Les importantes modifications apportées à la Loi sur la concurrence sont (enfin) en vigueur
Le 20 juin 2024, le projet de loi C-59[1] a reçu la sanction royale et est devenu loi, un jour seulement après avoir franchi sa troisième et dernière lecture au Sénat. Avec son adoption, le projet de loi C-59 apporte un certain nombre de modifications importantes à la Loi sur la concurrence (la « Loi ») qui auront une incidence majeure sur le climat des affaires au Canada.
Le présent bulletin résume les principales modifications apportées par le projet de loi C-59. Bien que la plupart d’entre elles soient entrées en vigueur immédiatement après son adoption, les suivantes, qui sont plus amplement décrites ci-après, entreront en vigueur le 20 juin 2025 :
- Le critère modifié de permission pour les recours privés, en vertu de l’article 103.1 de la Loi, applicable aux comportements visés par les dispositions sur le refus de vendre, le maintien des prix, l’exclusivité, les ventes liées, la limitation du marché et l’abus de position dominante (articles 75, 76, 77 et 79) ;
- Le nouveau régime d’accès privé pour commercialisation trompeuse prévu à l’article 74.1 et les collaborations civiles prévues à l’article 90.1 de la Loi ;
- La possibilité d’ordonnances de restitution pour des demandes privées en vertu des articles 75, 76, 77, 79 et 90.1 de la Loi ;
- Les dispositions permettant les ententes de consentement dans le cadre de litiges privés (article 74.131 et 106.1 à 106.4).
1. Mises à jour procédurales et de fond au régime de « fusion »
Le nouveau régime de contrôle des acquisitions et autres transactions se qualifiant de « fusion » accroîtra le nombre de transactions assujetties à l’examen obligatoire des fusions et réajustera le cadre d’examen de fond :
(a) Notification des acquisitions et autres transactions se qualifiant de « fusionnement »
Les seuils de notification des transactions ont été modifiés. Pour le critère fondé sur la cible et ses filiales ou sur les actifs visés par une transaction (appelés le « seuil de la taille de la transaction »), les revenus pertinents à prendre en considération ont été augmentés pour inclure les revenus provenant des ventes en direction du Canada (en plus des ventes au Canada et en provenance du Canada, auxquelles le seuil était précédemment limité), pourvu que la cible exploite une entreprise en exploitation au Canada (ou que les actifs soient acquis d’une entreprise en exploitation au Canada).
Séparément, pour tous les fusionnements qui ne sont pas notifiés au Bureau, que ce soit obligatoirement en vertu de la partie IX de la Loi ou volontairement par une demande de certificat de décision préalable, le Bureau aura dorénavant trois ans après la clôture pour présenter une contestation devant le Tribunal de la concurrence (le « Tribunal »). Le délai de prescription demeure d’un an pour tous les fusionnements notifiés.
(b) Examen des fusionnements
L’une des modifications les plus importantes apportées au régime de contrôle des fusionnements de la Loi est l’inclusion de nouvelles présomptions structurelles aux termes desquelles un fusionnement qui entraîne ou est susceptible d’entraîner une augmentation de la part de marché des parties ou de la concentration au-delà de seuils prescrits est présumé être anti-concurrentiel, à moins que les parties au fusionnement ne puissent établir le contraire selon la prépondérance des probabilités. Ces présomptions structurelles ne s’appliqueraient pas aux fusionnements qui ont été notifiés ou « en substance réalisés » avant le 20 juin 2024 (c.-à-d. le jour où le projet de loi C-59 a reçu la sanction royale). Les nouvelles présomptions structurelles sont les mêmes que celles contenues dans les lignes directrices américaines sur les fusionnements de 2023. Toutefois, contrairement aux lignes directrices américaines qui peuvent être abrogées à tout moment, ces nouvelles présomptions structurelles font partie de la Loi, créant un résultat beaucoup plus permanent sur le marché canadien.
Les articles 92 et 93 de la Loi ont également été modifiés pour inclure expressément de nouveaux facteurs d’évaluation de fond au régime de contrôle des fusionnements. Bien que la liste ne soit pas exhaustive, l’ensemble des facteurs que le Tribunal peut maintenant considérer pour déterminer si un fusionnement proposé ou réalisé empêche ou diminue sensiblement la concurrence, ou s’il aura vraisemblablement cet effet, comprend maintenant expressément a) l’incidence de la transaction sur le marché du travail, b) la concentration ou les parts de marché, ainsi que c) la possibilité d’une coordination tacite.
(c) Mesures de redressement en matière de fusionnement
Aux termes du régime antérieur, le Tribunal était en mesure de rendre une ordonnance de redressement exigeant que les parties « rétablissent la concurrence de façon qu’il ne soit plus possible de dire qu’elle est sensiblement inférieure à ce qu’elle était avant le fusionnement ». Les modifications ont mis en œuvre une nouvelle norme de redressement pour les fusionnements, permettant au Tribunal de rendre des ordonnances obligeant la partie à rétablir la concurrence au niveau antérieur au fusionnement, élargissant ainsi la portée des pouvoirs du Tribunal en matière de redressement.
Enfin, le projet de loi C-59 a institué une interdiction immédiate et automatique de clore une transaction lorsque le Bureau demande une ordonnance provisoire visant à interdire la clôture (soit en vertu de l’article 100, soit en vertu de l’article 104 de la Loi), jusqu’à ce que l’injonction ait été entendue et tranchée par le Tribunal.
Pour de plus amples renseignements sur les modifications apportées au processus d’examen des fusionnements, veuillez consulter notre bulletin ici.
2. Accès privé élargi
L’accès pour les recours privés devant le Tribunal a maintenant été élargi pour inclure les articles 90.1 (collaborations civiles) et 74.1 (pratiques commerciales trompeuses) de la Loi.
Les demandes privées présentées au Tribunal sont également assujetties à un nouveau critère de permission moins exigeant. Pour le refus de vendre (article 75), le maintien des prix (article 76), l’exclusivité, les ventes liées et la limitation du marché (article 77), l’abus de position dominante (article 79) et les collaborations civiles (article 90.1), la demande de permission peut être accordée même si seule une partie de l’entreprise d’un demandeur est touchée, ou si le Tribunal juge qu’il est dans l’ « intérêt public » d’accueillir la demande. Pour les pratiques commerciales trompeuses (article 74.1), la demande ne peut être accordée que si le Tribunal est convaincu qu’il est dans l’intérêt public de le faire.
La possibilité d’obtenir des ordonnances de restitution a également été ajoutée pour les demandeurs privés, jusqu’à concurrence de la valeur de l’avantage découlant de la conduite pour les demandes présentées en vertu des articles 75, 76, 77, 79 et 90.1.
À l’exception du nouveau critère de permission applicable aux pratiques de commercialisation trompeuse (article 74.1) qui entre en vigueur immédiatement, ces modifications n’entrent en vigueur que le 20 juin 2025.
3. Portée élargie des collaborations anti-concurrentielles
Le projet de loi C-59 a élargi la portée de la conduite qui peut être visée par les dispositions de la Loi sur la collaboration civile ainsi que les mesures de redressement disponibles. Alors que l’article 90.1 ne s’appliquait auparavant qu’aux accords ou arrangements « conclus ou proposés », le Tribunal peut maintenant également rendre des ordonnances à l’égard d’accords ou d’arrangements antérieurs, pourvu que ceux-ci n’aient pas pris fin depuis plus de trois ans. En plus des ordonnances d’interdiction, le Tribunal peut maintenant également imposer des ordonnances de conduite (y compris des dessaisissements) et des sanctions administratives pécuniaires importantes.
Pour de plus amples renseignements sur les modifications récentes apportées à l’article 90.1 de la Loi, veuillez consulter notre bulletin ici.
4. Déclarations environnementales
La Loi comprend maintenant deux nouvelles dispositions anti-écoblanchiment qui en font une pratique de commercialisation trompeuse, à savoir :
- faire une déclaration sous la forme d’une déclaration ou d’une garantie visant les avantages d’un produit pour la protection ou la restauration de l’environnement ou l’atténuation des effets environnementaux, sociaux et écologiques des changements climatiques qui ne se fondent pas sur une épreuve suffisante et appropriée ;
- donner des indications sur les avantages d’une entreprise ou de l’activité d’une entreprise pour la protection ou la restauration de l’environnement ou l’atténuation des causes ou des effets environnementaux et écologiques des changements climatiques qui ne se fondent pas sur des éléments corroboratifs suffisants et appropriés obtenus au moyen d’une méthode reconnue à l’échelle internationale.
Les déclarations environnementales concernant les avantages d’une entreprise ou de l’activité d’une entreprise doivent être étayées par des éléments corroboratifs suffisants et appropriés « obtenus au moyen d’une méthode reconnue à l’échelle internationale », un critère qui n’est pas définie dans les modifications ou ailleurs dans la Loi. Bien que le Bureau n'ait pas encore donné de directives quant aux éléments corroboratifs à fournir pour ces types de déclarations, il a indiqué que cela pourrait inclure des tests et épreuves ainsi que d'autres formes d’éléments corroboratifs qui ne sont pas des épreuves. Le Bureau tiendra prochainement une consultation sur ces nouvelles dispositions afin d’élaborer des lignes directrices.
La Loi prévoit maintenant aussi un mécanisme pour demander un certificat au commissaire de la concurrence (le « commissaire ») afin d’exempter certains accords relatifs à l’environnement des dispositions criminelles et civiles de la Loi sur la collaboration entre concurrents.
Pour de plus amples renseignements sur les modifications récentes apportées aux dispositions de la Loi relatives aux déclarations environnementales et aux certificats environnementaux, veuillez consulter notre bulletin ici.
5. Autres modifications importantes
Le projet de loi C-59 a également apporté un certain nombre d'autres modifications à la Loi, notamment :
- Indication de prix partiel (« drip pricing ») : Dans sa forme antérieure, la limitation apportée par la Loi aux indications de prix partiel n’indiquait pas à qui un montant inévitable devait être imposé pour qu’il soit exclu du prix initial d’un produit ou d’un service, permettant aux vendeurs d’exclure leurs propres frais réglementaires du prix initial d’un produit ou d’un service. Dans sa version modifiée, la limitation précise que les frais qui peuvent être exclus du prix initial d’un produit/service ne sont que ceux qui sont imposés directement à l’acheteur par une loi, obligeant ainsi les vendeurs à utiliser une « tarification tout inclus ».
- Vente au prix ordinaire (ou « faux rabais ») : Plutôt que d’exiger du commissaire qu’il prouve que le prix escompté d’un vendeur est faux ou trompeur, la Loi oblige maintenant les vendeurs ou les annonceurs à prouver que leurs escomptes sont authentiques.
- Droit de réparation : La Loi comprend désormais un droit explicite de réparation, empêchant les fabricants de refuser de fournir à des tiers les « moyens de diagnostic et de réparation », à condition que cela n'exige pas la divulgation de secrets commerciaux.
- Représailles : La Loi prévoit un nouveau régime civil dans le cadre duquel le commissaire ou une partie touchée peut demander à la Cour fédérale ou à une Cour supérieure provinciale une ordonnance d’interdiction et/ou une sanction administrative pécuniaire pour protéger ceux qui aident le commissaire contre les représailles visant à « pénaliser, punir, discipliner, harceler ou désavantager » leur coopération.
Mesures à venir à surveiller
Des directives supplémentaires du Bureau sur l'interprétation de ces modifications sont à venir, mais compte tenu de la portée de ces modifications, il faudra probablement un certain temps. Dans l’intervalle, les entreprises de tous les secteurs devraient dresser le bilan de leurs pratiques opérationnelles courantes et de leurs initiatives stratégiques afin d’évaluer les incidences de la Loi mise à jour.
Pour de plus amples renseignements, veuillez consulter notre groupe du droit de la concurrence/antitrust et de l'investissement étranger.
[1]Loi portant exécution de certaines dispositions de l’énoncé économique de l’automne déposé au Parlement le 21 novembre 2023 et de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023.