (jusqu’à 35 jours), de sorte que les initiateurs hostiles font face à une plus grande incertitude quant à l’opération. Ces facteurs inciteront davantage les initiateurs à rechercher une opération négociée par opposition au lancement d’une offre non sollicitée.

Bien que les offres partielles soient expressément permises en vertu du nouveau régime des OPA, elles seront néanmoins assujetties à l’obligation de dépôt minimal et nécessiteront donc l’appui d’au moins les porteurs de la majorité des actions détenues par les actionnaires indépendants d’une société cible, de sorte que nous nous attendons à ce que les offres partielles, qui sont déjà très rares dans le cadre du régime actuel, deviendront encore moins courantes.

L’utilisation future des régimes de droits et des autres tactiques défensives

Bien que les ACVM n’aient pas explicitement interdit les régimes de droits, nous prévoyons que leur utilisation comme moyen de bloquer une offre ou de prolonger le délai sera extrêmement limitée dans le cadre du nouveau régime des OPA à la lumière du nouveau délai minimal de dépôt prescrit. Toutefois, nous prévoyons que les régimes de droits demeureront un outil pertinent aux fins de la dissuasion des acquisitions graduelles. Tant en vertu du régime actuel qu’en vertu du nouveau régime, les achats sur le marché qui confèrent à un actionnaire une participation de plus de 20 % de la société cible obligent l’initiateur à présenter une offre publique d’achat officielle à tous les actionnaires de la société cible suivant des conditions identiques, sous réserve de deux exceptions importantes aux règles régissant les offres publiques d’achat. La première exception est la dispense de minimis qui permet à l’actionnaire d’acquérir des actions en sus du seuil de 20 % au moyen d’achats pouvant aller jusqu’à 5 % par année aux cours du marché. La deuxième exception est la dispense pour contrats de gré à gré par laquelle un actionnaire peut acquérir des actions en sus du seuil de 20 % au moyen d’un contrat de gré à gré conclu avec au plus cinq vendeurs, sous réserve d’une limite de prix correspondant à 115 % du cours des actions. De nombreuses sociétés ouvertes canadiennes ont des régimes de droits non seulement parce qu’elles veulent davantage de temps pour répondre à une offre non sollicitée, mais aussi pour empêcher un initiateur de profiter de ces deux dispenses en vue d’acquérir le contrôle de la société sans offrir une prime appropriée à tous les actionnaires. Ces sociétés ne veulent pas qu’un actionnaire ou un groupe d’actionnaires acquière le contrôle négatif en regroupant un bloc important (p. ex. 25 % ou 30 %) des actions en circulation, bloc qui pourrait :

  • empêcher un initiateur d’acquérir les deux tiers des actions en circulation d’une société ouverte (ce qui empêcherait l’initiateur d’évincer le tiers restant au prix versé dans le cadre de l’offre publique d’achat), dissuadant ainsi une offre que le conseil d’administration de la société cible et d’autres actionnaires jugeraient souhaitable; ou
  • par suite de l’obligation de dépôt minimal en vertu du nouveau régime des OPA, bloquer entièrement une offre publique d’achat.

Nonobstant la transformation du régime actuel au moyen de l’adoption du nouveau régime des OPA, les ACVM ont laissé intacte leur politique sur les tactiques défensives (Avis 62‑202 relatif aux mesures de défense contre une offre publique d’achat (Avis 62‑202)); toutefois, dans leur avis publié le 26 février 2016, les ACVM ont profité de l’occasion pour rappeler au marché qu’elles avaient toujours compétence pour examiner les actes des conseils d’administration des sociétés cibles dans certains cas et, à la lumière du nouveau régime des OPA, de déterminer si ces actes portent atteinte aux droits des actionnaires. Même si n’est pas réglée la question de savoir si les organismes de réglementation en valeurs mobilières ou les tribunaux sont les mieux aptes à examiner la conduite des conseils d’administration dans le contexte des offres publiques d’achat, nous ne prévoyons pas de réexamen de l’Avis 62‑202 dans un proche avenir, et certainement pas avant que les effets du nouveau régime des OPA soient bien compris.

La capacité d’obtenir l’engagement ferme de porteurs de blocs de titres

L’obligation de dépôt minimal rendra aussi plus difficile l’utilisation d’une offre publique d’achat comme moyen d’acquérir un ou plusieurs blocs constituant moins de 50 % des actions d’une société cible en vertu d’une convention de dépôt irrévocable. À l’heure actuelle, un initiateur peut garantir à un actionnaire ayant convenu d’un dépôt qu’il achètera ses actions même si l’offre n’est pas acceptée par la majorité des actionnaires. Tel ne sera pas le cas dans le cadre du nouveau régime des OPA[3].

Les attributions des conseils d’administration des sociétés cibles

En prolongeant le délai minimal de dépôt au-delà du délai actuel de 35 jours, le nouveau régime des OPA accordera aux conseils d’administration des sociétés cibles beaucoup plus de temps pour évaluer une offre publique d’achat, communiquer avec les actionnaires, tenter d’obtenir une amélioration de l’offre publique d’achat et attirer des offres concurrentes avant que l’initiateur prenne livraison des titres dans le cadre de l’OPA. Le nouveau régime des OPA ne modifiera cependant pas l’obligation, par le conseil d’administration d’une société cible, de faire preuve de diligence et d’agir de bonne foi et dans l’intérêt de la société. Le conseil de la société cible bénéficiera d’un plus long délai pour prendre les mesures requises dans l’intérêt de la société, mais la position actuelle des ACMV continuera de limiter les tactiques défensives qui contrecarreraient une offre et priveraient les actionnaires de l’occasion de déposer leurs actions.

Il sera intéressant de voir à quel point les conseils d’administration des sociétés cibles seront prêts à renoncer au délai minimal de dépôt de 105 jours au risque de se faire critiquer pour ne pas avoir profité pleinement du délai prolongé afin de trouver des solutions de rechange rehaussant la valeur ou même simplement afin de donner davantage de temps pour l’émergence de propositions non sollicitées, sous réserve des caractéristiques typiques de protection des opérations. Le délai minimal de dépôt constituera certes l’un des points négociés en matière de protection des opérations dans la plupart des opérations amicales.

Les concours de procurations

On peut s’attendre à ce que dans certaines situations hostiles, l’initiateur demande la convocation d’une assemblée des actionnaires avant l’expiration du délai de dépôt de 105 jours afin d’obliger le conseil d’administration à examiner l’OPA hostile déposée et à renoncer au délai de 105 jours ou à risquer d’être remplacé; toutefois, étant donné la latitude considérable qu’accordent les tribunaux aux conseils d’administration concernant le moment de la convocation des assemblées sollicitées, il sera difficile de faire en sorte qu’une assemblée soit convoquée assez rapidement pour raccourcir sensiblement le délai de 105 jours.


[1] Le nouveau régime des OPA est codifié dans le Règlement 62‑104 sur les offres publiques d’achat et de rachat (Règlement 62‑104) et dans l’Instruction générale 62‑203 relative aux offres publiques d’achat et de rachat (IG 62‑203). Auparavant, le régime des offres publiques d’achat et de rachat en Ontario était codifié à la partie XX de la Loi sur les valeurs mobilières (Ontario) et dans la Rule 62‑504 – Take-Over Bids and Issuer Bids de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario et, dans le reste des territoires canadiens, dans la Norme multilatérale 62‑104 sur les offres publiques d’achat et de rachat (NM 62‑104). Avec le nouveau régime harmonisé des OPA, l’Ontario adoptera la NM 62‑104, ce qui en fera une norme canadienne.

[2] En Ontario, le nouveau régime des OPA entrera en vigueur à la date la plus tardive entre le 9 mai 2016 et la date à laquelle certaines dispositions de l’annexe 18 de la Loi de 2015 sur les mesures budgétaires (Ontario) sont proclamées en vigueur.

[3] Les initiateurs pourront toutefois continuer à accumuler d’importantes participations en invoquant les dispenses des règles formelles régissant les offres publiques d’achat, sous réserve de l’analyse concernant les régimes de droits susmentionnée.