Le Bureau de la concurrence publie des lignes directrices très attendues – mais provisoires – sur l’écoblanchiment
Des modifications législatives à la Loi sur la concurrence (la « Loi ») adoptées en juin 2024 ont eu une incidence importante sur les risques juridiques et règlementaires associés aux déclarations environnementales au Canada, comme nous l’avons indiqué dans notre dernier Bulletin à ce sujet. À la fin de décembre 2024, le Bureau de la concurrence (le « Bureau ») a publié des lignes directrices provisoires sur l’application de ces modifications, que nous décrivons et analysons ci-dessous.
Les modifications récentes ont élargi les dispositions civiles de la Loi portant sur les pratiques commerciales trompeuses , codifiant deux exigences supplémentaires pour les indications données au public relativement à l’environnement : (i) les déclarations concernant les avantages environnementaux d’un produit ou service doivent être étayées par une « épreuve suffisante et appropriée »; et (ii) les indications relatives aux « avantages d’une entreprise ou de l’activité d’une entreprise » pour l’environnement doivent être fondées sur des « éléments corroboratifs suffisants et appropriés obtenus au moyen d’une méthode reconnue à l’échelle internationale ». En l’absence de directives claires du Bureau ou des tribunaux, ces modifications relatives à l’écoblanchiment – en particulier l’exigence que les éléments corroboratifs soient conformes à une méthode reconnue à l’échelle internationale – ont créé une grande incertitude parmi les entreprises et les autres parties prenantes, notamment en ce qui concerne l’émergence de risques d’intervention accrus à la suite de l’adoption du régime modifié.
En réponse aux appels généralisés du public visant à obtenir une orientation claire, le Bureau a lancé une consultation afin de recueillir des commentaires en juillet 2024 et a accéléré la publication du projet de lignes directrices, rédigé à partir de plus de 200 mémoires reçus d’un large éventail de parties prenantes au cours de la période de consultation qui s’est terminée le 27 septembre 2024. À la fin décembre, le Bureau a publié des lignes directrices provisoires destinés à décrire les nouvelles interdictions en matière d’écoblanchiment (les « lignes directrices provisoires »). Elles sont ouvertes à la consultation publique jusqu’au 28 février 2025. Il est toujours possible que les lignes directrices définitives changent de façon importante par rapport à ce qui est énoncé dans les lignes directrices provisoires, bien que cela reste peu probable.
Bien que les lignes directrices provisoires apportent certains éclaircissements en ce qui concerne la position du Bureau, qui constitue l’essentiel de la discussion ci-après, ces lignes directrices demeurent bien moins prescriptives que les documents d’orientation publiés par les organismes pairs, comme le Green Guide de la Federal Trade Commission des États-Unis et le Green Claims Code de la UK Competition & Markets Authority. L’approche généraliste et souple du Bureau lui permet de conserver sa capacité d’évaluer les déclarations environnementales au cas par cas. Ce faisant, toutefois, les lignes directrices provisoires ne tiennent pas compte de certaines des préoccupations soulevées par les parties prenantes pendant la période de consultation.
Par exemple, les directives du Bureau ne précisent pas si les fonds d’investissement et les sociétés de capital d’investissement privé peuvent se fier aux déclarations environnementales de leurs sociétés de portefeuille pour satisfaire aux nouvelles exigences en matière d’éléments corroboratifs – une question soulevée par nombre de parties prenantes dans leurs mémoires au Bureau. Certaines zones grises persistent donc, mais les lignes directrices provisoires fournissent néanmoins des éclaircissements cruciaux, notamment en ce qui concerne la portée des nouvelles dispositions sur l’écoblanchiment; l’interprétation du concept de « méthode reconnue à l’échelle internationale » et l’éventualité pour une entreprise d’être ciblée par les mesures d’application de la Loi par le Bureau pour des déclarations effectuées avant l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions.
Message clé 1 : Le Bureau met l’accent sur les indications données aux fins de marketing et promotion
Les lignes directrices provisoires indiquent clairement que les dispositions de la Loi sur les pratiques commerciales trompeuses, y compris les nouvelles dispositions relatives à l’écoblanchiment, visent à englober les indications données au public aux fins de marketing et promotion « dans le but de promouvoir un produit ou des intérêts commerciaux », ce qui est conforme au libellé de la Loi. En d’autres termes, lorsqu’une déclaration est faite exclusivement « à des fins différentes, par exemple à l’intention d’investisseurs et d’actionnaires dans le cadre de dépôts de documents relatifs aux valeurs mobilières », le Bureau est d’avis que ces déclarations ne relèvent pas des dispositions de la Loi sur les pratiques commerciales trompeuses.
Bien que cette précision soit utile en principe, surtout pour les entreprises qui sont assujetties à des exigences de divulgation obligatoires en vertu des lois sur les valeurs mobilières, la présence de zones grises est inévitable. Par exemple, certaines entreprises peuvent choisir de divulguer plus que ce qui est exigé par la Loi concernant leurs activités liées à l’environnement, ce qui soulève des questions au sujet de l’éventuel usage de ces divulgations volontaires pour promouvoir un intérêt commercial. De même, le Bureau a indiqué clairement que lorsque l’information contenue dans les divulgations réglementaires est ensuite utilisée dans le matériel promotionnel ou de marketing d’une entreprise, ces déclarations relèveront probablement du champ d’application du Bureau. Bien que les détails des enquêtes du Bureau sur les pratiques commerciales trompeuses ne soient généralement pas rendus publics, la façon dont le Bureau détermine la nature marketing ou promotionnelle de ces documents aura une incidence importante sur les risques d’intervention pour de nombreuses entreprises à l’avenir.
Message clé 2 : Toute méthode reconnue dans deux pays ou plus sera généralement considérée par le Bureau comme étant « reconnue à l’échelle internationale »
En ce qui concerne les indications au sujet des avantages environnementaux d’un produit, les lignes directrices provisoires adoptent les principes établis par les tribunaux et les directives antérieures du Bureau concernant les indications de rendement, à savoir des tests adéquats avant que la déclaration ne soit faite. En revanche, l’exigence de justifier les déclarations faisant la promotion des « avantages d’une entreprise ou de l’activité d’une entreprise » au moyen d’une « méthode reconnue à l’échelle internationale » est un concept tout à fait nouveau qui n’a jamais été soumis à une interprétation par les tribunaux. Les lignes directrices provisoires du Bureau constituent donc la première et la seule orientation interprétative concernant cette nouvelle exigence.
En résumé, les lignes directrices provisoires prévoient ce qui suit :
- Une méthode qui a été reconnue dans au moins deux pays sera généralement considérée par le Bureau comme étant « reconnue à l’échelle internationale », à condition qu’elle soit appuyée par des éléments corroboratifs suffisants et appropriés. Toutefois, le Bureau n’interprète pas la Loi comme exigeant que la méthode soit reconnue par les gouvernements d’au moins deux pays.
- Bien que la Loi n’exige pas de vérification par un tiers, « les méthodes reconnues à l’échelle internationale nécessitent souvent une vérification par un tiers ».
- La Loi n’oblige pas les entreprises à utiliser la « meilleure méthode disponible » pour corroborer les déclarations et, lorsque plus d’une méthode reconnue à l’échelle internationale est disponible, toute méthode de ce genre satisfera aux exigences de la disposition.
- S’il n’existe pas de méthode d’essai pour une déclaration particulière, les annonceurs et les entreprises peuvent se fier à des méthodes reconnues à l’échelle internationale qui « ensemble, peuvent créer les éléments corroboratifs de la déclaration ou bien s’appuyer sur des méthodes qui sont utilisées pour des déclarations semblables ». Lorsqu’une entreprise conclut qu’il n’y a aucun moyen de justifier une déclaration, « elle doit éviter de la faire, et plutôt faire des déclarations qu’elle peut étayer ».
- Dans le cas des méthodes exigées ou approuvées par un organisme gouvernemental fédéral ou provincial canadien, le Bureau suppose que ces méthodes sont conformes aux méthodes reconnues à l’échelle internationale. Toutefois, le Bureau est d’avis qu’il incombe aux entreprises de faire preuve de diligence raisonnable pour confirmer que la méthode canadienne approuvée par le gouvernement est reconnue à l’échelle internationale.
Ces détails fournissent des précisions utiles sur la façon dont le Bureau est susceptible d’examiner le concept de méthode reconnue à l’échelle internationale notamment dans des dossiers en cours et soulignent l’importance continue pour les entreprises de s’assurer que les éléments corroboratifs fournis sont fondés sur des mesures ou des normes fiables avant de formuler toute déclaration promotionnelle.
Message clé 3 : Les nouvelles dispositions sur l’écoblanchiment ne s’appliquent pas aux déclarations publiées avant le 20 juin 2024
Les lignes directrices provisoires confirment que le Bureau ne cherchera pas à intervenir contre une personne ou une entité pour une infraction aux nouvelles dispositions sur l’écoblanchiment datant d’avant leur entrée en vigueur. Cela pourra quelque peu rassurer les parties prenantes ayant soulevé cette question en réponse au processus de consultation du Bureau en 2024.
Toutefois, l’assurance que le Bureau n’appliquera pas les nouvelles dispositions rétroactivement n’empêchera pas le Bureau de se fonder sur les autres dispositions sur les pratiques commerciales trompeuses. En effet, ces dispositions, en particulier les dispositions générales relatives aux indications fausses ou trompeuses sur un point important et à l’obligation d’effectuer des essais adéquats pour appuyer les indications de rendement, sont en vigueur depuis de nombreuses années. Le Bureau peut donc intervenir au sujet des déclarations publiées avant juin 2024 sur cette base; en fait, ces dispositions ont servi de fondement à ses interventions sur l’écoblanchiment jusqu’à ce que le projet de loi C-59 soit promulgué. Bien que cela demeure un risque qui ne peut être écarté, nous prévoyons que la priorité du Bureau en matière d’application de la Loi consistera à utiliser ses nouveaux pouvoirs relatifs aux déclarations environnementales, ce qui signifierait qu’il se concentrerait sur les déclarations effectuées depuis juin 2024.
Conclusion : Le projet de lignes directrices ne constitue qu’un énoncé provisoire du pouvoir discrétionnaire du Bureau en matière d’intervention
Les lignes directrices provisoires offrent de précieux conseils aux entreprises; toutefois, elles ne représentent que l’interprétation par le Bureau des nouvelles dispositions sur l’écoblanchiment. Les parties privés qui demanderaient réparation en vertu des dispositions de la Loi portant sur les pratiques commerciales trompeuses ne voient pas leurs recours limités par ces lignes directrices, que ce soit actuellement au moyen du mécanisme de plainte par six résidents qui peut obliger le Bureau à ouvrir une enquête, ou plus tard en 2025, lorsque les parties privées auront la possibilité de demander l’autorisation d’intenter une action directement à l’égard de déclarations environnementales trompeuses devant le Tribunal de la concurrence.
Tandis que le Bureau finalise sa position en matière d’intervention concernant les déclarations environnementales au début de l’année 2025, les entreprises peuvent s’attendre à ce que la tendance de renforcement de l’application de la Loi en matière d’écoblanchiment se maintienne, même si certaines ambiguïtés associées aux récentes modifications législatives sont clarifiées.
Pour plus de renseignements, veuillez consulter notre groupe du droit de la concurrence/antitrust et de l’investissement étranger.